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La nécessité pour le législateur suisse de modifier les règles relatives à l’exécution forcée

procédure civiLe et exécution forcée, séquestre et Acte Authentique exécutoire

I. La nécessité pour le législateur suisse de modifier les règles relatives à l’exécution forcée

La Convention de Lugano dans sa teneur du 16 septembre 1988 (ci-après CL) avait été perçue comme un système de “coopération judiciaire”4 entre les Etats membres. Il avait été peu vu que son champ était bien plus étendu, créant des effets à l’égard de parties qui n’avaient pas leur domicile dans l’un des Etats membres5 et pouvant régir la compétence directe des tribu-naux d’un Etat membre dans un contentieux opposant des parties toutes domiciliées dans ledit Etat6. Plus encore, la Suisse, qui avait pu penser que le droit interne n’allait pas être affecté par son adhésion à la CL7, a dû dé-chanter. Des phénomènes d’auto-discrimination8 apparurent ; on entend par là que la législation suisse, par la réception de règles de droit commu-nautaire, concédait aux bénéficiaires de jugements rendus dans un Etat étranger membre de la Convention de Lugano des faveurs qu’elle n’accor-dait pas aux bénéficiaires de jugements rendus par les tribunaux suisses.

Il y avait en effet par l’adhésion de la Suisse à la Convention de Lu-gano du 16 septembre 1988 des divergences qui se créaient entre les règles conventionnelles et celles applicables selon le droit interne :

– L’élément déterminant ouvrant la voie de l’exécution forcée selon la CL était que la décision étrangère fût exécutoire (art. 47 ch. 1 CL) ; il n’était pas demandé qu’elle fût dotée de la force de chose jugée9 ; ainsi, le droit interne suisse qui subordonnait le prononcé de la mainlevée définitive au caractère définitif de la décision mettait plus de difficulté à pro-noncer l’exécution forcée d’un jugement suisse que celle d’un jugement communautaire.

– Le bénéficiaire d’une décision d’un Etat étranger partie à la CL avait l’avantage d’un prononcé unilatéral du juge (art. 34 al. 1 CL) alors que

4 Ce sont les termes qui figurent dans le Préambule de la CL.

5 Arrêt CJCE du 13 juillet 2000, C-412/98, Group Josi Reinsurance Company SA et Uni-versal General Insurance Company (UGIC), Rec. 2000 I-5925.

6 Arrêt CJCE du 1er mars 2005, C-281/02, Andrew Owusu contre N.B. Jackson et autres, Rec. 2005 I-01383.

7 Pour une illustration cf. l’ouvrage collectif Schwander I. (éd.), Das Lugano-Überein-kommen, Saint-Gall (Dike Verlag) 1990, passim.

8 Les premières observations critiques avaient été émises par Vogel O., “Europa und das schweizerische Zivilprozessrecht”, AJP/PJA 4/1992, p. 459 ss.

9 C’était le présupposé nécessaire de la disposition de l’art. 38 al. 1 CL.

le bénéficiaire d’un jugement suisse était soumis au débat contradic-toire de l’art. 84 al. 2 LP.

– Le créancier qui pouvait se prévaloir d’un jugement étranger pouvait solliciter et obtenir des mesures conservatoires alors que le créancier au bénéfice d’un jugement rendu par une autorité judiciaire suisse s’en trouvait privé, hors cas de séquestre selon l’art. 271 LP.

– Le titulaire d’un acte authentique exécutoire dressé à l’étranger béné-ficiait du régime de l’exécution forcée immédiate alors que le système juridique suisse ne connaissait pas cette institution10.

Ces situations insatisfaisantes nécessitaient du législateur fédéral un ag-giornamento du droit interne, quelle que fût par ailleurs l’évolution du droit dans l’Union européenne.

Indépendamment des problèmes législatifs propres au droit suisse, un mouvement considérable s’est dessiné dans l’Union européenne condui-sant à un rapprochement des solutions relatives à la détermination du droit applicable (uniformisation des règles de conflit) et aux procédures d’entraide et de coopération judiciaires. On identifie dans le domaine de l’Union européenne :

– le Règlement (CE) 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I) unifiant les règles de conflit en matière d’obligations contractuelles11,

– le Règlement (CE) 864/2007 du 11 juillet 2007 (Rome II) unifiant les règles de conflit en matière d’obligations non contractuelles12,

– le Règlement (CE) 1348/2000 du 29 mai 2000 unifiant les règles de no-tification internationale des actes judiciaires13,

– le Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 unifiant les règles de compétence des autorités judiciaires en matière civile et commerciale14. La Suisse n’a pas eu de participation active dans ce mouvement. Elle n’est partie à aucune convention internationale réglant de manière générale les règles de conflit de droit international privé que ce soit en matière contrac-tuelle ou non contraccontrac-tuelle. Quant aux règles de notification internatio-nale des actes judiciaires, la Suisse s’est tenue à l’écart de l’effort des Etats

10 Jeandin N., “L’exécution des titres authentiques en Suisse : vers la fin d’une autodiscri-mination ?”, in Schweizerisches und internationales Zwangsvollstreckungsrecht : Fest-schrift für Karl Spühler zum 70. Geburtstag, Zurich/Bâle/Genève (Schulthess) 2005, p. 135-148.

