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L’antériorité du motif de la surveillance

Section 1. La finalité de la surveillance

1.2. L’antériorité du motif de la surveillance

Il ressort de l’arrêt Brigdestone/Firestone que le motif de surveillance doit exister avant la mise en œuvre de cette dernière689. C’est ce qu’indique clairement la Cour d’appel dans les termes suivants :

« Il ne saurait s'agir d'une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L'employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance. Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige. »690

Le défaut d’antériorité du motif rend donc, en principe, la surveillance patronale invalide. Le problème c’est que bien souvent, les ordinateurs de l’employeur sont dotés de logiciels de surveillance préinstallés. L’employeur risque donc d’éprouver quelques difficultés s’il doit démonter qu’il a initié la surveillance informatique pour répondre à un besoin précis et préexistant, alors que les outils de surveillance existaient bien avant l’achat des équipements informatiques691.

De plus, il arrive parfois que les actes reprochés à un salarié soient découverts à l’occasion d’une surveillance effectuée, à titre préventif, pour un tas de raisons plus ou moins avouables. Les motifs « préventifs » évidents sont la sécurité et le bon fonctionnement du matériel informatique, ainsi que les risques de responsabilité. À cet égard, les tribunaux ont précisé que l'installation de caméras vidéo dans un but purement préventif, sans que l’employeur soit en mesure d’établir qu’il était victime de vols, n’était pas justifiée692. Toutefois, dans une autre affaire, il a été jugé que la surveillance vidéo ne constituait pas une condition de travail déraisonnable dans la mesure où elle visait seulement à protéger les

689 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, préc., note 8 par.

73.

690 Id.

691 Georges RADWANSKI, préc., note 647.

secrets industriels et l'équipement de l'entreprise tout en assurant la sécurité des lieux de travail693.

La surveillance préventive peut également avoir pour objectif de resserrer le lien de subordination. Ce besoin devient d’autant plus impérieux que les salariés travaillent de plus en plus souvent hors des locaux de l’entreprise694. Avec les NTIC, le « travail nomade » connaît, en effet, une croissance exponentielle695. Et, contrairement à ce qui se passe dans l’entreprise « intra-muros », l’employeur se retrouve alors dans l’impossibilité de contrôler physiquement la présence du salarié à son poste de travail et de s’assurer qu’il remplit bien ses obligations contractuelles. Grâce aux possibilités de traçabilité ou de mise en réseau des activités de l’entreprise offertes par les NTIC, l’employeur peut étendre son pouvoir de direction et de surveillance hors des murs de l’entreprise696. Il peut ainsi retrouver une partie du contrôle qui lui échappe face à cette autonomie, qui n’est pas toujours souhaitée, du salarié. Finalement, malgré l’indéniable liberté que les NTIC offrent aux employés, ces dernières constituent également un excellent outil de subordination dont la traçabilité est le « support »697.

On peut, enfin, signaler que la surveillance peut être effectuée à des fins de gestion comportementale pour établir le « profil professionnel, intellectuel ou psychologique du salarié virtuel »698 à partir, par exemple, de ses préférences et habitudes de navigation.

L’employeur peut donc se retrouver dans une position délicate, si, dans les circonstances qui viennent d’être évoquées, il lui faut prouver que la découverte des actes indésirables d’un salarié est survenue à l’occasion d’une surveillance justifiée. Les tribunaux ont, en

693 Poulies Maska Inc. c. Syndicat des employés de Poulies Maska Inc., préc., note 126. 694 XavierB

ISEUL, « Cybersurveillance : les nouvelles technologies ravivent les vieilles peurs », 01net.com, 19 juillet

2004, en ligne : <http://www.01net.com/article/248848.html> (site consulté le 18 août 2010).

695 F

ORUM DES DROITS SUR L’INTERNET, Rapport final. Relations du travail et internet, 2002, p. 8, en ligne :

<http://www.foruminternet.org/telechargement/documents/rapp-RTI-20020917.pdf> (site consulté le 26 juillet 2010).

696 V. R

OQUES, préc., note 34, p. 26.

697 D.SERIO et C. MANARA, préc., note 7. 698 C

OMMISSION NATIONALE DE L’INFORMATIQUE ET DES LIBERTÉS, La cybersurveillance sur les lieux de travail, 2004, p. 4,

en ligne : <http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/rapports/Rcybersurveillance-2004-VD.pdf> (site consulté le 26 juillet 2010).

effet, tendance à invalider les décisions patronales lorsqu’elles découlent d’une « expédition de pêche », effectuée sans but précis, pour trouver des faits incriminants permettant, par exemple, de se débarrasser d’un salarié « gênant »699. Dans Martel c. Fédération des caisses Desjardins du Québec700, le plaignant plaidait que le motif de son congédiement était un prétexte et que la véritable raison de son renvoi était, non pas son usage inapproprié des outils informatiques, comme le prétendait l’employeur, mais plutôt son refus de recourir aux services bancaires de l’employeur. Il avançait que son congédiement était intervenu juste quelques jours après qu’il a fermé le compte initialement ouvert pour recevoir les virements de salaires effectués par l’employeur, et demandé à être payé par chèque à l’avenir. L’employeur, de son côté, arguait que l’incident relatif à la paie était sans lien avec le congédiement et que la vérification du profil d’utilisation du courrier électronique du plaignant n’avait été effectuée qu’après la découverte sur une imprimante d’un courriel qui lui était destiné. La Commission des relations du travail a conclu que le motif allégué par l’employeur n’était pas un prétexte, puisque le plaignant, alors même qu’il était en période d’essai, s’était autorisé à utiliser la messagerie électronique à des fins personnelles. Pour la Commission, le fait que plaignant ait souhaité être payé par chèque était étranger à la décision de l’employeur.

