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L’existence d’un problème important, réel et précis

Section 1. La finalité de la surveillance

1.1. La nature de l’intérêt protégé

1.1.1. L’existence d’un problème important, réel et précis

Il découle des articles 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne644 et 4 de la Loi sur la Protection des renseignements personnels dans le secteur privé645 que l’employeur ne peut pas se contenter d’invoquer un simple doute relativement au comportement d’un salarié pour vérifier le contenu de son ordinateur : « [l]'objectif visé doit être clairement identifié et doit être sérieux et important en vue de régler un problème important »646. Or, il n’est pas toujours possible pour l’entreprise de prouver que la surveillance répondait à une exigence particulière, car bien souvent, il s'agit d'un besoin abstrait647. Certes, dans certaines circonstances, le risque hypothétique pourra suffire648. Ce sera le cas, par exemple, dans les industries sensibles où le risque de fuite d’informations est si élevé et « évident » qu’il est inutile que l’employeur étaye son argumentation649. Cependant, dans la plupart des cas, l’employeur devra concrètement démontrer l'existence d'un « problème réel et précis »650.

À cet égard, on peut se demander si le droit de propriété des équipements informatiques, souvent invoqué par les employeurs, constitue un motif suffisant. Les jugements rendus en matière d’écoute téléphonique fournissent de précieux enseignements ce point. Ainsi, il ressort de l’arrêt Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc.651 que ce qui est déterminant,

644 Préc., note 361.

645 Préc., note 10. 646 Lyette D

ORÉ,« Surveillance vidéo vs respect du droit à la vie privée », dans Développements récents en droit de

l'accès à l'information (2005), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2005, Droit civil en ligne

(DCL), EYB2005DEV1087, p. 31.

647 Georges RADWANSKI, (COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA), Décisions récentes et questions

émergentes en vertu de la nouvelle loi sur la protection de la vie privée, discours à la Conférence annuelle sur les droits de

la personne et la vie privée au travail, Lancaster House, Toronto, 2002, en ligne : <http://www.privcom.gc.ca/speech/02_05_a_020503_f.asp> (site consulté le 25 juillet 2010).

648 Id. 649 Id. 650 Id.

« ce n'est pas la propriété de la ligne téléphonique […] mais plutôt la nature de l'information ainsi que l'identité des interlocuteurs qui permettent de vérifier si la conversation téléphonique est protégée par l'article 5 de la Charte »652.

En l’espèce, un temple hindou avait décidé d’effectuer des écoutes sur sa ligne téléphonique afin de vérifier les soupçons de liaison entre le prêtre et l’une des fidèles. Ces derniers avaient alors intenté une action en diffamation et pour atteinte à leur vie privée. Pour les débouter, le juge de première instance s’était, notamment, fondé sur le droit de propriété de l’employeur sur le téléphone, ainsi que sur le fait que, historiquement, la ligne téléphonique était réservée aux affaires professionnelles reliées au temple. La Cour d’appel rejeta cette argumentation au motif que la question fondamentale, en l'espèce, n’était pas savoir si le téléphone était protégé, mais plutôt si la conversation entre les deux plaignants l’était. Dans une espèce proche, jugée quelques années plus tôt653, la Cour d’appel du Québec avait toutefois conclu différemment, considérant que l’enregistrement d’une conversation téléphonique effectuée par une employée soupçonnée de concurrencer son employeur ne constituait pas une atteinte à la vie privée de cette dernière, dans la mesure où l’appareil téléphonique utilisé appartenait à l’employeur et était réservé aux affaires du commerce. De plus, le contenu des conversations interceptées portait uniquement sur des matières relevant d'affaires commerciales et non de la vie privée de l’employée.

Finalement, comme le souligne Charles Morgan:

« the fact that an employer owns the computer equipment used by employees dos no, per se, provide an unfettered right to monitor use »654.

La seule invocation par l’employeur de son droit de propriété sur les équipements (téléphoniques ou informatiques) n’est donc pas suffisante pour justifier sa surveillance.

652 Y. S

AINT-ANDRÉ, préc., note 122, p. 11.

653 Roy c. Saulnier, préc., note 8. 654 C. M

D’autres facteurs, propres à chaque circonstance, seront pris en compte dans l’évaluation de la légalité de la surveillance patronale.

De même, le souhait de l’employeur de s’assurer la loyauté du salarié et son exécution correcte des obligations lui incombant ne constitue pas automatiquement l’intérêt « légitime, important, voire urgent » 655 requis par l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne656. Aussi, l’employeur doit-il démontrer que son objectif présente ces qualités. C’est ce qu’énonce la Cour d’appel dans Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau :

« Au départ, on peut concéder qu’un employeur a un intérêt sérieux à s’assurer de la loyauté et de l’exécution correcte par le salarié de ses obligations, lorsque celui-ci recourt au régime de protection contre les lésions professionnelles. Avant d’employer cette méthode, il faut cependant qu’il ait des motifs sérieux qui lui permettent de mettre en doute l’honnêteté du comportement de l’employé. »657

Dans Fiset c. Service d’administration P.C.R. Ltée658, l’employeur échoua à établir le caractère sérieux de ses motifs en raison de l’absence de directives quant à l'utilisation d'Internet à des fins personnelles et de l’existence, au sein de l’entreprise, d’une certaine tolérance de l’usage à des fins personnelles. En revanche, dans Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 522 c. CAE Électronique Ltée659, l’employeur a pu démontrer la légitimité de la surveillance de l’ordinateur d’un salarié en établissant le vol de temps (en raison de l’utilisation excessive de l’Internet à des fins personnelles pendant le temps de travail) et la violation des règles et politiques de l’entreprise interdisant, notamment, l’utilisation du matériel sexiste ou pornographique.

655 M.ÉVANGÉLISTE, préc., note 600, p. 6. 656 Préc., note 361.

657 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, préc., note 8, par.

74.

658 Préc., note 174. 659 Préc., note 159.

En conséquence, lorsque l’employeur est dans l’incapacité d’identifier clairement son besoin et se contente d’hypothèses ou de généralisations pour justifier sa surveillance, il faut conclure à l’absence de caractère « sérieux » de ses motifs.