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La possibilité de discipliner efficacement les salariés

Section 1. Les politiques Internet

1.4. L’impact juridique de la politique Internet

1.4.1. La possibilité de discipliner efficacement les salariés

Le non-respect de la politique Internet peut engager la responsabilité de l’employé et justifier des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement572. En effet, la politique Internet constitue une extension du contrat de travail et sa violation délibérée et répétée peut irrémédiablement détruire la relation entre l’employé et l’employeur573.

Toutefois, l’employeur ne doit pas trop tarder à réprimander l’employé : le cas échéant, il pourrait se voir opposer le principe de la tolérance de l’inconduite du salarié et voir sa sanction annulée ou réduite.

L’employeur sera autorisé à sanctionner ses salariés, notamment, si la politique est claire et largement diffusée au sein de l’entreprise574. Ces directives auront l’avantage de fixer le

570 Voir supra, Partie 2, Chapitre 1, Section 1, 1.2., p. 138.

571 I.J.TURNBULL, « Privacy Management Plan and Policies », préc., note 492, p. 236.

572 Voir Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée,

préc., note 159; Alliance de la fonction publique du Canada et Musée des beaux-arts du Canada, préc., note 155; Blais c.

Société des Loteries Vidéos du Québec Inc., préc., note 239.

573 Backman c. Maritime Paper Products Limited, corps constitué, préc., note 546. 574 N.-A. B

ÉLIVEAU,K. BOUTIN et N. ST-PIERRE, préc., note 177, p. 10; Syndicat canadien des communications, de

l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, préc., note 159; Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, préc., note 229.

seuil de tolérance de l’entreprise, car, comme l’énonce l’arbitre dans Fiset c. Services d’administration P.C.R. Ltée :

« à défaut de directive, qui peut prétendre que le ou la salariée qui rédige une lettre personnelle, fait un appel personnel ou en reçoit un, à partir d'un équipement de l'employeur pose un geste fautif? »575

En effet, sauf politique connue de tous et explicite de l'employeur à l'effet contraire, il est d'usage de tolérer que le salarié fasse, à des fins personnelles et que la morale ne réprouve pas, un usage modéré et raisonnable de certains biens de l'entreprise, tels le téléphone576, l'ordinateur, le courrier électronique ou l'Internet577. Par conséquent, en l’absence de politique claire au sein de l’entreprise578 ou si la politique n'était pas connue des salariés579 ou n'était pas appliquée de façon uniforme par l'employeur580, l’employeur risque d’être limité dans sa capacité à discipliner ses salariés et à les congédier. La conséquence sera souvent la modification ou l’annulation de la sanction disciplinaire prise à la suite d’une utilisation inappropriée des outils de communication581, le congédiement, sauf circonstances aggravantes, n’étant alors pas fondé582.

L’existence d’une politique Internet connue des employés pourra, dans certaines circonstances, justifier le congédiement sans que l’employeur ait à respecter le principe de la progressivité des sanctions. Ainsi, dans Bourassa et Ville de La Tuque583, la Commission a confirmé le congédiement, sans gradation des sanctions disciplinaires, d’un salarié en raison de son utilisation excessive de l’Internet. Il avait, en effet, consulté plus de 25 000 sites en l’espace de trente mois, essentiellement à des fins personnelles. L’employé avait

575 Fiset c. Service d’administration P.C.R. Ltée, préc., note 174, par. 35.

576 Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc., REJB 2001-23958 (C.A.). 577 M.-F. BICH, préc., note 199, p. 7 (commentaires sous la note 19).

578 Commission des normes du travail c. Bourse de Montréal Inc., préc., note 164. 579 Fiset c. Service d’administration P.C.R. Ltée, préc., note 174.

580 Id.

581 Commission des normes du travail c. Bourse de Montréal Inc., préc., note 164; Belisle c. Rawdon (Municipalité), préc.,

note 204.

582 N.-A. BÉLIVEAU,K. BOUTIN et N. ST-PIERRE, préc., note 177, p. 10. 583 2009 QCCRT 322 (CanLII).

reconnu les faits, mais contestait la sévérité de la sanction qui, selon lui, ne respectait pas le principe de proportionnalité, puisqu’il n’avait préalablement reçu aucun avertissement relativement à son utilisation de l’Internet. Il avançait également que ses visites ne s’effectuaient pas sur des sites pornographiques et que ses transgressions n’avaient pas eu d’impact négatif sur son rendement ni sur l’image de l’employeur. Il proposait donc de substituer au congédiement une suspension de 6 mois. La Commission a rejeté son argumentation en raison de la gravité des faits reprochés : en effet, non seulement le salarié était cadre et avait même, antérieurement, occupé la fonction de responsable du réseau informatique pendant 3 ans, mais en plus, l’entreprise disposait d’une politique claire en matière d’utilisation du système informatique dont il connaissait l’existence, puisqu’il avait signé un formulaire en accusant réception. En outre, 96 % de ses navigations étant de nature personnelle, certains contenus visités étant de nature sexuelle ou d’un goût douteux. Enfin, ces activités constituaient un vol de 50 à 75 % de son temps de travail.

Pour conclure sur ce point, il convient de souligner que c’est à l’entreprise de déterminer les comportements acceptables, ainsi que son seuil de tolérance. C’est ce qu’a rappelé la Cour d’appel de l’Alberta dans Poliquin v. Devon Canada Corporation584 lorsqu’elle a

confirmé le congédiement d’un salarié qui avait enfreint le Code de conduite de l’entreprise, notamment en utilisant son ordinateur professionnel pour recevoir, visionner et transmettre des messages électroniques à caractère sexuel, pornographique ou raciste, le tout pendant ses heures de travail585. Les expéditeurs ou destinataires des contenus ainsi échangés étaient aussi bien ses collègues que des fournisseurs et des partenaires d’affaires de l’employeur. Le salarié soutenait, entre autre, qu’il était rarement celui qui entreprenait les échanges, son rôle se bornant à recevoir les messages. De plus, il avançait qu’il existait une culture de tolérance vis-à-vis de contenus sexuels ou à caractère pornographique tant au sein de l’entreprise que de l’industrie pétrolière : ses collègues et lui recevaient, en effet, de nombreux courriels au contenu discutable provenant, pour la plupart, de contacts d’affaires

584 Poliquin v. Devon Canada Corporation, préc., note 355. 585 Id.

de l’employeur. Pour la Cour, peu importait que le salarié ait jugé son comportement acceptable, puisqu’il était conforme aux normes tolérées par l’industrie en général : c’était à l’employeur de déterminer les standards qu’il entendait exiger de ses employés586. Il faut, en effet, garder à l’esprit que l’employeur a l’obligation d’assurer un environnement de travail sain et exempt de toute forme de harcèlement psychologique et doit donc prendre les mesures optimales pour y parvenir.