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La nécessité d’approches combinées mêlant réglementation, marchés et innovation des entreprises pour la préservation du capital naturel

Dans le document La R evue du CGDD (Page 167-171)

Les entreprises et le capital naturel : risques, opportunités et leviers d’action

III. La nécessité d’approches combinées mêlant réglementation, marchés et innovation des entreprises pour la préservation du capital naturel

L’enjeu est de dépasser les écueils posés par les approches volontaires ou de marché d’un côté, et l’unique intervention publique, garant de l’intérêt général, de l’autre. Pour ce faire, il est nécessaire de démystifier tout d’abord l’idée de marchandisation de la nature associée à certains instruments économiques d’une part, puis de rendre compte des limites de l’analyse économique de la biodiversité, d’autre part, avant d’esquisser quelques pistes pour la construction de schémas d’organisation institutionnelle mêlant actions publiques et privées indispensables à la préservation effective du capital naturel.

1 Le mythe de la marchandisation de la nature

Les mécanismes de financement innovant de la préservation de la biodiversité, visant pour la plupart à mobiliser des fonds additionnels aux budgets publics traditionnels, et donc à solliciter d’une manière ou d’une autre le secteur privé, font l’objet de nombreuses controverses. L’une des principales tient à l’idée selon laquelle certains instruments, et parfois même l’analyse économique de manière générale, en visant à rendre compte des valeurs des services écosystémiques et à les intégrer dans la prise de décision des acteurs privés, conduiraient à une inexorable marchandisation du vivant. Celle-ci serait ainsi soumise aux arbitrages des entreprises et des institutions financières à la recherche de profits perpétuels. Il est vrai que les termes de

« marché de la biodiversité », ou de « marchés pour services écosystémiques », à l’instar des marchés du carbone ou de l’eau, sont largement employés dans la littérature scientifique et grise ce qui, par définition, porte à confusion. Mais l’idée même de marchandisation dénote un manque de compréhension des principes sous-jacents de l’évaluation économique et de la mobilisation d’instruments économiques. Concernant tout d’abord l’évaluation économique, l’économie de l’environnement a développé un certain nombre de techniques visant justement à sortir du modèle marchand pour appréhender l’ensemble des valeurs des écosystèmes (Salles, 2010). Le marché est par nature inefficace en présence d’externalités et en matière de gestion des biens publics. Or, ces caractéristiques sont intrinsèquement liées à la nature de nombreux services écosystémiques. Ainsi, la vision de la biodiversité adoptée est certes anthropocentrée et principalement instrumentale, mais en aucun cas l’estimation de la valeur économique de la biodiversité ne se traduit de facto par l’idée d’y associer un prix sur un quelconque marché où se confronteraient une offre et une demande. Concernant ensuite les instruments économiques innovants, souvent considérés comme des instruments dits de marché, là aussi, le raisonnement est erroné. Dans le cas de la compensation écologique comme dans celui des paiements pour services environnementaux (PSE), ce n’est pas une espèce, un habitat ou un service écosystémique, par nature non appropriables, qui sont vendus ou achetés, mais bien des actions de conservation ou de restauration se traduisant sur le terrain par des changements de pratiques

rémunérés sur des espaces où les acteurs disposent de droits d’usage (MEB, 2014b). A l’inverse, lorsque la mise en œuvre de PSE ou de mesures compensatoires est associée à l’utilisation d’outils juridiques comme les servitudes environnementales, ce sont en réalité des droits constitutifs de la propriété privée qui sont remis dans le domaine public. Par ailleurs, les mesures compensatoires portant sur des espaces géographiques restreints par la spécificité des habitats impactés et les PSE étant associés à des changements de pratiques ayant un impact souvent local, ce ne sont pas des marchés, par essence multilatéraux, qui sont créés, mais bien une série de relations contractuelles bilatérales entre acteurs avec des objets d’échange extrêmement variés. Sans oublier que ces accords entre acteurs sont fortement cadrés et contrôlés par la réglementation.