11 Publié in JO L 177 du 4 juillet 2008, p. 6, et sur site www.eur-lex.europa.eu.

12 Publié in JO L 199 du 31 juillet 2007, p. 40, et sur site www.eur-lex.europa.eu.

13 Publié in JO L 160 du 30 juin 2000, p. 37, et sur site www.eur-lex.europa.eu.

14 Publié in JO L 12 du 16 janvier 2001, p. 1, et sur site www.eur-lex.europa.eu.

européens de les coordonner et de les simplifier. Ainsi, dans le processus de négociation de la Convention de Lugano révisée, la Suisse a fait le choix d’un Alleingang par son refus de recevoir les acquis du Règlement (CE) 1348/200015. Dans la même idée, elle a formé une réserve quant à l’art. 34 par. 2 CL rév.16.

La situation est ainsi étrange et à bien des égards insatisfaisante : – La CL rév. offre des choix de fors en matière de contrats d’assurance,

de contrats conclus par les consommateurs et de contrats de travail.

Comme il appliquera sa propre règle de conflit17, le tribunal saisi dé-terminera la loi applicable. Or, il pourra se faire que la partie faible au contrat, que l’on a voulu protéger par ces dispositions, sera évidem-ment tentée de saisir le tribunal de son domicile, alors même qu’éven-tuellement la règle de conflit appliquée par le tribunal saisi lui pro-curera moins de droits que ne lui aurait concédés le tribunal du for naturel de sa partie adverse18. La partie faible au contrat peut être ainsi procéduralement favorisée, mais non point matériellement.

– Le processus d’exécution forcée prévu par la CL rév. est extraordinai-rement rapide en ce qu’il permet le prononcé de l’exequatur (art. 41 et 53 CL rév.) assorti de mesures conservatoires (art. 47 CL rév.) sans au-dition de la partie adverse ; certes y a-t-il une voie de recours (art. 43 ss CL rév.), mais ce dispositif, en ce qu’il ne permet pas un plein débat en première instance, est en réalité une atteinte au principe du double degré de juridiction cantonale19 ; l’on peut donc se demander pourquoi accorder ces concessions exorbitantes au principe de célérité au détri-ment du principe de sécurité20 si, dans le même temps, rien n’est fait pour accélérer le processus de notification.

15 Comme l’a fait le Danemark, cf. Protocole no 1, FF 2009 1584, art. I al. 3.

16 Cf. Protocole no 1 , FF 2009 1585, art. III.

17 Qualification qui s’opère le plus souvent lege fori.

18 Le droit matériel suisse est parfois moins protecteur que le droit communautaire. Sur ces questions, cf. Bonomi A., “Le droit applicable aux contrats : faut-il adapter la LDIP au règlement Rome I ?”, in La loi fédérale de droit international privé : vingt ans après, Actes de la 21e Journée de droit international privé du 20 mars 2009 à Lausanne, Bonomi A. / Cashin Ritaine E. (éds), p. 111 ss ; du même auteur, “Les contrats conclus par les consommateurs dans la Convention de Lugano révisée”, in La Convention de Lu-gano : passé, présent et devenir, Actes de la 19e Journée de droit international privé du 16 mars 2007 à Lausanne, Bonomi A. / Cashin Ritaine E. / Romano G. P., p. 65 ss.

19 Art. 75 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF).

20 Sur ces principes et leur hiérarchie, cf. chap. IV ci-après. 

– Dans le même ordre d’idées, en adhérant à la CL rév., la Suisse a ma-nifesté un degré de confiance élevé dans la coopération judiciaire eu-ropéenne mais a retiré cette confiance en mettant en avant des pro-tections en matière de notification internationale des actes judiciaires au point qu’en dépit de la CL rév., le processus de notification avec des Etats membres tels la Belgique, le Royaume-Uni ou l’Espagne est iden-tique à celui qui prévaut avec la Barbade, le Botswana ou le Malawi21. Cependant, dans le même temps, les choses ont considérablement évolué dans l’espace de l’Union européenne, que ce soit par l’approfondissement et l’extension des règles de compétence par voie législative ou jurispruden-tielle, ou par l’extension territoriale de son champ d’application :

– La Convention de Bruxelles, qui à l’origine liait six Etats, est devenue par modifications et adhésions successives un règlement liant 26 Etats (geographischer Anwendungsbereich).

