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Caractère pénal des procédures d’enforcement de la FINmA ?

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 133-137)

Les procédures coercitives AdministrAtives et Les procédures pénALes sous L’empire

C. Caractère pénal des procédures d’enforcement de la FINmA ?

Les procédures d’enforcement de la FINMA ont-elles un caractère pénal au sens de l’art. 6 CEDH ?

La Cour européenne des droits de l’homme recourt à trois critères – qualifiés de “critères Engel” – pour juger du caractère pénal d’une pré-tention66. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et non cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale67. Se fondant sur ces considérations, la Cour

63 Arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie (requête no 14939) du 10 février 2009, §§ 48 ss.

64 ATAF B-1215/2009 (arrêt Sulzer) (note 56) c. 4.3. Voir aussi la jurisprudence citée à la note 61 au sujet de l’indépendance de l’autorité de décision.

65 ATAF B-1215/2009 (arrêt Sulzer) (note 56) c. 4.3.1 in fine.

66 Par référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans la cause Engel et autres c. Pays-Bas (requêtes nos 5100/71 ; 5101/71 ; 5102/71 ; 5354/72 ; 5370/72) du 8 juin 1976.

67 Arrêt Dubus S.A. c. France (requête no 5242/04) du 11 juin 2009, § 36.

européenne des droits de l’homme a jugé qu’un blâme infligé par la Com-mission bancaire française à une entreprise d’investissement pour contra-vention à la règlementation en matière de fonds propres “était de nature à porter atteinte au crédit de la société sanctionnée entrainant pour elle des conséquences patrimoniales incontestables” et avait donc un caractère pénal68.

Dans ce contexte, la position selon laquelle les procédures d’ enfor-cement de la FINMA n’auraient pas de caractère pénal semble sujette à caution à plusieurs égards.

Premièrement, s’il est exact que les mesures susceptibles d’être prises par la FINMA relèvent du droit administratif en Suisse, ce point n’est pas déterminant dans le contexte de l’art. 6 CEDH. La nature de l’infraction doit dans ce cas être prise en considération. Or la FINMA ne cache pas le caractère rétributif (et non seulement préventif) des mesures prises dans le cadre des procédures d’enforcement69. Ces procédures ne tendent donc pas seulement à la prise de mesures, mais bien à l’imposition de sanctions.

L’action de la FINMA dans ce domaine va au-delà de la surveillance des intermédiaires ainsi que de la protection des investisseurs et du marché.

Elle tend à prévenir la répétition d’infractions et à punir. Selon la Cour européenne des droits de l’homme et le Tribunal fédéral, ces éléments sont caractéristiques de causes pénales70.

Deuxièmement, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le degré de sévérité de la sanction susceptible d’être imposée doit aussi être pris en compte pour juger de la “coloration pénale”

de la procédure. La législation fédérale permet à la FINMA d’interdire au collaborateur d’un négociant de pratiquer le commerce des valeurs mobi-lières (mesure connue en pratique sous le nom de Händlerverbot)71. L’in-terdiction peut avoir un caractère provisoire, ou être faite pour une durée

68 Idem, § 37.

69 Voir par exemple le Rapport annuel 2009 de la FINMA, 20, qui se réfère explicitement à des “sanctions administratives”.

70 “[T]he surcharges were imposed by a rule whose purpose was deterrent and punitive.

Without more, the Court considers that this establishes the criminal nature of the offence.” Arrêt Jussila c. Finlande (requête no 73053/01) du 23 novembre 2006, § 38.

Dans le même sens ATF 125 I 104 c. 2a et ATF 1P.102/2000 du 11 août 2000 c. 1c. Voir aussi l’ATF 121 II 22, 25-28 c. 3 (volet pénal de l’art. 6 CEDH jugé applicable à un retrait de permis d’admonestation en raison du caractère punitif de la mesure).

71 Art. 35a LBVM.

indéterminée. De même, la FINMA peut interdire à l’auteur d’une vio-lation grave du droit de la surveillance d’exercer une fonction dirigeante dans l’établissement d’un assujetti pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans72. De telles mesures peuvent avoir des conséquences extrêmement graves pour les personnes concernées, que ce soit sur le plan personnel ou financier. Elles peuvent conduire au licenciement ou à la mise à l’écart de la personne concernée. Elles peuvent aussi compromettre la faculté de ces personnes de trouver une nouvelle position, et affecter ainsi l’ensemble de leur carrière. Une suspension a donc souvent des conséquences plus graves qu’une sanction fondée sur le droit pénal ordinaire, qui est en pratique souvent assortie du sursis.

Certes, les procédures d’enforcement peuvent donner lieu à des me-sures moins incisives qu’une interdiction de pratiquer. La FINMA peut par exemple se contenter de constater un manquement73 ou de publier sa décision74. Toutefois, il ne semble pas possible d’exclure d’emblée qu’une décision en constatation (et a fortiori la publication de cette décision) soit qualifiée de pénale au sens de l’art. 6 CEDH. Dans l’affaire Dubus S.A. c.

