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Introduction du chapitre 1

2. La prédominance des créanciers privés dans la détention de la dette obligataire

2.1. Mythes et incohérence

(i) La supériorité supposée des obligations souveraines

La longue et difficile résolution de la crise de la dette souveraine des années 1980 a entraîné une baisse de l’exposition des banques sur les marchés émergents d’une part, et une baisse de l’attrait des prêts bancaires syndiqués comme moyen de financement de la part des émergents, d’autre part. Les émergents ont donc perdu une partie de leur source et instrument de financement.

Logiquement, les émergents ont émis davantage d’obligations qu’ils ne le faisaient auparavant ; choix renforcé par le fonctionnement même du plan Brady.

Les obligations souveraines sont entourées d’un mythe, lequel consiste à croire pour les créanciers privés qu’elles sont difficilement restructurables, contrairement aux prêts bancaires, pour quatre raisons : l’absence générale de collatéral, le caractère « sacré » du droit des contrats, la diffusion des investisseurs et leur hétérogénéité. La large diffusion des créanciers, caractéristique de la globalisation financière, rend difficile leur réunion. L’hétérogénéité des investisseurs complexifie l’établissement d’une position commune lors d’une restructuration car tous ne partagent et ne poursuivent pas les mêmes intérêts.

La préférence des créanciers pour des formes risquées de dette peut s’analyser comme une réponse à la faiblesse de certains dispositifs tels que :

 l’existence d’un problème de différenciation entre les débiteurs qui rencontrent des difficultés quant au service de leur dette pour des raisons fondamentales (i.e. incapacité de payer) et ceux qui font défaut par opportunisme (i.e. refus de payer). Ce problème émerge suite à la difficulté d’établir un cadre d’analyse robuste de la soutenabilité de la dette (Bachellerie & Couillault, op. cit.);

 le fait d’augmenter le coût du non respect des termes de la dette représente un moyen de baisser l’incitation du débiteur souverain à faire défaut.

Selon Eichengreen et al. (2002) trois facteurs réduisent l’incitation des investisseurs privés à détenir des titres moins risqués :

 l’existence de coûts de transaction transfrontalière ;  l’asymétrie de taille entre les émetteurs ;

 la décroissance des gains tirés de la diversification du portefeuille.

La quasi impossibilité de restructurer les obligations souveraines internationales est à relativiser dans l’explication de la préférence des créanciers privés pour ce type d’instruments. En effet, si le secteur officiel ne participait pas à la gestion des crises de dette souveraine, il est probable que cette préférence serait moins marquée.

(ii) L’incohérence des réponses du secteur officiel

Les modalités d’interventions du secteur officiel, spécialement du FMI, s’appuie sur la distinction suivante : présence de risque systémique versus

absence de risque systémique. Cette dichotomie détermine le type de d’assistance financière octroyée, et par conséquent les volumes de cette aide.

 En présence d’un risque de système élevé, le secteur officiel doit intervenir rapidement afin de freiner le processus, même si des désaccords existent sur l’exercice de la conditionnalité. Sous ce scénario, le pays en question est dit too big to fail. Le FMI agit alors en tant que prêteur obligé.

 Dans le cas où le risque de système est faible, voire inexistant, l’intervention ne peut être effective que si le Fonds et le pays en question arrive à trouver un terrain d’entente quant aux politiques économiques à mettre en place.

Par conséquent, les modalités d’intervention du secteur officiel devraient suivre cette distinction, or ce n’est pas toujours le cas.

Il existe également un décalage entre la philosophie prônée par le secteur officiel depuis le milieu des années 1990 et ses interventions, qui a eu pour effet de décrédibiliser les actions du Fonds, et fait naître une crise de légitimité. Actuellement, cette nouvelle approche, fondée sur une plus grande implication du secteur privé, a engendré un bilan mitigé.

