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Les moyens de preuve “novateurs”

procédure civiLe : moyens de preuve et secret bAncAire

C. Les moyens de preuve “novateurs”

1. Le témoignage expertise

Un certain nombre de lois de procédure cantonales proscrivaient toute confusion des rôles entre le témoin et l’expert, ce qui interdisait de faire venir à la barre l’auteur d’une expertise privée dès lors que celui-ci ne

37 Voir à ce sujet BSK ZPO-Dolge A., art. 184 N 23 ss.

38 Message, p. 6933.

venait pas pour déposer sur des faits dont il avait eu une connaissance directe39. A première vue, le CPC confirme cette dichotomie de principe, puisque le témoin ne s’exprime que sur des faits dont il a eu “une percep-tion directe” (art. 169 CPC). Toutefois, le législateur fédéral entrouvre la porte au témoignage expertise, dès lors qu’à teneur de l’article 175 CPC,

“lorsqu’un témoin possède des connaissances spéciales, le tribunal peut également l’interroger aux fins d’apprécier les faits de la cause”. Cette règle figure parmi les dispositions relatives au témoignage (chapitre 3, section 2, à savoir les articles 169 à 176 CPC), tandis que la présence de l’adverbe “éga-lement” au sein de l’article 175 CPC ne laisse guère planer de doute : le témoin expert doit pouvoir être entendu comme témoin à titre principal, c’est-à-dire déposer sur des faits dont il a eu une perception directe, pour qu’on puisse envisager, dans un deuxième temps, de l’entendre pour profi-ter des connaissances spéciales dont il dispose, de façon à faciliprofi-ter l’appré-ciation de certains faits par le tribunal40. Cela dit, la déposition du témoin expert ne saurait en aucun cas être assimilée à un rapport d’expertise, même présenté oralement au sens de l’article 187 al. 1 CPC.

2. L’expertise-arbitrage

L’article 189 al. 1 CPC habilite les parties à convenir “que des faits contes-tés soient établis par un expert-arbitre”. L’expertise-arbitrage se caractérise par le fait que la personne désignée comme expert ne se contente pas d’ap-porter ses connaissances spécifiques au juge pour permettre à ce dernier de trancher un fait contesté, mais se substitue au juge : il tranche lui-même et d’une façon qui lie les parties comme le juge. L’expertise-arbitrage trouve son fondement dans une convention de procédure conclue par les parties elles-mêmes et dont la forme est régie par l’article 17 al. 2 CPC (art. 189 al. 2 CPC). Cela signifie que cette convention “doit être passée en la forme écrite ou par tout autre moyen permettant d’en établir la preuve par un texte”

(art. 17 al. 2 CPC).

Cette intrusion dans le pouvoir d’appréciation du juge en matière d’ap-préciation des faits consacre une exception importante à la règle (art. 157 CPC), raison pour laquelle elle n’est admise qu’avec une certaine retenue,

39 Bertossa / Gaillard / Guyet / Schmidt, art. 222 N 4.

40 Weibel H. / Nägeli S., in : Sutter-Somm / Hasenböhler / Leuenberger, ZPO Komm., art. 175 N 2.

ce qui ressort des cautèles constituées par les conditions cumulatives énu-mérées à l’article 189 al. 3 CPC : le litige relève de la maxime de dispositions (lit. a), aucun motif de récusation n’est opposable à l’expert-arbitre (lit. b), et “le rapport a été établi avec impartialité et n’est entaché d’aucune erreur manifeste” (lit. c). En d’autres termes, les faits établis par l’expert-arbitre devront en quelque sorte faire l’objet d’une homologation par le tribunal, étant encore précisé que l’article 189 CPC n’est applicable qu’en relation avec des faits contestés dont l’appréciation nécessite des connaissances techniques particulières41.

3. Les renseignements écrits

En matière procédurale, la tradition continentale veut que les renseigne-ments ou appréciations fournis par un tiers qui s’exprime en souscri-vant une déclaration n’ont pas de véritable valeur probatoire : le titre qui consigne une telle déclaration n’est qu’une pièce parmi d’autres, dont le contenu n’aura de véritable valeur probatoire que dans la mesure où son souscripteur vient le confirmer à la barre en qualité de témoin.

L’article 190 al. 1 CPC entrouvre la porte en érigeant au rang de preuve des renseignements écrits émanant de services officiels, pour autant qu’ils aient été requis par le tribunal (art. 190 al. 1 CPC). Le juge dispose de la faculté d’agir de la sorte, sans y être obligé42. De tels renseignements écrits se caractérisent à double titre : d’une part, ils doivent avoir été requis par le tribunal et adressés à celui-ci ; d’autre part, ils émanent de “services offi-ciels”, ce qui englobe tous les services administratifs fédéraux, cantonaux et communaux. On devrait y inclure des entités de droit public au bénéfice d’une délégation (par exemple les postes).

L’article 190 al. 2 CPC ouvre le champ à un élargissement du recours aux renseignements écrits puisque le tribunal peut également requérir de telles informations auprès “de personnes dont la comparution à titre de témoin ne semble pas nécessaire”. L’élargissement suggéré par cette dispo-sition doit être considéré de façon restrictive43. On ne saurait basculer dans

41 Ainsi le Message (p. 6933) de préciser que l’expert-arbitre est un tiers “jouissant de connaissances spéciales”. Voir aussi Vouilloz, p. 842.

42 Voir le verbe “peut” utilisé à l’art. 190 al. 1 CPC.

43 Weibel H. / Nägeli S., in : Sutter-Somm / Hasenböhler / Leuenberger, ZPO Komm., art. 190 N 10.

la pratique des affidavits prévus par le droit anglo-américain de procédure.