France, la Cour européenne a identifié une “coloration pénale” dans un cas dans lequel un simple blâme avait été prononcé75. Les décisions de consta-tation de la FINMA présentent certaines analogies avec un blâme, et de-vraient donc logiquement se voir appliquer le même régime. Par ailleurs, la FINMA dispose d’une grande marge d’appréciation dans le choix des mesures qu’elle entend prendre dans un cas particulier. Une suspension du droit d’exercer ne peut donc que rarement être exclue a priori. Or selon la Cour européenne des droits de l’homme, “la coloration pénale d’une ins-tance est subordonnée au degré de gravité de la sanction dont est a priori passible la personne concernée […] et non à la gravité de la sanction fina-lement infligée”76. Le fait qu’une mesure à caractère pénal puisse être prise dans un cas concret suffit donc en principe à affecter la qualification de la procédure.

Troisièmement, la pertinence de l’argument généralement invoqué pour exclure le volet pénal de l’art. 6 CEDH – le fait que ces procédures

72 Art. 33 LFINMA.

73 Art. 32 LFINMA.

74 Art. 34 LFINMA.

75 Arrêt Dubus S.A. c. France (requête no 5242/04) du 11 juin 2009, §§ 37 et 38.

76 Idem, § 37.

auraient un caractère disciplinaire77 – est sujette à caution. Il est exact que les garanties procédurales de l’art. 6 CEDH ne s’appliquent en principe pas en matière disciplinaire78. Toutefois, il semble douteux que les procédures d’enforcement de la FINMA puissent être rangées dans cette catégorie.

En effet, les organes et collaborateurs de banques ne sont pas directement soumis à la surveillance de la FINMA. La surveillance est exercée sur la banque, le négociant en valeurs mobilières ou les autres établissements qui exercent une activité soumise à autorisation. Les organes et les employés de ces établissements ne sont pas autorisés à titre personnel, et n’entre tiennent par conséquent pas de relation juridique particulière avec l’autorité. Leur situation se distingue en cela de celle des personnes qui exercent des pro-fessions libérales (comme par exemples les médecins ou les avocats), et qui font l’objet d’une surveillance personnelle. Leur statut ne peut pas non plus être comparé à celui des personnes assujetties à des régimes administratifs spéciaux pour lesquelles la jurisprudence admet l’exercice d’un pouvoir disciplinaire en marge du régime pénal, comme c’est par exemple le cas pour les fonctionnaires79, les militaires80 ou les prisonniers81. Le Tribunal administratif fédéral admet d’ailleurs que les procédures d’enforcement peuvent être dirigées contre certains non-assujettis, comme par exemple des actionnaires de sociétés cotées en bourse82. Le Département fédéral des finances envisage en outre d’étendre le pouvoir d’enforcement de la FINMA à l’ensemble de la population83. Cela confirme que les procé-dures de la FINMA dans ce domaine n’ont pas un caractère exclusivement disciplinaire.

En outre, selon la jurisprudence, les procédures disciplinaires n’échap-pent aux règles pénales que si les sanctions susceptibles d’être imposées

77 Basler Kommentar Börsengesetz / Finanzmarktaufsichtsgesetz (2e éd., 2011) – Peter Ch. Hsu / Rashid Bahar / Daniel Flühmann, Art. 32 FINMAG NN 12-13 et Art. 33 FINMAG N 10. Voir dans ce sens, au Royaume-Uni, l’arrêt de la Court of Appeal du 21 décembre 2001 dans la cause Bertrand Fleurose c. The Securities & Futures Authority Ltd. and the Disciplinary Appeal Tribunal of the Securities & Futures Authority Ltd. (cas no CO/988/2000 2001/1033).

78 ATF 121 I 379 c. 3c ; ATF 125 I 105 c. 2a ; ATF 1P.102/2000 du 11 août 2000 c. 1c.

79 ATF 121 I 379.

80 Arrêt de la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire Borrelli c.

Suisse (requête no 17571/90) du 2 septembre 1993, résumé in JAAC 57.62.

81 ATF 125 I 104.

82 ATAF B-1215/2009 (arrêt Sulzer) (note 56) c. 4.

83 Art. 33h à 33m AP-LBVM (note 8).

sont de peu d’importance84. Or tel n’est en principe pas le cas des pro-cédures d’enforcement de la FINMA. La Cour européenne des droits de l’homme a jusqu’ici laissé indécise la question de savoir si une interdic-tion d’exercer une profession libérale pendant une période pouvant aller jusqu’à une année constitue une cause pénale au sens de l’art. 6 CEDH85. Il semble donc difficile d’exclure qu’une interdiction potentiellement il-limitée d’exercer une activité dans le domaine des valeurs mobilières ou qu’une interdiction d’exercer une fonction dirigeante dans un établisse-ment soumis à surveillance pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans échappent à cette qualification.

D. Situation en cas de report de la décision de dénoncer

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 133-137)

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