Les pays émergents, bien que trop souvent perçus comme constituant une catégorie de pays homogènes, ne le sont pas, aussi bien sur le plan économique, que culturel, commercial, politique, géopolitique, et militaire (Cf.

infra). Ainsi, certains pays sont assurés d’être secourus, et les investisseurs

intègrent cette donnée lorsqu’ils prennent leur décision, ce qui a pour effet d’accroître la prise de risque sur certains actifs émergents. Nous retrouvons ici l’argument bien connu de l’aléa moral. Il faut ajouter à cela des réponses et thérapies identiques quelque soit la nature de la crise. Pour leur défense, les IFI avancent l’argument de la difficile distinction à chaud entre crise de liquidité et

crise de solvabilité. Les pays souffrent rarement soit d’une pure crise de liquidité, soit d’une pure crise de solvabilité. Si un manque de liquidité peut entraîner une crise de solvabilité, le lien de cause à effet peut se dérouler dans le sens inverse (perte relatif au compte financier de la balance des paiements se transmet au haut de la balance et inversement). Une crise de solvabilité potentielle peut pousser les créanciers à retirer soudainement leurs capitaux, anticipant un non recouvrement de la totalité de leurs créances puisqu’ils ne connaissent pas la capacité réelle d’ajustement structurelle du pays. A partir de ce moment, la gestion des crises issues d’un tel schéma nécessite une pluralité de modèles d’action (Haldane & al., 2002).

Les investisseurs parce qu’ils anticipent le secours du secteur officiel, continuent de développer un comportement risqué, alors même que le secteur officiel leur demande une plus grande implication, un partage des responsabilités, philosophie développée sous la présidence Clinton (1992-2000) et largement reprise par la première administration Bush II (2000-2004). Les créanciers privés ont intérêt à rechercher l’intervention du secteur officiel, car sous cette configuration, leur taux de recouvrement est plus important et seul le pays supporte les coûts du défaut. L’interaction entre le secteur officiel et les créanciers privés débouche sur une forme de schizophrénie. Nous pouvons nous référer au cas de la Roumanie pour illustrer l’échec de la nouvelle doctrine du secteur officiel, spécialement du FMI, alors même que ce cas a priori regroupait tous les ingrédients pour être un succès. En effet, il n’y avait aucun risque de contagion et de système.

Entre mai et juin 1999, la Roumanie fait face à un pic de remboursements. Elle doit rembourser à ses créanciers japonais et allemands 460 millions de dollars d’obligations samouraï (loi japonaise) et 245 millions de dollars d’euro-obligations, les deux séries d’obligations ont été contractés en 1996. Le FMI conditionne son aide au refinancement de la dette roumaine à hauteur de 80% par les investisseurs privés. C’est un échec. L’institution multilatérale change alors de stratégie et propose une nouvelle condition : les

Autorités roumaines doivent trouver 600 millions de dollars d’argent frais (soit 85% du montant de la dette à rembourser). La Roumanie réunit seulement 130 millions de dollars (soit 22% de la somme demandé par le FMI), la quasi-totalité (83%) provient d’un consortium de banques commerciales. La recherche de la participation des créanciers obligataires se solde encore par un échec. A l’été 1999, le Fonds verse la première tranche de l’accord de confirmation (stand-by arrangement), bien que le pays n’ait pas réuni les conditions préalables. Cependant, il continue de conditionner le versement des tranches suivantes à l’apport de nouveaux financements par le gouvernement roumain. L’Etat, avec l’appui de deux banques commerciales, essaient de préparer deux nouvelles émissions, mais les marchés financiers se détournent des obligations roumaines. Le pays est donc contraint d’abandonner. La réponse du FMI est de réduire le montant de la première tranche à 100 millions (Eichengreen & Rühl, 2000). La Roumanie, qui devait être un plaidoyer pour les politiques de bail-in, marque l’échec de ce type de stratégies, en tout cas sous cette configuration.

L’incohérence relative des modalités d’intervention du secteur officiel peut être rapprochée de celle liée à la perception des pays émergents, considérés d’une part comme une classe d’actif homogène, laquelle est renforcée par les ratings délivrés.

2.2. La difficile compréhension des pays