• Aucun résultat trouvé

Ce conduit55 s’ouvre sur une citation de l’Évangile de Matthieu (18, 7) : væ

mundo ab scandalis necesse est enim ut veniant scandala verumtamen væ homini illi per quem scandalum venit. Le premier vers en conserve la formulation exacte. On

retrouve dans le style du conduit la prédisposition aux répétitions ainsi que le ton oral et déclamatoire de ce verset. La formule caractéristique « Vae… » est reprise quatre fois dans le conduit : deux fois dans la strophe 1 puis au début des strophes 3 et 4. Cependant, le message de paix véhiculé par les paroles du Christ dans l’Évangile se transforme en attaque à destination de ceux qui ne respectent pas le contrat proposé par le Christ qui montre la voie du Salut. Le poète s’adresse aux clercs, à la Curie et à tous ceux qui trahissent le sacerdoce. L’auditoire visé est nécessairement clérical et probablement savant. Cela explique la complexité de la langue latine employée ainsi que l’obscurité de certains passages et de certaines métaphores. La structure poétique fait preuve d’une subtilité peut-être difficilement perceptible à l’audition.

Les trois strophes doubles sont peu différentes les unes des autres. Cependant, ce qui les distingue est suffisamment caractéristique pour apporter un élément nouveau

55

à chaque fois. La première et la troisième double strophe (I et III, soit les strophes 1, 2, 5 et 6) se composent de six vers et organisent leurs rimes selon le même schéma aabccb. La double strophe centrale (II, soit 3 et 4) est légèrement plus longue (huit vers par strophe) et les rimes sont alternées : abababab. La carrure régulière s’organise autour du chiffre 8 (nombre et longueur des vers) ainsi que la binarité des sonorités des rimes. La structure de l’ensemble forme une figure d’arche puisque les strophes I et III sont identiques malgré quelques détails. En effet, la double strophe III mélange des octosyllabes et des heptasyllabes alors que la première ne comporte que des octosyllabes, exception faite du vers d’incipit. La structure du conduit se présente donc ainsi :

Strophe I Strophe II Strophe III

7ou 8a 8a 8b 8c 8c 8b 8a 8b 8a 8b 8a 8b 8a 8b 8a 8a 7b 8c 8c 7b

L’exception faite à la régularité des octosyllabes pour le premier vers (Ve mundi a

scandalis) s’explique probablement par la longueur du texte de la citation scripturaire et

le souci d’y rester fidèle56. Le premier vers du double de cette strophe (I-2) est bien formé de huit syllabes (Hic tollit fiscus hodie) ce qui pose un problème de prosodie lorsque l’on replace les syllabes sur la mélodie. Les sources musicales placent ce deuxième texte à la suite de la mélodie, sans indiquer s’il faut changer le placement du texte sur les notes existantes ou ajouter une note pour que le nombre de syllabes soit respecté.

Chaque couple de strophes conserve des sonorités communes pour que l’unité sonore de la structure dans son ensemble soit relayée par les assonances des rimes :

Strophe 1 –alis, –itur, –ulus

I

Strophe 2 –ie, –io, –ibus

Strophe 3 –itur, –io,

II

Strophe 4 –iciunt, –culo

Strophe 5 –ea, –onus, –iant

III

Strophe 6 –ea, –ibrat, –uit

56 Lorsqu’il cite les deux premiers vers de ce texte dans son Ars rythmica, Jean de Garlande double

l’exclamation pour obtenir huit syllabes : Ve, ve mundo a scandalis / Ve nobis ut acephalis (Parisiana

Il existe ainsi une certaine continuité entre les strophes, grâce aux rimes. Les verbes

teritur et premitur de la strophe 1 riment avec alitur, parcitur, revertitur et colliditur de

la strophe 3. De même, precio et gladio de la strophe 2 riment avec exactio, proprio,

proditio et iudicio dans la strophe 4 puis avec articulo, baculo, oculo et periculo dans la

strophe 5. De cette façon, les trois blocs strophiques sont reliés les uns aux autres pour former un ensemble cohérent.

Les trois strophes mélodiques sont assez distinctes. Chacune commence par un mélisme. La longueur des caudae initiales est irrégulière :

Strophe I : 14 notes Strophe II : 6 notes Strophe III : 18 notes

Ces proportions semblent adopter une répartition équilibrée où un mélisme court est compensé par un autre plus long. La brièveté du mélisme de la strophe II s’explique probablement par la taille plus importante de cette strophe en regard des deux autres (8 vers au lieu de 6). Les strophes I et II ne comportent aucun autre mélisme. Seul un mélisme final à la fin de la strophe III vient conclure le conduit. Cette cauda conclusive se compose de 17 notes soit presque autant que le mélisme introductif de la même strophe. En plus de ces quatre mélismes, le langage mélodique du conduit est relativement fleuri puisque les monnayages de trois ou quatre notes fleurissent le discours.

La première strophe ne dépasse pas l’octave comprise entre ré et ré’, c’est-à- dire la forme plagale du mode de sol. Le si bémol constamment à la clé indique qu’il s’agit d’un mode de ré transposé. Le matériau mélodique très réduit est annoncé dans sa quasi-totalité dans le modeste mélisme introductif. La finale sol n’y est entendue que de passage et les dessins mélodiques tournent autour sans s’y arrêter :

Il faut attendre la fin du deuxième vers pour que la mélodie se repose vraiment sur la finale. Ce mélisme définit un espace sonore restreint composé d’abord du premier motif ornemental qui tourne autour du la (encerclé dans l’exemple ci-dessus), puis de la courte ascension du fa au la (encadré). Ces deux modules mélodiques très simples se

retrouvent durant toute la première strophe, si bien que l’on trouve encore aux vers 5 et 6 :

La mélodie de la première strophe s’écarte donc très peu du chemin tracé par le mélisme introductif et ne se renouvelle que très peu. Pour preuve, le vers 6, cité dans l’exemple ci-dessus, est parfaitement identique au vers 2 de la même strophe.

Le registre supérieur du mode (do et ré’) est entendu dès le premier vers sur le mot scandalis. Cette mise en relief du mot par la hauteur de la mélodie renforce l’impact du sens et définit le ton agressif et rageur qui est celui de tout le conduit. Le « scandale » est mis en écho avec un autre mot, acephalis. La paronomase entre les deux termes de la rime est complète par le rythme et les sonorités :

a scandalis