Ainsi, dans ces deux cas précis, le mythe de la marchandisation du vivant ne tient pas. Plus largement, quel que soit le niveau d’implication des acteurs privés, il n’existe pas actuellement et il n’existera probablement jamais de marchés de la biodiversité ou de services écosystémiques.

2 Les limites de l’analyse économique pour la préservation du capital naturel

L’analyse économique, et l’évaluation des services écosystémiques en particulier, ainsi que certains instruments associés ne peuvent être réduites à de simples vecteurs de la marchandisation du vivant. Mais, il n’en reste pas moins que la biodiversité ne peut être confinée à des considérations purement économiques.

La vision instrumentale de la biodiversité, appréhendée comme source de services écosystémiques, ne constitue qu’une des justifications possibles de sa préservation parmi d’autres, comme la reconnaissance des valeurs intrinsèques de la nature par exemple. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la compensation écologique, en France et dans de nombreux pays, n’est pas basée sur un principe d’équivalence en termes de services écosystémiques, mais bien sur une métrique adossée à des variables comme les espèces protégées, les habitats communautaires ou certaines fonctionnalités écologiques.

Par ailleurs, l’appropriation de la notion de services écosystémiques par les acteurs privés via une approche principalement économique présente le risque d’une simplification à outrance des dynamiques écologiques.

Les écosystèmes sont caractérisés par des effets de seuil, des boucles de rétroactions amplificatrices et des effets à retardement qui conduisent à des « points de basculement », ou à des changements brusques (effondrement) de l’état de la biodiversité. Ainsi, la disparition de certaines espèces dites clés de voute ou la modification de la répartition entre espèces peut engendrer une série d’effets sur l’ensemble de la chaine trophique, altérant ainsi le fonctionnement des écosystèmes dans leur totalité, et donc la disponibilité des services écosystémiques. Or, l’analyse économique, en particulier l’approche marginaliste, peine à appréhender les dynamiques non-linéaires. De manière générale, la complexité des interrelations au sein des écosystèmes pousse à adopter une vision simplifiée de la part des acteurs, mais qui se révèle être parfois trop réductrice pour être pertinente.

3 Les conditions de l’action : vers des approches combinées publiques-privées

La biodiversité, en tant que bien public, est caractérisée par des droits de propriété et une distribution des coûts et des bénéfices associés qui nécessitent une gouvernance collective de l’action supposant un certain degré de coordination entre les agents. Les résultats empiriques tendent en effet à montrer que, de manière générale, les ressources naturelles ne sont pas mieux ni moins bien gérées par des acteurs privés, dont les droits de propriété facilitent la régulation efficiente des problèmes environnementaux par le marché, ou par l’Etat, garant de l’intérêt général. Ce qui conditionne l’efficacité de la gestion, ce sont les règles établies au sein des arrangements institutionnels que les individus construisent pour protéger et maintenir les ressources dont ils ont collectivement la responsabilité. (Ostrom et Basurto, 2011).

La mise en œuvre de la compensation écologique cristallise les enjeux liés à une nécessaire approche combinée publique-privée. Basé sur l’application du principe pollueur/payeur, ce mécanisme trouve son fondement dans une obligation réglementaire de compensation des impacts résiduels des projets qui, de fait, crée une demande de la part des maîtres d’ouvrage, responsable in fine de la mise en œuvre des mesures compensatoires les concernant. Chaque acteur (maîtres d’ouvrage, services instructeurs, opérateurs de compensation…) a un rôle, des obligations, des droits et des besoins, et l’efficacité tant économique qu’environnementale du mécanisme en dépend. L’État, garant de l’intérêt général, se doit de veiller à la robustesse scientifique du dimensionnement des mesures compensatoires, à leur cohérence dans l’espace et à l’effectivité de leur mise en œuvre dans la durée. Les maîtres d’ouvrage, qui se voient imposer des obligations réglementaires, doivent intégrer leurs conséquences financières et opérationnelles au plus tôt dans la conception du projet, tout en veillant à maintenir la rentabilité de leur activité. Enfin, les opérateurs de compensation, qui peuvent prendre en charge la mise en œuvre de la compensation pour les maîtres d’ouvrage, doivent conjuguer rentabilité des opérations, robustesse écologique des actions entreprises et

