• Aucun résultat trouvé

Blanchiment et violation du devoir de vigilance

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 175-179)

chronique de LA jurisprudence civiLe

A. Blanchiment et violation du devoir de vigilance

L’arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2009 du 27 juillet 2010 porte sur la res-ponsabilité délictuelle, ici rejetée, de la banque qui tient des comptes utili-sés pour commettre des actes de blanchiment.

Les faits à l’origine de cette affaire concernaient une banque bré-silienne victime de détournements de fonds pour un montant total de USD 243 millions. Ces malversations avaient été commises par l’un des directeurs de cet établissement qui avait procédé, avec l’aide de plusieurs complices, à des transferts provenant des liquidités de la banque. Les fonds détournés avaient transité par plusieurs comptes dans divers pays parmi lesquels un compte tenu par la succursale zurichoise d’une banque anglaise (pour un montant de USD 77 millions) et un compte tenu par la succursale genevoise d’une banque zurichoise (pour un montant de USD 45 millions).

Le premier compte avait été ouvert en juillet 1995 et clôturé en mai 1997.

Le second avait été ouvert pour prendre le relais, en juin 1997, et avait cessé d’être alimenté en janvier 1998. A teneur de l’arrêt du Tribunal fédéral, il apparaît que les deux établissements bancaires suisses, et en particulier le premier, avaient à moult reprises interpellé les titulaires des comptes pour obtenir des renseignements concernant l’arrière-plan économique des transactions effectuées sur ces comptes.

Sur le plan pénal, tant le directeur de la banque brésilienne que les titulaires des comptes ouverts en Suisse ont été condamnés pour actes de blanchiment. En revanche, les gestionnaires des comptes ouverts auprès des succursales suisses n’ont pas même été inculpés. Sur le plan civil, les actionnaires de la banque brésilienne ont formé une demande en paiement contre ces établissements en Suisse puisque l’intégralité des fonds détour-nés n’avait pu être retrouvée. En l’absence de toute relation contractuelle entre les deux banques défenderesses et la banque brésilienne, l’action s’est fondée sur la responsabilité extracontractuelle des premières, soit plus précisément sur un prétendu acte illicite (art. 41 CO) commis par leurs employés qui aurait consisté dans le blanchiment d’argent réprimé par

l’art. 305bis CP. Le Tribunal fédéral a confirmé les décisions cantonales rejetant la demande.

Notre Haute Cour rappelle d’abord la jurisprudence désormais établie selon laquelle l’art. 305bis CP constitue une norme protectrice des intérêts patrimoniaux de ceux qui sont lésés par le crime préalable au blanchiment, de sorte que sa violation peut fonder un acte illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO1. Une telle infraction peut fonder un devoir d’indemniser la victime par la banque dont la responsabilité est engagée lorsque la violation de l’art. 305bis CP est le fait de l’un de ses organes (art. 55 CC cum art. 41 al. 1 CO) ou employés (art. 55 CO). En revanche, ni l’art. 305ter CP réprimant le défaut de vigilance des intermédiaires financiers2, ni la LBA et ses ordon-nances d’application3 ne constituent une telle norme de protection.

Le Tribunal fédéral a aussi relevé que ni la circulaire CFB 91/3 (direc-tives concernant la prévention et la lutte contre le blanchiment) en vigueur à l’époque des faits4 ni la Convention de diligence des banques (CDB), dans ses versions successives, ne peuvent fonder un acte illicite en-dehors des hypothèses visées par les art. 305bis et 305ter CP5. A propos de la CDB, il rappelle d’ailleurs que, “n’émanant pas d’une autorité, [elle] est une norme privée qui ne lie pas le juge”6.

Si l’instance cantonale supérieure, ici la Cour de justice de Genève, s’est interrogée sur le besoin de réexaminer ce dernier point après l’entrée en vigueur de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA), il convient néanmoins de maintenir cette affirmation7. La CDB est une norme d’auto régulation approuvée et déclarée obligatoire par la FINMA8. Elle ne peut pas avoir un statut juridique plus élevé qu’une ordonnance prise par cette même FINMA sur la base d’une délégation législative. Dès lors que ni l’art. 305ter CP ni la LBA ne sont des normes de protection des intérêts privés, la

1 TF, 27 juillet 2010, 4A_594/2009, c. 3.4 ; ATF 133 III 323, c. 5.1 ; voir également ATF 129 IV 322 et SJ 1998 646.

2 4A_594/2009, c. 3.4 ; TF, 13 juin 2008, 4A_21/2008, c. 5, non reproduit in ATF 134 III 529. Voir également ATF 125 IV 139, c. 3d.

3 4A_594/2009, c. 3.4 ; ATF 134 III 529, c. 4.3.

4 Aujourd’hui remplacée par l’ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-FINMA).

5 4A_594/2009, c. 3.4.

