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Les futurs enjeux d’une procédure de restructuration de dette souveraine

Introduction du chapitre 3

1. Les enjeux des restructurations de dette souveraine

1.2. Les futurs enjeux d’une procédure de restructuration de dette souveraine

Les procédures de restructuration nécessitent d’éviter certains obstacles qui varient en fonction du temps (i.e. avant et après constatation du défaut) et des caractéristiques de la dette (i), et doivent fournir une égalité de traitement entre les créanciers (ii).

(i) La nécessité de faire face aux obstacles inhérents aux opérations de restructurations de dette

Le défaut de coordination.

La probabilité d’un run s’accroît avec la perte de confiance des créanciers en la capacité de remboursement de leur débiteur, en raison d’un manque de réserves de change et/ou de solvabilité. Les créanciers, qui détiennent des obligations d’une maturité inférieure à un an, ont une forte incitation à vendre leurs titres à partir du moment où ils pensent que les autres créanciers en feront de même et qu’ils estiment que les réserves de change sont insuffisantes. Ils liquident leurs avoirs indépendamment de la solvabilité du débiteur à long terme. Nous devons donc dissocier l’impact d’une vente de titres des créanciers court-termistes, qui réduit les réserves du débiteur (car le débiteur a l’obligation légale de payer en totalité les dettes de court-terme) de l’impact d’une vente de titres des créanciers long-termistes, qui agit sur le prix des obligations, c’est principalement à ce moment que les fonds vautours sont susceptibles d’entrer en scène et de perturber la future restructuration.

Les poursuites judiciaires avant restructuration.

Bien qu’un pays ne soit pas dans le même cas de figure qu’une entreprise, en raison de son caractère souverain, il est néanmoins possible pour des

créanciers de saisir les avoirs extérieurs de leur débiteur via l’injonction d’un tribunal (Cf. infra).

La théorie du passager clandestin.

Un groupe de créanciers minoritaires peut demander le remboursement total de ce qui lui est dû ; il peut également demander l’arrêt des paiements de la dette restructurée, à la condition qu’un tribunal lui donne raison (Cf. infra). Si tel est le cas, le débiteur a deux choix possibles : soit il rembourse le groupe de créanciers dissidents en totalité, soit il stoppe les paiements relatifs aux nouvelles obligations. Dans le dernier cas de figure, l’Etat est de nouveau en situation de défaut de paiement.

La hiérarchisation non officielle des dettes.

Contrairement aux procédures de faillite d’entité privée, il n’existe pas de hiérarchisation officielle des dettes, et donc des créanciers pour les Etats. Cependant, elle existe de facto et s’établit de la manière suivante : les créanciers multilatéraux, les créanciers publics bilatéraux et les créanciers privés. La hiérarchisation des créanciers qui existe de manière non officielle, ne mérite-t-elle pas d’être officiellement reconnue dans l’optique d’une procédure de restructuration plus ordonnée, afin d’offrir une plus grande visibilité et prédictibilité ? Ainsi, Fisch & Gentile (2004), mais également Bolton & Jeanne (2009) proposent de l’inscrire dans les procédures de faillite souveraine. Il se pose alors la question du critère de hiérarchisation des dettes. Faut-il privilégier une catégorie de créanciers à une autre ou leur ancienneté dans le processus d’endettement du pays ?

Le risque de défaut opportuniste.

Le défaut opportuniste est évoqué dès lors que le débiteur fait le choix de défaillir plutôt que de procéder aux ajustements nécessaires. En effet, ce peut être le cas quand le risque de perte d’accès au marché international des

capitaux, ainsi que le risque de perte de réputation, ne contrebalance pas l’incitation à ne pas payer ses créanciers.

La politique domestique.

Une restructuration de dette s’accompagne généralement d’un changement d’orientation politique, qui plus est si l’Etat requiert l’assistance du FMI, susceptible de remettre en cause la légitimité du gouvernement en place.

(ii) Le respect de l’équité entre les créanciers

Le marché obligataire se décompose, schématiquement, en deux compartiments : le marché des obligations d’entreprise (dette privée) et le marché des obligations d’Etat (dette publique).