maintien des risques commerciaux et opérationnels à un niveau acceptable, le tout dans un contexte de forte incertitude et sur un temps long. Cela nécessite donc des cadres réglementaires stables, prévisibles et applicables, ainsi que la mobilisation d’outils et de règles permettant l’action dans la durée tout en privilégiant les stratégies adaptatives.

Conclusion

L’objectif et les moyens de la lutte contre l’érosion du capital naturel sont beaucoup plus complexes à exprimer que dans le cas de la lutte contre le changement climatique, qui a pourtant fait l’objet de nombreux débats. Pourtant, les défis associés n’en sont pas moins essentiels pour l’ensemble des acteurs, tant publics que privés. Aujourd’hui, la prise de conscience des entreprises sur les enjeux environnementaux s’est largement améliorée. L’érosion de la biodiversité et l’effondrement des écosystèmes, les crises liées à la gestion de l’eau ainsi que l’échec de l’adaptation au changement climatique figurent parmi les 10 risques globaux les plus importants en termes d’impacts recensés sur la dernière décennie par le Forum Economique Mondial à l’échelle de la planète.

Il convient néanmoins de noter que les approches volontaires menées par les entreprises ont également des limites, et qu’elles ne suffiront pas, à elles-seules, à lutter contre l’érosion de la biodiversité. Elles se focaliseront nécessairement sur certains écosystèmes d’où sont tirées leurs ressources ou sur la préservation de certains services écosystémiques considérés comme stratégiques. À l’image des mécanismes de financement innovant de la préservation de la biodiversité qui ne sont pas réductibles à des instruments de marchandisation de la nature, seules des approches de gouvernance combinant le public et le privé pourront apporter des solutions efficaces et acceptables pour la gestion du capital naturel.

Références

Barbault, R. 1997. Biodiversité. Introduction à la biologie de la conservation. Hachette, Paris.

Cosmebio, 2014. Chiffres clés du marché des cosmétiques naturels et bio. Résultats de l’étude de notoriété du label BIO menée par IPSOS.

Deloitte, 2012. Extrait de l’étude Consumer Business : « Produits de beauté bio : une croissance durable ? Etat des lieux et perspectives en France.

Fétiveau J., Karsenty A., Guingand A., Castellanet C. (2014). Etude relative aux initiatives innovantes pour le financement de la biodiversité et l’identification des mécanismes à fort potentiel. Rapport final.

Coordination et financement : ministère des affaires étrangères. Collaboration GRET-CIRAD-CDC Biodiversité.

Mission Economie de la Biodiversité de la Caisse des dépôts (MEB) (2014a). La compensation écologique en France : quelles orientations pour la recherche ? Synthèse de la plateforme d’échange organisée par la MEB le 18 juin 2014. Collection Les Cahiers de Biodiv’2050 : Initiatives. N°3.

Mission Economie de la Biodiversité de la Caisse des dépôts (MEB) (2014b). Les Paiements pour Préservation des Services Ecosystémiques comme outil de conservation de la biodiversité. Cadres conceptuels et défis opérationnels pour l’action. Collection Les Cahiers de Biodiv’2050 : Comprendre.

N°1.

Ostrom E., Basurto X. (2011). Crafting analytical tools to study institutional change. Journal of Institutional Economics 7 (3), 317-343.

The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB) Report for Business (2010). Executive Summary.

UNEP FI – GFN (United Nations Environment Programme Finance Initiative – Global Footprint Network) (2012). A New Angle on Sovereign Credit Risk. E-RISC: Environmental Risk Integration in Sovereign Credit Risk Analysis, Phase 1 Report.

         

 

Ressources naturelles renouvelables et comptabilité

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