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L’art. 11 LBVm comme fondement de responsabilité

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 179-182)

chronique de LA jurisprudence civiLe

B. L’art. 11 LBVm comme fondement de responsabilité

Dans l’arrêt 4A_213/2010 du 28 septembre 201014, le Tribunal fédéral a exa-miné la responsabilité civile des deux organes, domiciliés en Suisse, d’une société des Iles Vierges britanniques envers la personne qui avait confié à cette société (et non aux deux organes personnellement) un mandat de gestion de fortune. La gestion s’est par la suite avérée gravement fautive et s’est soldée par la perte d’une partie substantielle des avoirs confiés. La mandante a agi en Suisse tant sur le plan pénal que sur le plan civil contre les organes de cette entité étrangère qui avait entre-temps été liquidée. Elle a obtenu la condamnation pénale de l’un pour abus de confiance aggravé.

Le second a été acquitté, non sans avoir d’abord promis de rembourser une partie de la somme perdue. Sur le plan civil, la mandante a recherché les animateurs en qualité d’organes de sa cocontractante et leur a demandé ré-paration de son dommage direct (sur la base des art. 754 al. 1 et 827 CO15), causé par un acte illicite au sens de l’art. 41 CO. En effet, n’ayant pas de contrat avec les organes personnellement, la demanderesse a fait valoir, en vain, divers chefs de responsabilité extracontractuelle. C’est la prétendue violation de l’art. 11 de la loi sur les bourses, plaidée par la demanderesse, qui nous intéresse ici.

Le Tribunal fédéral, et plus généralement les juridictions civiles, ont mis beaucoup de temps à reconnaître la double nature civile et administra-tive de l’art. 11 LBVM qui, au titre des conditions d’autorisation de l’activité de négociant en valeurs mobilières, statue un triple devoir d’information, de diligence et de loyauté16. La portée civile de l’art. 11 LBVM est désormais bien établie. Le Tribunal fédéral écrit ainsi au considérant 4 de cet arrêt :

“à l’instar de la loi dans son ensemble, l’art. 11 LBVM a aussi pour but de protéger les créanciers et les investisseurs”17 de même que leur patrimoine.

Il en découle que sa violation peut (aussi) constituer un acte illicite au sens de l’art. 41 CO18.

14 Commenté par Aurélie Conrad Hari, Actualité CDBF no 707 du 10 novembre 2010.

15 L’application du droit suisse à cette situation internationale résulte de l’application de l’art. 159 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) selon lequel le droit suisse s’applique à la responsabilité des organes d’une société créée en vertu du droit étranger lorsque les activités de celle-ci sont exercées exclusivement en Suisse, 4A_213/2010, c. 3.

16 ATF 133 III 97, c. 5 ; TF, 21 février 2007, 4C.205/2006, c. 3.2.

17 4A_213/2010, c. 4.

18 Ibidem.

Néanmoins, ce chef de responsabilité a été écarté par notre Haute Cour qui retient que la défenderesse, société des Iles Vierges britanniques dont l’administration effective était manifestement en Suisse, n’était pas un né-gociant en valeurs mobilières pour compte de clients au sens de l’art. 1 let. d LBVM et de l’art. 3 al. 5 de l’ordonnance sur les bourses (OBVM) en raison du fait qu’elle avait moins de 20 clients et qu’elle n’agissait ainsi pas à titre professionnel19.

A notre avis, le Tribunal fédéral, qui se réfère à la circulaire CFB 98/2 Commentaires du terme de négociant en valeurs mobilières (aujourd’hui circulaire FINMA 2008/5) pour exclure la qualification de négociant pour compte de clients, fait une lecture trop restrictive de cette notion. En ef-fet, contrairement à l’ordonnance sur les banques qui définit la notion de

“dépôts du public” par référence au nombre minimum de 20 clients20, l’ordonnance sur les bourses se réfère exclusivement à l’activité “à titre professionnel”21. Interprétant cette dernière notion, la circulaire 2008/5 FINMA précise qu’il s’agit d’“une activité économique indépendante qui vise à réaliser des revenus réguliers”22. A propos des négociants pour le compte de clients, cette même circulaire ajoute, à titre alternatif : “Un né-gociant pour le compte de clients agit aussi à titre professionnel lorsqu’il tient des comptes ou conserve des valeurs mobilières, directement ou indi-rectement, pour plus de 20 clients.”23

En admettant, contrairement au Tribunal fédéral, que malgré son siège statutaire à l’étranger, la défenderesse exerçait sans autorisation une acti-vité de négociant à titre professionnel, en et depuis la Suisse24, il est inté-ressant de se poser trois questions.