Le marché des obligations d’Etat se décompose à son tour en deux compartiments : le marché des obligations d’Etat domestiques et le marché des obligations d’Etat internationales (dette extérieure).

La globalisation financière a profondément modifié les définitions de la dette domestique et de la dette extérieure. De manière générale, les gouvernements d’un pays empruntent auprès des créanciers résidents (domestiques) et non résidents (étrangers). Les résidents achètent de la dette domestique, c’est-à-dire des titres libellés en monnaie locale et gouvernés par la juridiction nationale.

 Exemple : un résident brésilien, qui achète de la dette domestique brésilienne, détient un titre libellé en real, et est soumis à la juridiction brésilienne.

Les non résidents achètent de la dette extérieure, c’est-à-dire des titres libellés en devises et répondant à une juridiction étrangère.

 Exemple : nous reprenons l’exemple du Brésil. Un investisseur argentin, qui achète de la dette extérieure brésilienne, détient un titre libellé vraisemblablement en dollar américain, et est soumis à la juridiction de l’Etat de New York.

Les juristes et les économistes ont des approches différentes de la dette domestique et de la dette extérieure. Les premiers se focalisent principalement sur la loi de gouvernance et la juridiction, alors que les derniers se préoccupent davantage de la résidence des investisseurs et de la monnaie d’émission du titre. Par le passé, ces approches différentes ne posaient pas de problèmes particuliers, puisque au final, les deux camps convergeaient.

Cependant, la réduction des restrictions appliquées aux flux de capitaux internationaux, notamment celles envers les investisseurs étrangers, modifie quelque peu la donne. Il est aujourd’hui assez courant de voir des investisseurs étrangers investir sur les marchés domestiques, comme des Gouvernements émettre de la dette extérieure en monnaie locale. La frontière entre les deux définitions est donc de plus en plus floue. Par conséquent, la dette domestique est la dette émise par les Autorités sur son marché, et la dette extérieure est la dette émise sur les marchés internationaux.

Le débat relatif à la restructuration de la dette souveraine (dette domestique et dette extérieure) s’est longtemps focalisé sur les obligations souveraines internationales (dette extérieure). Or, aujourd’hui, les investisseurs étrangers peuvent détenir de la dette domestique, il devient donc difficile de restructurer titres par titres. Le souverain essaie généralement de discriminer en faveur de ses créanciers domestiques, ce qui est contraire au principe d’équité de traitement pour un juriste, mais qui se justifie aisément pour un économiste. Dans l’ancienne logique, discriminer en faveur des créanciers

domestiques, impliquait de restructurer uniquement la dette extérieure. Le souverain faisait porter le coût immédiat du défaut aux investisseurs étrangers, pensant à juste titre que les créanciers domestiques auraient à supporter le coût du défaut sur le moyen-long terme. Aujourd’hui, discriminer en faveur des créanciers domestiques n’implique plus forcément de restructurer la dette domestique ou la dette externe. L’équité et la justesse sont des principes différents. Gelpern & Setser (2004) en prenant exemple sur la Russie, l’Argentine et la Turquie, tirent deux principales conclusions quant à la gestion des restructurations de dette souveraine :

 Ni les perspectives économiques, ni les perspectives juridiques sur la distinction dette domestique/dette extérieure ne sont suffisantes pour expliquer ou prévoir les actions des Autorités d’un pays en matière de restructuration. Néanmoins, les conséquences économiques d’un défaut guident davantage les décisions des pays.

 Les restructurations de dette doivent s’appuyer sur une vision globale et dynamique de la dette, et non sur une vision compartimentée.

L’un des critères d’efficience d’une restructuration réside dans le fait d’obtenir une distribution équitable entre les différentes catégories de créanciers et à l’intérieur d’un même groupe de créanciers. Certains Etats ou groupe de créanciers violent ou sont prêts à violer ce principe d’équité. Le manque de clarté qui entoure les processus de distribution peut compliquer et par conséquent retarder la restructuration et augmenter les coûts. La distribution peut aussi être complexifiée par l’existence de plusieurs émissions. Les créanciers sont à ce moment-là en position d’asymétrie informationnelle défavorable. Ils ne connaissent pas le montant de leur recouvrement et ils n’ont aucune certitude quant à la volonté de l’Etat souverain de leur appliquer un traitement uniforme.

