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8. Les piliers mémoriels

8.1. Morphologie des piliers

Les piliers mémoriels sont de section carrée ou rectangulaire (stèles) et ont des pinacles correspondant globalement à cinq formes : semi-circulaire, en anse de panier, plat, en arc brisé et à bulbe. Seuls deux piliers anthropomorphes ont été relevés, tout deux dans la vallée de la Tila (JUM20-28 et JUM32-02). Signalons également une stèle anthropomorphe retrouvée à Mugu et qui est localement identifiée comme une représentation du dieu Maṣṭā (cf. Ch. 11). La typologie adoptée ici considère deux caractéristiques principales :

1. le type de section (carrée ou rectangulaire) et la coupe des angles (simples, à āmalaka, biseautés, à ressauts ou les deux335),

2. la morphologie de la partie sommitale.

Le croisement de ces caractéristiques permet l’élaboration de différents types (Fig. 8.5), nom- més par des lettres et des numéros. Les variations sont notées (v). Elles concernent des types représentés par plus d’un individu. Les cas uniques, hapax, sont notés (h).

La cartographie des types de piliers révèle une nette préférence régionale dans le district de Dailekh : 48% des piliers y sont de plan carré avec des angles biseautés et un sommet en forme de bulbe surmontant une rangée d’āmalaka et une panse (Type D5, 40 individus, Fig. 8.6). Les piliers à sommité en arc brisé y sont en revanche très minoritaires, avec seulement deux individus. Le type à anse de panier est plus représenté dans les districts de Jumla et de

334 Lecomte-Tilouine 2011, p. 116.

335 Afin de simplifier le travail de classification, seule la coupe des angles frontaux a été considérée. Les piliers de

Jumla, de section majoritairement rectangulaire, sont souvent biseautés sur les deux angles arrière. De même, les piliers de section carrée ont en général la même coupe sur les angles frontaux et arrières.

Dailekh et est totalement absent à Kalikot et à Mugu. Le profil semi-circulaire se retrouve dans tous les districts, sauf dans celui de Surkhet.

Les dimensions sont très variables. Les piliers de section carrée ont généralement des côtés d’une vingtaine de centimètres de largeur. Ceux de section rectangulaire sont plus larges, jusqu’à 50-60 cm pour une épaisseur comprise entre 10 et 15 cm. La plupart des individus sont enterrés à une profondeur de 20-40 cm. Les parties inférieures ne sont que sommairement dé- grossies336. La hauteur des piliers est comprise (pour les parties émergées) entre 70 cm et 3, 30 m (SIJ15-01).

Le décor des piliers est toujours effectué en bas-relief. Dans de rares cas rencontrés à Surkhet et à Dailekh, les sculpteurs ont eu recours à la technique du haut-relief. Dans ces cas- là, les iconographies sont toujours bouddhiques (SRK08-02, DLK27-02.04) ou guerrières (DLK27-02.01, 02, 05, 06, 08 et DLK27-04.02) et les personnages représentés inscrits dans des niches architecturées que l’on ne rencontre pas ailleurs. Le répertoire général des bas-reliefs est très varié en termes de motifs et de leur agencement. Des constantes sont néanmoins obser- vables, avec la division de la surface frontale en trois registres : inférieur, médian et supérieur. Le registre inférieur est occupé par des motifs de pétales de lotus (dans le district de Dailekh), un ou plusieurs motifs triangulaires (Fig. 8.15) ou, dans certains cas, ce qui pourrait corres- pondre à des monuments (Fig. 8.16). Le registre médian comporte des inscriptions en de- vanāgarī, dans la plupart des cas illisibles, du fait de la qualité du matériau et de l’érosion. Deux piliers comportent le mantra Oṃ maṇi padme hūṃ inscrit en tibétain (DLK17-02, Fig. 8.8 et SIJ14). Dans ce même registre central se trouvent des représentations de personnes à pied ou à cheval (Fig. 8.9), des figurations de stūpa, des motifs géométriques divers et souvent difficiles à interpréter, ou, plus rarement, des thèmes animaliers (KLK13-08). Notons ici que certains piliers présentent une niche ouvragée dans laquelle était sans doute insérée une plaque en cuivre inscrite (Skt. tāmrapatra) (DLK19-06, Fig. 8.10). Le registre supérieur des piliers à bulbes (type D) est occupé par un empilement circulaire de rangées d’āmalaka et de panses et est surmonté par ledit bulbe. Dans le cas des autres piliers (types A, B et C) la partie supérieure accueille des motifs de rosettes, placées par paire ou seules. Souvent une large rosette est placée directement au-dessus de l’image d’un stūpa, d’un anthropomorphe, ou au-dessus d’une paire de rosettes. D’autres motifs récurrents sont à signaler : un ornement en forme de goutte d’eau avec une petite spirale interne que l’on retrouve principalement dans le district de Dailekh, au centre des