Premièrement, fallait-il appliquer l’art. 11 LBVM à une entreprise exer-çant sans autorisation l’activité de négociant en valeurs mobilières ? La

19 Ibidem.

20 Art. 3a al. 2 de l’ordonnance sur les banques (OB) : “Celui qui, sur une longue période, accepte plus de 20 dépôts du public agit à titre professionnel au sens de la loi.”

21 Art. 3 al. 5 OBVM.

22 Cm 12 de la circulaire FINMA 2008/5.

23 Cm 48 et 49 ibidem. Dans le même sens, Basler Kommentar Börsengesetz / Finanz-marktaufsichtsgesetz – Philippe A. Huber / Peter Hsu, ad art. 2 let. d LBVM, N. 54.

24 David Wyss / Urs Zulauf, “Fiktiver Sitz oder faktische Zweigniederlassung ? Der räumliche Geltungsbereich schweizerischer Finanzmarktaufsichtsgesetze und ihre Durchsetzung durch die Eidg. Bankenkommission gegenüber ausländischen Banken und Effektenhändlern”, in Karl Spühler (éd.), Internationales Zivilprozess- und Ver-fahrensrecht, Zurich (Schulthess) 2001, p. 117-152 ; ATF 126 II 71, c. 5.

réponse à cette question doit être affirmative, et elle est implicite dans le raisonnement du Tribunal fédéral (qui sans cela aurait écarté ce chef de responsabilité pour le seul motif formel de l’absence d’autorisation). Elle découle du but protecteur de la LBVM à l’égard des clients25. C’est éga-lement pour cette raison que, dans une telle situation, l’autorité de sur-veillance doit prendre des mesures provisionnelles visant à protéger les investisseurs et les créanciers, nomme un chargé d’enquête et constate l’exercice d’une activité sujette à autorisation26. L’entité contrevenante est ensuite généralement mise en faillite et liquidée selon les règles de la faillite bancaire (applicables aux négociants en valeurs mobilières)27.

La seconde question porte sur la possibilité que l’art. 11 LBVM fonde non seulement des obligations contractuelles, mais de véritables devoirs généraux dont la violation constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO. La réponse doit ici aussi être affirmative. L’art. 11 LBVM protège l’in-vestisseur qui bénéfice du devoir d’information, de diligence et de loyauté du négociant, quelle que soit la qualification contractuelle de ses rapports avec le client28.

Enfin, le Tribunal fédéral aurait pu se demander si l’art. 11 LBVM s’applique encore aux organes du négociant en valeurs mobilières, lorsque ce dernier a cessé d’exister pour cause de liquidation comme dans le cas d’espèce. Il ne paraît pas farfelu de considérer que les devoirs de l’art. 11 LBVM obligent non seulement le négociant en valeurs mobilières en tant que personne morale, mais aussi – à tout le moins indirectement – ses col-laborateurs responsables. En effet, même si le texte légal de l’art. 11 LBVM parle du négociant (c’est-à-dire de l’intermédiaire assujetti), la loi et ses ordonnances déploient aussi des effets obligatoires pour les organes et col-laborateurs de ce dernier. En particulier, les “colcol-laborateurs responsables”

doivent disposer des “connaissances professionnelles nécessaires” et pré-senter “toutes garanties d’une activité irréprochable” (art. 10 al. 2 let. c et d LBVM). La FINMA peut prononcer une interdiction provisoire ou de

du-25 Cf. note 17.

26 La pratique de l’Autorité de surveillance en matière d’activités bancaires et de né-gociants non autorisés est désormais bien établie au vu des nombreuses décisions rendues dans ce domaine, voir par exemple arrêt du Tribunal administratif fédéral, 27 janvier 2010, B-5582/2008, c. 3 et jurisprudence citée, en particulier ATF 132 II 382, c. 4.2, et ATF 131 II 306, c. 4.1.3.

27 ATF 131 II 305.

28 Basler Kommentar Börsengesetz / Finanzmarktaufsichtsgesetz – Rashid Bahar / Eric Stupp, ad art. 11 LBVM, N. 11.

rée indéterminée de pratiquer le commerce des valeurs mobilières tant à l’égard des personnes exerçant une fonction dirigeante (art. 33 LFINMA) qu’à l’égard des collaborateurs responsables (art. 35a LBVM) qui ont violé gravement la loi elle-même, ses dispositions d’exécution ou les règlements internes du négociant. Lorsque les mesures administratives et discipli-naires à l’encontre des personnes responsables résultent d’une violation de l’art. 11 LBVM, il paraît difficile de ne pas voir aussi un acte illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO dans la violation de cette norme, qui a explicitement une fonction de protection des investisseurs (“envers ses clients”).

Dans le document Journée 2010 de droit bancaire et financier (Page 179-182)

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