Dans Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec, (SCFP-FTQ, section locale 4250) c. Hydro-Québec701, c’est également un document oublié sur l’imprimante qui

avait éveillé les soupçons de l’employeur. Ce dernier avait, en effet, découvert une vingtaine d’exemplaires de la page d’accueil du site Internet d’une association sur l’imprimante. Cet organisme ne faisait pas affaire avec l’entreprise et une visite sur ce site avait permis à l’employeur de constater une différence de qualité entre le document imprimé – qui en représentait une version très améliorée – et le visuel qui apparaissait à l’écran. Sachant que le plaignant s’était spécialisé dans la conception de sites Internet et

699 Mascouche (Ville) c. Houle, [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.); Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc., préc.,

note 576.

700 Préc., note 542. 701 Préc., note 193.

Intranet, il avait alors procédé à l’examen de l’ordinateur de ce dernier, afin de vérifier si ces améliorations étaient le fruit de ses travaux. Les vérifications avaient permis de répondre par l’affirmative et de conclure que ces travaux avaient été réalisés par le salarié, pour son propre compte, avec les outils de l’entreprise et pendant ses heures de travail. De même, dans Bolduc c. Collège de Montréal702, la question se posait de savoir si la fonction syndicale de la plaignante ne constituait pas le véritable motif de son congédiement. Le Tribunal a conclu que cette mesure s’appuyait sur une autre cause juste et suffisante. En effet, l’employeur avait mis son enquête en œuvre à la suite de la publication d’informations confidentielles le concernant dans un journal. De plus, la plaignante était la seule à avoir accès à ces informations financières précises et, dans le contexte particulier de cette affaire, il aurait été inutile d’effectuer une enquête coûteuse sur tous les employés pour faire croire à une fausse neutralité. D’ailleurs, l’enquête s’était concentrée sur la plaignante et un groupe restreint de personnes et n’avait finalement porté que sur les courriels échangés dans le système interne de messagerie. Ce contrôle avait permis à l’employeur d’accéder à une foule d’informations qui l’avaient rapidement convaincu de l’implication de la plaignante dans les événements. L’employée avait d’ailleurs fini par avouer être la source de la fuite de l’information.

En définitive, l’employeur doit à chaque fois démontrer que sa surveillance n’était pas basée sur de simples soupçons, mais reposait sur des motifs raisonnables et probables. Tout sera alors une question de preuve qu’il devra positivement rapporter, la surveillance étant considérée, le cas échéant, comme illégale703. Toutefois, le défaut d’antériorité du motif de la surveillance ne constitue pas une entrave absolue à l’exercice du pouvoir de sanction de l'employeur, dans la mesure où les preuves recueillies dans ce contexte sont admissibles en Cour, tel qu’il ressort de l’opinion complémentaire du juge Beaudoin dans l’arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau :

702 Préc., note 670.

703 M.É

« 81 Pour qu'une preuve du genre de celle qui a été présentée à l'arbitre puisse être exclue en raison d'une violation de la vie privée, aux termes de l'article 2858 C.c.Q., il faut démontrer (et le fardeau repose sur la partie qui en réclame l'exclusion) que son admission soit de nature à déconsidérer l'administration de la justice civile.

[…]

83 Nous nous trouvons ici devant un cas de fraude caractérisée, volontairement ou involontairement soutenue par une complicité médicale.

84 Refuser d'admettre en preuve les éléments dont disposait l'arbitre dans les circonstances que relate mon collègue, me paraîtrait, à l'inverse, déconsidérer l'administration de la justice civile en permettant indirectement à un fraudeur d'invoquer (selon le terme consacré par l'adage latin «nemo auditur...») sa propre turpitude. »704

Cette position semble majoritairement suivie par la jurisprudence arbitrale qui a tendance à admettre les preuves obtenues illégalement, à moins que leur admission soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice705. Les tribunaux semblent en effet soucieux de laisser à l’employeur, lorsque ce dernier n’est pas en mesure de justifier au préalable sa surveillance, la possibilité de prouver les comportements fautifs des salariés et d’établir, après coup, grâce au produit de la vidéosurveillance, que son intrusion était bel et bien justifiée. Le critère généralement utilisé par la jurisprudence pour recevoir ou exclure un élément de preuve obtenu en violation d’un droit fondamental est celui de la gravité de la violation, combiné à d’autres facteurs, tels que la nature du litige ou l’importance de la preuve706. Lorsque la preuve est obtenue en violation d’un droit fondamental, le tribunal décidera, au cas par cas, s'il doit faire primer la recherche de la vérité ou la protection du droit bafoué707. Les éléments de preuve ne seront généralement rejetés que lorsque la

704 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, préc., note 8, par.

81, 83 et 84.

705 S. L

EFEBVRE, Nouvelles technologies et protection de la vie privée en milieu de travail en France et au Québec, préc.,

note 70, n° 252 et suiv. p. 102-103.

706 Jean-Claude R

OYER, « La preuve obtenue par des moyens illégaux », dans La Preuve civile, 3e éd., 2003, Droit civil en

ligne (DCL), EYB2003PRC35, p. 23-24.

violation est si grave qu'il serait inacceptable de faire profiter celui qui en est l’auteur de preuves obtenues dans de telles circonstances708. En fait, en matière de surveillance informatique, le constat est que, bien souvent, l’employeur n’est pas en mesure de justifier au préalable la surveillance et c’est généralement la preuve recueillie qui va permettre, après coup, d’en établir la légitimité.

En plus de prouver la réalité et l’importance du problème auquel il était confronté, l’employeur doit démontrer que la surveillance mise en œuvre était nécessaire et efficace pour le régler.