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La nature de l’emploi ou de l’activité de l’entreprise

Section 1. La finalité de la surveillance

1.1. La nature de l’intérêt protégé

1.1.3. L’impact des facteurs aggravants ou atténuants

1.1.3.1. La nature de l’emploi ou de l’activité de l’entreprise

Il est certain que les manquements à la loyauté de certains professionnels, tels les salariés travaillant dans les services informatiques, seront appréciés avec plus de sévérité que s’ils émanaient d’un employé n’ayant qu’une connaissance très limitée de l’informatique666 : les premiers sont, en effet, tenus à une obligation de loyauté renforcée et leurs agissements pourront être assimilés à des « manquements graves à l’éthique »667.

De même, l’obligation de confidentialité sera renforcée pour certains salariés en raison de leurs fonctions ou d’une clause de leur contrat de travail668. On pense, par exemple, au personnel du service financier ou celui de la recherche et développement qui manipulent des informations hautement stratégiques. De même, les employés qui traitent les informations personnelles de tiers seront également tenus à une obligation plus lourde et ils ne peuvent, notamment, pas se servir de ces renseignements pour leur propre profit ou celui d’un tiers. Ainsi, dans l’affaire Syndicat de la Fonction Publique du Québec (SFPQ) c. Québec (Ministère du Revenu)669, le congédiement d’un employé du Ministère du Revenu, qui avait profité de sa fonction pour consulter les renseignements personnels concernant des membres de sa famille ainsi que des contribuables avec lesquels il faisait affaire, a été confirmé. Les dossiers de ces personnes avaient été consultés sans autorisation, à plusieurs reprises. L’employé avait même apporté des corrections au dossier fiscal de son fils, se plaçant ainsi en situation de conflit d'intérêts.

Dans Bolduc c. Collège de Montréal670, l’employeur avait également congédié une employée en raison de son usage inapproprié de l’information confidentielle obtenue dans le cadre de sa fonction. L’intéressée occupait un poste d’agente aux services administratifs de l’employeur et était la seule à avoir accès à des informations financières très précises qui

666 Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, préc., note 229; Syndicat des spécialistes

et professionnels d'Hydro-Québec, (SCFP-FTQ, section locale 4250) c. Hydro-Québec, préc., note 193.

667 Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec, (SCFP-FTQ, section locale 4250) c. Hydro-Québec, préc.,

note 193.

668 V. R

OQUES, préc., note 34, p. 21.

669 2005 IIJCan 43078 (QC A.G.). 670 2010 QCCRT 130 (CanLII).

avaient été divulguées à un journaliste. Or, à son arrivée ce poste, elle avait signé une entente de non-divulgation par laquelle elle s’interdisait de divulguer ou d’utiliser l’information confidentielle qu’elle pourrait obtenir dans le cadre de son travail. De plus, l’employée avait d’abord nié toute participation à ces faits. Toutefois, l’employeur disposait de nombreux courriels qui prouvaient son implication dans cette fuite d’informations. Le Tribunal a confirmé le congédiement, estimant que les fonctions syndicales de l’employée ne la dispensaient pas de respecter son obligation de s’abstenir de participer à toute action susceptible de porter atteinte à la réputation de l’entreprise, comme ne manquerait pas de le faire une divulgation d’informations sur des aspects controversés de la situation financière de l’employeur.

Il faut également tenir compte du niveau hiérarchique du poste du salarié : plus son niveau de responsabilité sera élevé, plus l'employeur sera en droit d’exiger un « plus grand dévouement et une plus grande loyauté » de sa part671. En revanche, l’absence de supervision appropriée peut être interprétée en faveur du salarié puisqu’il est de la responsabilité du superviseur de s'assurer que ses subordonnés utilisent adéquatement leur temps. Ceux qui occupent des postes de direction dans l'entreprise seront donc tenus à une obligation plus lourde, proche, parfois, d’une obligation de résultat672. Ainsi, dans l’affaire Potvin c. Ville de Malartic, l’employeur a congédié un gestionnaire au motif que tant la nature de son poste que l'obligation de loyauté de l'article 2088 C.c.Q., imposaient à l’intéressé « [d’]agir avec loyauté, intégrité et honnêteté »673. Outre la mauvaise gestion du club de golf municipal dont il avait la charge, la ville lui reprochait un usage inapproprié de son ordinateur professionnel. Les vérifications effectuées sur ce dernier avaient permis de découvrir plus de 170 photographies à caractère sexuel et pornographique, ainsi que des « clavardages » de la même nature. Le gestionnaire avait nié les faits. Cependant, bien que

671 Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, préc.,

note 159; N.-A. BÉLIVEAU,K. BOUTIN et N. ST-PIERRE, préc., note 177, p. 17.

672 Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, préc.,

note 159; R. P. GAGNON,« Le contrat de travail », préc., note 158, p. 9.

673 Préc., note 159, par. 9; Voir également Arpin c. Grenier, préc., note 243; Syndicat canadien des communications, de

l’employeur n’ait pas pu prouver les téléchargements des images pornographiques (d’autres personnes avaient, en effet, accès à l’ordinateur), il avait néanmoins démontré que le salarié en avait forcément eu connaissance et n’avait rien fait pour retirer les photographies compromettantes ou exiger que cela soit fait. Quant aux « clavardages » qui s'étendaient sur des périodes passablement longues, leur transcription avait permis de conclure nettement qu'il en était l'auteur. Le congédiement a donc été confirmé.