A ce titre, le message cite l’exemple du médecin auteur d’un certificat médi-cal dont l’audition n’apparaît pas d’emblée nécessaire s’il s’agit simplement de le confirmer devant la barre44. La jurisprudence aura l’occasion de pré-ciser les limites d’un tel élargissement. On peut penser que l’article 190 al. 2 pourrait trouver application eu égard à des renseignements écrits fournis par un établissement bancaire à l’attention du juge. Le critère consistera bien souvent à se demander dans quelle mesure l’auteur de renseignements écrits jouit d’une crédibilité similaire à celle des services officiels mention-nés à l’article 190 al. 1 CPC.

4. Les dires des parties

Ici aussi, le CPC sort des schémas procéduraux traditionnels : élever les dires des parties au rang de moyens de preuve ne va en effet pas de soi.

Une approche superficielle de la question porte en effet à considérer de telles dispositions comme inutiles ab initio, partant du postulat selon le-quel une partie à la procédure se contentera de répéter les écritures de son avocat. Or, la pratique démontre que la comparution personnelle d’une partie fournit bien souvent des renseignements très utiles au juge en charge d’apprécier les faits. En effet, le comportement d’une partie durant son au-dition, sa façon de réagir aux questions ou à la confrontation permettent au contraire au tribunal de tirer de précieuses indications quant à la cré-dibilité de celle-ci, ce qui, à la réflexion, justifie pleinement cette élévation des dires des parties au rang de moyens de preuve, un procédé qui prévaut d’ailleurs dans la plupart des procédures arbitrales.

Du reste, il convient de tempérer les conséquences d’un tel procédé en se souvenant que le juge fera usage en tout état de cause du principe de la libre appréciation des preuves (art. 157 CPC), ce qui lui permettra d’ap-porter toute pondération nécessaire lorsqu’il s’agira de se prononcer sur la crédibilité des dires des parties45. C’est du reste en vertu du même pouvoir d’appréciation que le juge sera amené à trancher entre deux dépositions testimoniales contradictoires.

44 Message, p. 6934.

45 Weibel H., in : Sutter-Somm / Hasenböhler / Leuenberger, ZPO Komm., art. 191/

192 N 5.

Le CPC prévoit une gradation de la valeur probatoire conférée aux dires des parties en distinguant deux modes d’audition de celles-ci, à sa-voir l’interrogatoire (art. 191 CPC) et la déposition (art. 192 CPC).

a. L’interrogatoire (“Parteibefragung”)

L’article 191 al. 1 CPC habilite le tribunal à “auditionner les deux parties ou l’une d’entre elles sur les faits de la cause”. Il s’agira alors d’une audi-tion non qualifiée durant laquelle les parties seront exhortées à répondre conformément à la vérité (art. 191 al. 2 CPC). Préalablement à cet inter-rogatoire, le tribunal doit rendre les parties attentives au fait qu’en cas de mensonge délibéré, elles risquent une amende disciplinaire de Sfr. 2000 au plus “et, en cas de récidive, de Sfr. 5000 au plus” (art. 191 al. 2 CPC). Il ne s’agit ici que de sanctions disciplinaires à caractère procédural, sans qu’il soit question d’infraction pénale46.

b. La déposition (“Beweisaussage”)

La déposition des parties est une forme d’audition qualifiée qui habilite le tribunal à “contraindre les deux parties ou l’une d’entre elles à faire une déposition” (art. 192 al. 1 CPC)47. Ce type d’audition, auquel le tribunal peut procéder d’office, s’opère sous la menace de sanctions pénales, ce qui découle expressément de la teneur de l’article 192 al. 1 CPC.

Les parties sont alors exhortées au préalable à répondre conformément à la vérité, tout en étant rendues attentives aux conséquences d’une fausse déclaration au sens de l’article 306 CP (art. 192 al. 2 CPC)48. Il convient toutefois de préciser la “contrainte” visée par l’article 192 al. 1 CPC. Il ne saurait être question pour le juge de faire usage de l’une ou l’autre des fa-cultés mentionnées à l’article 167 al. 1 CPC, cette disposition ne s’appli-quant qu’aux tiers. En revanche, la partie qui refuserait de donner suite à l’injonction de faire une déposition au sens de l’article 192 CPC s’expose-rait aux conséquences prévues par le législateur en cas de refus injustifié d’une partie à la procédure de collaborer à l’administration des preuves :

46 Vouilloz, p. 847.

47 Gasser / Rickli, art. 192 N 1.

48 Vouilloz, p. 848.

le tribunal tiendra compte d’un tel refus lors de l’appréciation des preuves (art. 164 CPC)49. Il va de soi que l’article 164 CPC ne s’applique pas lorsque la partie qui refuse de faire une déposition le fait en se prévalant d’un re-fus justifié de collaborer, puisque dans un tel cas le tribunal est lié par l’article 162 CPC. On relèvera enfin que ces principes s’appliquent mutatis mutandis à la partie qui refuserait d’être auditionnée en application de l’article 191 CPC50.

IV. L’obligation et le refus de collaborer

Comme on peut s’en douter, l’administration des moyens de preuve énu-mérés à l’article 168 al. 1 CPC nécessite en tout état de cause la collabora-tion des parties elles-mêmes, ou celle des tiers. Dans cette mesure, le CPC se devait de fixer les contours et les limites de l’obligation de collaborer de ces personnes, une problématique réglée par les articles 160 à 167 CPC, les-quels constituent le chapitre 2 (“Obligation de collaborer et droit de refus de collaborer”) du titre 10 du CPC consacré à la preuve51.

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