Pour parfaire une distribution équitable, il existe deux voies possibles et complémentaires : la première est l’inclusion d’une clause pari passu (pari

passu clause) dont le but est d’assurer l’équité verticale et la seconde est la

clause de partage (sharing clause) afin de réaliser l’équité horizontale. Si la première est une pratique courante, il n’en est pas de même pour la seconde.

La clause pari passu.

La définition de la clause pari passu est en général la suivante : « The Note rank, and will rank, pari passu in right of payment with all other present and future unsecured and unsubordinated External Indebtedness of the Issuer ». Le terme pari passu peut se définir de la façon suivante : en part égale, de la même manière. Cette provision permet d’éviter normalement tout classement hiérarchique des dettes ou des créanciers, afin d’éviter qu’une catégorie de créanciers ne soit lésée par rapport à une autre. L’utilisation de la clause remonte aux années 1970, elle est du fait des banques commerciales qui cherchaient à protéger les instruments de dette non garantis par les Etats.

Depuis le jugement rendu en faveur de l’interprétation d’Elliot Associates L.P. par la Cour de Bruxelles, il existe deux interprétations de la clause. La première est une interprétation en termes de classement : « obligation rank and

will rank pari passu with all other unsecured debt ». La seconde est une

interprétation en termes de paiement : « when the debtor is unable to pay all its

obligation, they will be paid on a pro-rata basis ». Dans le dernier cas,

l’emprunteur s’engage à assurer un traitement égal aux porteurs d’obligations d’émissions différentes. L’Etat doit considérer l’emprunt de la même manière que ses futurs engagements financiers de même nature. Tout avantage accordé par la suite sera étendu aux prêteurs antérieurs. A l’exception des créances bénéficiant de sûreté. En fait, la seconde conception de la clause pari passu correspond à la clause du prêteur le plus favorisé, mais également à la clause de partage.

La clause pari passu assure la réalisation de l’équité verticale des créanciers.

La clause de partage.

L’inclusion de cette clause permet d’assurer l’équité horizontale des créanciers, donc elle empêche la subordination de certains créanciers. Autrement dit, si l’Etat n’a pas assez de ressources pour rembourser en totalité l’ensemble de ses créanciers, alors il lui est interdit de discriminer l’un de ses créanciers au profit d’un autre. En vertu de cette clause, il doit payer ses créanciers au prorata.

Nous notons une contradiction parmi les investisseurs qui se servent volontiers des différentes interprétations possibles de la clause pari passu48, mais qui refusent généralement l’introduction de la clause de partage dans les contrats de dette.

La distribution sur la base du prorata ne reflète pas forcément les préférences des créanciers sur le plan individuel, mais elle reste le mode de répartition le plus équitable qui puisse être appliqué.

Les failles révélées résultent en grande partie du comportement des investisseurs privés. Leur poids ne cesse de croître, il est donc normal qu’ils aient un rôle à jouer dans les procédures de restructuration de dette, mais il est également important qu’ils assument une plus grande part du fardeau. Les politiques de bail-in ont été développées afin de répondre à cette double problématique.

48 Les fonds vautours s’inspirent notamment de cette clause pour lancer leur action en justice. Le cas Elliot Associates L.P. versus République du Pérou illustre parfaitement l’action de ces fonds. Suite au défaut du Pérou, la dette fut restructurée en octobre 1995. Elliot Associates L.P. rachète une partie de la dette initiale en janvier 1996. Elliot Associates L.P. rechigne à participer à l’offre d’échange et demande rapidement le remboursement de la dette qu’elle détient à sa valeur initiale, et pour cela, le cabinet fait prévaloir le fait que la République du Pérou s’apprête à léser une partie de ses créanciers, ce qui est contraire aux termes du contrat des obligations péruviennes.

2. L’implication du secteur privé dans les