Dans le même ordre d’idées, on peut citer l’affaire Persechino c. Flint Ink North America Corporation674 relative au congédiement pour harcèlement sexuel d’un cadre. Ce dernier envoyait constamment des messages électroniques à connotation sexuelle à une employée travaillant sous son autorité ou faisait des allusions verbales devant elle. Face à son refus persistant, il avait essayé d’obtenir son congédiement. Or, comme le relevait la Commission des relations du travail, il n’avait rien fait pour la congédier, comme il aurait dû le faire si elle était aussi incompétente qu’il le prétendait. Bien au contraire, il avait plutôt proposé sa candidature pour un poste plus élevé. De plus, tout en reconnaissant ses sentiments pour l’employée, il niait l’avoir harcelée et prétendait ne pas se souvenir des propos prononcés ou écrits. Il avait même soutenu que c’était plutôt elle qui le harcelait. Pourtant, il lui avait, entre autres, envoyé un mémorable courriel contenant plus de 9500 points d’interrogation! On pouvait difficilement oublier un tel message ou soutenir qu’il ne constituait pas du harcèlement. La Commission a donc maintenu le congédiement, en se fondant, notamment, sur le fait que le salarié occupait une fonction élevée au sein de l’entreprise (il était « le grand patron au Québec ») 675 et était, à ce titre, tenu à un niveau plus élevé d’obligations et à un comportement exemplaire.

674 2007 QCCRT 354 (CanLII).

675 Id., par. 5; Voir également Poliquin v. Devon Canada Corporation, préc., note 355, où la Cour d’appel de l’Alberta

souligne qu’un salarié qui occupe un poste de superviseur sénior (il cumule plus de 23 ans d’expérience sur des fonctions d’encadrement et dirige 20 à 25 employés au moment de son congédiement) est tenu à une obligation de loyauté renforcée et doit, notamment, s’abstenir de participer à la distribution de contenus à caractère sexuel, pornographique ou raciste avec ses collègues et – pire – les contacts d’affaires de son employeur.

Le facteur aggravant pourra découler de la structure de l’entreprise ou de la spécificité de son activité676. Ainsi, la situation d'un préposé au nettoyage d’une entreprise de produits alimentaires, qui se vante sur Internet de jouer aux cartes pendant la moitié de son quart de travail, sera examinée avec beaucoup plus de sévérité que s’il s’agissait d’un employé d’une usine dont l’activité n’est pas reliée à la sécurité alimentaire677. Il en ira de même lorsque l’employeur est un centre d’hébergement pour personnes malades et âgées678 ou s’il s’agit d’un établissement d’enseignement secondaire accueillant de jeunes élèves, à une étape de leur vie où ils sont particulièrement vulnérables679.

Il existe d’autres situations particulières dans lesquelles le salarié sera tenu à une obligation de loyauté renforcée. Ce sera, par exemple, le cas pour le salarié qui est en période d’essai et qui doit être particulièrement précautionneux : il doit en effet, pendant cet intervalle, démontrer à son employeur qu’il peut bénéficier de sa confiance. Il ne peut donc pas, comme l’a souligné l’arbitre dans l’affaire Martel c. Fédération des caisses Desjardins du Québec680, s’autoriser à envoyer et recevoir des courriels en contravention du règlement de l’entreprise. Le salarié avait, en l’espace d’à peine un mois, reçu 616 courriels et en avait expédié 454, alors même que les différentes politiques de l’entreprise, qu’il avait reçues et signées lors de son embauche, interdisaient l’utilisation des outils de communication à des fins personnelles. Confronté par l’employeur sur ses agissements, l’employé indélicat avait admis avoir envoyé quelques courriels personnels, et cela dès son premier jour de travail, mais en avait cependant minimisé le nombre. Il avait justifié ses agissements par le manque de travail, précisant que son usage personnel des outils de communication avait diminué dès qu’il avait eu plus d’activité. Il avait ajouté que les courriels privés qu’il échangeait avec l’extérieur ne surchargeaient pas le réseau et qu’il y avait une tolérance à cet égard.

676 Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP), section locale 301 (S.C.F.P.) et La Ronde (Six Flags), D.T.E.

2004T-1124 (T.A.) : dans cette affaire, l’arbitre conclut que le caractère familial et la nature des activités de l’entreprise, spécialisée dans le divertissement familial, constitue un facteur aggravant.

677 Montour Limitée c. Syndicat des employé-e-s de la Cie Montour (CSN), préc., note 245. 678 Ordre des infirmières et infirmiers du Québec c. Léveillé, 2008 CanLII 47548 (QC C.D.O.I.I.). 679 Addy c. Commission scolaire Eastern Township, 2010 QCCS 1708 (CanLII).

Ces arguments n’ont pas convaincu l’arbitre qui a conclu que les dispositions des règlements étaient claires. De plus, l’employé avait été avisé que toute utilisation inappropriée des outils informatiques entraînerait des sanctions. L’arbitre a estimé que ce qui avait provoqué la perte de confiance de l’employeur c’était la suppression par l’employé de tous les courriels litigieux de son ordinateur. Cette suppression avait eu lieu à l’issue de l’entrevue que l’employé avait eue avec sa responsable concernant, entre autres, son usage inapproprié du courrier électronique. Le congédiement fut donc confirmé.

Enfin, un niveau supérieur de confiance est également exigé des employés qui, sans forcément occuper une fonction hiérarchique, sont tenus d’obéir à des standards éthiques plus élevés. Ce sera notamment le cas pour les enseignants de qui l’on exige une norme de conduite plus élevée, surtout lorsqu’ils sont au contact de jeunes enfants ou d’adolescents681. Il en ira de même pour les infirmiers qui, tout comme les médecins, doivent particulièrement éviter de s’engager dans des actes indécents682. En effet, les patients doivent pouvoir avoir une confiance absolue dans les personnes qui s’occupent d’eux.

1.1.3.2. Le dossier disciplinaire du salarié, le niveau de gravité de son inconduite et