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L’existence d’un intérêt sérieux et légitime

L’employeur, dans l’exercice de son pouvoir de direction, doit donc tenir compte des droits des employés. Ceux-ci, en tant qu’individus, disposent, en effet, du droit à la vie privée

610 Id., p. 90.

611 Commission des normes du travail c. Bourse de Montréal Inc., préc., note 164. 612 Y. S

AINT-ANDRÉ, préc., note 122, p. 9.

613 Id.

614 Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (S.C.F.P.) c. Ville de Montréal, D.T.E. 99T-478 (T.A.) : cette

décision confirme une suspension de dix jours en raison, notamment, des nombreux avertissements adressés antérieurement au salarié.

615 Voir, par exemple, Bell Canada c. Association Canadienne des Employés de Téléphone, préc., note 238; Voir

également Consumers Gas v. Communications, Energy and Paperworkers Union (Primiani Grievance), [1999] O.L.A.A. No. 649 (L.A.) (QL/LN), où l’arbitre accueille le moyen de défense d’une employée affirmant ne pas avoir été informée de l’existence de la politique sur l’utilisation de l’Internet et ignorer que la détention et la distribution de contenus pornographiques étaient interdites par la politique d’entreprise. L’arbitre conclut, toutefois, que cette ignorance ne pouvait pas disculper la plaignante dans la mesure où le simple bon sens lui interdisait d’utiliser la messagerie électronique de l’employeur pour stocker et distribuer des contenus à caractère sexuel. Au vu de l’ensemble des circonstances, le congédiement a finalement été remplacé par une suspension d’un mois.

616 Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, préc.,

protégé, notamment, par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne617, les articles 3 et 35 à 41 du Code civil du Québec, ainsi que les articles 4 et 5 de la Loi sur la Protection des renseignements personnels dans le secteur privé618.

Toutefois, ce droit à la vie privée n’est pas absolu et pourra être limité lorsqu’il s'oppose à d'autres droits fondamentaux ou à des considérations d'ordre public ou de nécessité. À cet égard, les tribunaux rappellent régulièrement que l'article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne619 autorise des aménagements au droit à la vie privée et permet des restrictions, limites ou intrusions lorsqu’elles :

1. répondent à un objectif légitime et important; 2. sont rationnellement liées à cet objectif; et

3. constituent une atteinte minimale au droit protégé620.

De son côté, l’article 4 de la Loi sur la Protection des renseignements personnels dans le secteur privé621 requiert « un intérêt sérieux et légitime » pour toute personne exploitant une entreprise qui souhaite constituer un dossier sur autrui.

Le problème est de savoir à partir de quel moment la surveillance patronale pourra être considérée comme répondant à ces critères. En d’autres termes, jusqu’où les intrusions de l’employeur dans la vie privée des travailleurs peuvent-elles aller? La question est pour le moins délicate, car pour l'employeur, le contrôle est toujours légitime, tandis que pour les salariés il constitue une atteinte intolérable à leur vie privée.

La jurisprudence québécoise a, au fil du temps, élaboré des principes pour encadrer la surveillance patronale. Selon ces principes, toute intrusion de l’employeur dans la vie privée du salarié doit, pour être légitime, être fondée sur l'existence de « motifs

617 Préc., note 361. 618 Préc., note 10. 619 Préc., note 361.

620 Pour une illustration, voir Godbout c. Ville de Longueuil, préc., note 724, p. 916; Voir également Section locale 143 du

Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Goodyear Canada inc., préc., note 552, par. 18.

raisonnables »622. Ces règles, élaborées dans le cadre de la surveillance vidéo et des écoutes téléphoniques623, sont reconnues par une majorité d’auteurs comme pertinentes et parfaitement transposables à la surveillance des outils de communication informatiques624. Ainsi, dans l'affaire Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, l'arbitre compare l’Internet au téléphone et conclut, en vertu des principes établis en matière de surveillance électronique, que la surveillance de l'employeur devait nécessairement être justifiée par des motifs sérieux625. Condition remplie en l'espèce, puisque le plaignant avait utilisé Internet à des fins personnelles pour un total de 329 heures en l’espace de quatre mois et demi, la majorité du temps pour visiter des sites de nature pornographique. L'arbitre en conclut que l'employeur était fondé à imposer une sanction sévère et confirme le congédiement626.

Toutefois, certaines voix s’élèvent contre cette assimilation et avancent que les principes dégagés en matière de surveillance vidéo ne seraient pas « intégralement » applicables à la surveillance des technologies de l’information627, notamment parce qu’une telle surveillance est réalisée grâce à des logiciels préinstallés dans les ordinateurs et ayant d’autres fins que la seule surveillance628.De plus, ces outils sont moins intrusifs que les

caméras629, par exemple, et offrent une surveillance plus discrète, puisqu’il suffit d’accéder à la mémoire de l’ordinateur pour contrôler l’activité d’un salarié, contrairement aux

622 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, préc., note 8. 623 Id. (à propos de la surveillance vidéo); Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc., préc., note 576 (à propos

de l’interception de conversations téléphoniques).

624 I. L

AUZON et L. BERNIER, préc., note 363, p. 101; Emmanuel TANI-MOORE, « L'appréciation en droit québécois de

l'arrêt Nikon: même résultat? », (2002) 8-1 Lex Electronica, en ligne : <http://www.lex-electronica.org/articles/v8-1/tani-

moore.htm> (site consulté le 30 juillet 2010).

625 Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée, préc.,

note 159, par. 45.

626 Voir également Blais c. Société des loteries vidéo du Québec Inc., préc., note 239. 627 Louis B

ARIBEAU, « Internet et le milieu du travail », (2001) 33-19 J. du Bar.

628 Id. 629 Id.

écoutes téléphoniques ou à la surveillance vidéo qui nécessitent d’enregistrer ou d’épier ce dernier630.

Tous s’accordent cependant sur le fait que la surveillance patronale ne peut s’exercer que s’il existe un intérêt sérieux631. Cette exigence s’apprécie en tenant compte de la finalité de la surveillance (Section 1), de son efficacité (Section 2) ainsi que de l’étendue de l’atteinte à la vie privée (Section 3).