6 Idem et jurisprudence citée.

7 Aurélie Conrad Hari, Actualité CDBF no 702 du 27 octobre 2010.

8 Circ. FINMA 2008/10 Normes d’autorégulation reconnues comme standards mi-nimaux.

réglementation et l’autoréglementation qui en résultent ne peuvent pas modifier cette qualification.

Le Tribunal fédéral confirme, par ailleurs, que tout comme l’infrac-tion pénale (art. 305bis CP), le délit civil (art. 41 al. 1 CO) de blanchiment d’argent n’est réalisé qu’en cas de faute intentionnelle de l’auteur, le dol éventuel étant suffisant à l’exclusion de la négligence consciente9. Il y a dol éventuel lorsque “l’auteur envisage le résultat dommageable mais agit néanmoins parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait même s’il ne le souhaite pas”10.

On sait que la différence entre dol éventuel et négligence consciente est délicate à établir dans les faits puisque ces concepts ne se distin-guent que par l’élément volitif, ce dernier étant absent dans la négligence consciente, et que “dans le doute, il faut retenir qu’il y a seulement né-gligence consciente”11. Il s’agit là d’une question de pure appréciation des preuves que le Tribunal fédéral ne revoit que “si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte” (art. 105 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral [LTF]), ce qui en l’espèce revient à devoir examiner “s’il est insoutenable de dire que la preuve du dol éventuel n’a pas été apportée”12.

Dans le cas d’espèce, la Cour de justice avait retenu que la première banque avait ouvert en juin 1995 le compte sur lequel avaient transité les fonds détournés sur la base des recommandations d’un client déjà existant et que son gestionnaire avait reçu à l’époque des explications plausibles sur l’activité des titulaires. Constatant par la suite des transferts de fonds importants, le gestionnaire s’en était inquiété dès octobre 1996 et avait sollicité des explications. Celles-ci lui ayant paru plus ou moins crédibles, il avait continué à demander des informations sur les transactions sous-jacentes. Insatisfait de ces nouvelles explications, il avait en avril 1997 prié les titulaires d’éviter d’utiliser ce compte pour des opérations de transit puis, en mai 1997, les avait informés que la banque retournerait avec effet immédiat tous fonds dont les ayants droit économiques ne seraient pas les titulaires du compte ou qui ne seraient pas le produit d’une véritable transaction commerciale. Enfin, en juillet 1997, la banque avait clôturé le compte.

9 4A_594/2009, c. 3.5 ; ATF 133 III 323, c. 5.2.3.

10 4A_594/2009, c. 3.5 et jurisprudence citée.

11 Idem in fine.

12 4A_594/2009, c. 3.6.

Selon le Tribunal fédéral, la Cour de justice ne s’est pas livrée à une constatation manifestement inexacte des faits en rejetant le dol éventuel.

Même si le gestionnaire du compte aurait pu agir plus rapidement, cela ne suffit pas encore, aux yeux de la Cour de justice, pour conclure qu’il accep-tait l’éventualité de traiter des fonds provenant d’un crime. Au contraire, la Cour a vu dans le comportement du gestionnaire une escalade dans les doutes de la banque suivis par des demandes répétées de renseignements, des mesures restrictives progressives puis finalement la clôture du compte dans un temps (octobre 1996 à juillet 1997) qui ne lui a pas paru excessif et qui l’a convaincue que le gestionnaire désapprouvait l’idée que des actes de blanchiment soient réalisés à l’aide du compte en question.

Cet arrêt démontre l’importance, voire même la nécessité, de la sur-veillance des transactions sur les comptes de clients et surtout, lorsque ces transactions éveillent certains soupçons, d’un suivi tenace et assez rapide des vérifications auprès des clients et des mesures mises en place. C’est cette “escalade dans la réaction” qui a ici permis au gestionnaire d’échap-per à toute poursuite pénale et à la banque qui l’employait à une condam-nation civile.

Dans un arrêt de principe13 postérieur à la Journée 2010 de droit ban-caire et financier, la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a confirmé le caractère impératif du suivi de la relation bancaire. A cette occasion, il a tranché une question controversée en doctrine en jugeant que l’intermé-diaire financier peut, en raison de sa seule passivité, se rendre coupable de violation de l’art. 305bis CP puisqu’il se trouve, depuis l’entrée en vigueur de la LBA, dans une position de garant qui entraîne pour lui une obligation d’agir (art. 11 al. 1 CP). Cette obligation implique notamment de clarifier l’arrière-plan économique et le but de la relation d’affaires dans les situa-tions douteuses et d’informer le Bureau de communication en matière de blanchiment, le cas échéant.

Sous l’angle de la responsabilité civile, cette jurisprudence ouvre la voie aux plaideurs qui pourraient à l’avenir fonder un acte illicite (art. 41 CO) sur la violation de ce devoir d’agir de l’intermédiaire financier.

13 TF, 3 novembre 2011, 6B_908/2009, commenté par Aurélie Conrad Hari, Actualité CDBF no 723 du 12 janvier 2011.

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 175-179)

Documents relatifs