– Les règles de compétence territoriale personnelle ( raümlich-persönli-cher Anwendungsbereich) se sont étendues par voie jurisprudentielle ; ainsi, une partie domiciliée hors du périmètre de la Convention de Bruxelles et ouvrant action devant un tribunal d’un Etat membre peut se voir opposer les règles de compétence territoriale posées par cette convention22 ; la Convention de Bruxelles détermine aussi la compé-tence directe d’un tribunal d’un Etat membre saisi d’un litige de ca-ractère international quant bien même les parties en litige sont l’une et l’autre domiciliées dans cet Etat23.

– Le Règlement (CE) 44/2001, renonçant au système antérieur qui vou-lait que le juge saisi déterminât le domicile des parties selon les règles de son propre droit24, retient désormais un cumul des critères de dé-termination du siège social des personnes morales selon leur siège sta-tutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement (art. 60).

21 Ces six Etats ont le trait commun d’être liés à la Suisse par la Convention de La Haye, du 15 novembre 1965, relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (RS 0.274.131), à l’exclusion de tout accord dérogatoire permettant de lever les contraintes de la notifi-cation internationale par la voie diplomatique.

22 Arrêt CJCE du 13 juillet 2000, C-412/98, Group Josi Reinsurance Company SA et Uni-versal General Insurance Company (UGIC), Rec. 2000 I-5925.

23 Arrêt CJCE du 1er mars 2005, C-281/02, Andrew Owusu contre N.B. Jackson et autres, Rec. 2005 I-01383.

24 Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (J.O.C.E. C 27 du 26 janvier 1998), art. 52.

La Suisse, en adhérant à la CL rév., a intégré nolens volens l’ensemble de ces évolutions. Cette intégration est intervenue par trois démarches :

– La Suisse a accepté la teneur du Règlement (CE) du 22 décembre 2000 avec ses développements, ne résistant que sur la question de l’accepta-tion des vices de notifical’accepta-tion (la réserve à l’art. 34 par. 2) ; les autres as-pects ont été acceptés, comme la protection accrue du consommateur de services (art. 15 CL rév.) ou la détermination du siège social d’une personne morale (art. 60 CL rév.).

– Le législateur a créé un nouveau cas de séquestre – celui fondé sur l’existence d’un titre de mainlevée définitive – dans l’idée d’offrir à tout jugement, qu’il soit soumis ou non au régime de la CL, un régime de protection provisionnel (cf. chap. II ci-après).

– Il a reçu dans le champ du droit interne la figure juridique du titre authentique exécutoire à l’imitation de ce qui existe dans d’autres lé-gislations (cf. chap. III ci-après).

Une mention particulière doit être faite de l’art. 60 CL rév.25. On sait que, de longue tradition, le droit international privé suisse fait du lieu d’incor-poration d’une société le critère de rattachement principal de celle-ci à un ordre juridique national (art. 21 al. 2 de la loi fédérale sur le droit interna-tional privé [LDIP])26. Il est ainsi remarquable que l’art. 60 CL rév. déroge au système du droit commun en introduisant un cumul des critères de rattachement, mettant sur le même pied27 le “siège statutaire” de la société, son “administration centrale” et son “principal établissement” (art. 60 ch. 1 CL rév.). Cette dérogation est d’une portée théorique et pratique d’au-tant plus grande qu’en adhérant à la CL rév., la Suisse a dû accepter les enseignements jurisprudentiels de la Cour de justice des Communautés européennes28 et donc la jurisprudence Group Josi29 qui veut qu’une partie domiciliée hors du périmètre de la CL rév. et ouvrant action devant un tribunal d’un Etat membre doit se soumettre aux règles de compétence ter-ritoriale posées par cette convention, mais peut aussi se mettre au bénéfice

25 Cf. Message du Conseil fédéral du 18 février 2009, FF 2009.

26 Pour un exposé de cette règle : Bucher A. / Bonomi A., Droit international privé, 2e éd., Bâle/Genève/Munich (Helbing & Lichtenhahn) 2004, p. 315 ss, no 1170 ss.

27 Et non plus dans une relation de subsidiarité comme le prévoit l’art. 21 al. 2 LDIP.

Cf. Message du Conseil fédéral du 18 février 2009, FF 2009 1521-1522.

28 Cf. Protocole no 2 sur l’interprétation uniforme de la convention et sur le comité per-manent (FF 2009 1586 ss) ; Message du Conseil fédéral du 18 février 2009, FF 2009 1534.

29 Citée à n. 22 ci-dessus.

des dispositions de celle-ci. Ainsi, en adhérant à la CL rév., la Suisse, sans vraisemblablement y prêter garde, a ajouté dans son droit commun une règle de compétence territoriale, en sus de celles énoncées aux art. 151 à 153 LDIP, qui pourrait avoir la teneur suivante : “Les tribunaux suisses du lieu où est administrée une société étrangère sont compétents pour connaître de toute prétention dirigée contre celle-ci” !

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