336 Lorsque cela était possible et ne menaçait pas la stabilité ou la conservation de l’objet, j’ai procédé au dégage-

ment des parties décorées quand elles se trouvaient ensevelies. Ces dégagements m’étaient en théorie interdits par le DoA, mais sur place les riverains ont toujours accepté ma démarche et m’y ont même très souvent prêté main forte.

motifs triangulaires à la base des piliers (Fig. 8.15 et 8.29) et un motif en forme de pique, qui figure sur plusieurs piliers, comme un élément de couronnement des stūpa, de manière isolée ou groupé au-dessus d’une paire de rosettes (voir par exemple les piliers JUM02-04 et JUM20- 07, 8.16, nos. 3 et 4 et Fig. 8.12 et 8.20).

Les piliers sont exécutés dans un gneiss gris à inclusions de grenats (districts de Kalikot, Jumla et Mugu) et dans une roche gréseuse jaune (districts de Surkhet et de Dailekh). Dans les deux cas la lecture des inscriptions est compliquée par l’érosion ou l’éclatement de la pierre. Quelques dates ont néanmoins pu être relevées. Le pilier le plus ancien est érigé sur le site de Padukasthan (DLK27-02.04, Fig. 10.64, Pl. 8.12). Ses dimensions en font également le pilier le plus massif de la Karnali (196 X 45 X 46 cm). L’objet est étonnant de sobriété et on n’en retrouve aucun autre de ce type ailleurs. Seule une niche sculptée comporte un Buddha en partie supérieure. Une inscription en proto-pahari mentionne les donateurs (Saŭna Kārkī et Sāūkā Karkyāni) et rend hommage à Aśokacalla, l’empereur Khaśa Malla qui règne au moins entre 1255 et 1280 (cf. Ch. 2). L’objet est par conséquent datable de cette période. Deux piliers du site de Dehimandu, dans le district de Baitadi, datent de la dernière année du règne d’Aśokacalla. Ils comportent chacun une inscription datée de SS 1202 (1280 EC, BTD02-03, 04, Fig. 8.11) et comportent des représentations de guerriers, l’un à cheval et l’autre à pied. Leur plan est carré, avec des angles biseautés. Le sommet est composé d’une petite rangée d’āmalaka surmontée par un bulbe (brisé sur BTD02-03). Ces caractéristiques les rangent donc dans le type D.

Le type D apparaît comme le plus ancien dans la zone prospectée (compte-tenu des inscriptions qui ont pu être déchiffrées). Chronologiquement, les piliers suivants sont datés de 1312 (SS 1234, DLK32-01, Pl. 8.18), 1321 (SS 1243, DLK22-02, Pl. 8.7), 1334 (SS 1256, DLK19-03 et 04, Pl. 8.6), 1342 (SS 1264, DLK19-05, Pl. 8.6) et relèvent du type D. Tous ces artefacts se trouvent dans le district de Dailekh, non-loin de Dullu ou à Dullu même. La période 1312-1342 correspond à une phase de transition du pouvoir entre Ādityamalla (r. 1316-1328) et Puṇyamalla (r. 1328-1339). Pṛthvīmalla (r. 1338-1358) naît de l’union entre l’empereur Puṇyamalla et Śakunamālā, la fille d’Ādityamalla. En 1357 (SS 1279) il érige une imposante stèle à Dullu, nommé le Kīrtikhamba, le « Pilier de Renommée » (DLK26-01, Fig. 2.4 et 2.5, Pl. 8.10, cf. aussi Ch. 10). De section rectangulaire avec un sommet semi-circulaire, il appartient au type A1 de notre tableau typologique. Il mesure 276 X 50 X 19 cm. À la même période seront installées deux autres stèles inscrites sur différents sites de Dullu (DLK35-01.01, DLK34-05.01, Pl. 8.18). Ces dernières sont datées de 1348-57 (SS 127…) et de 1355 (SS 1277).

La stèle de 1355 est également de type A1. L’autre est trop endommagée pour pouvoir identifier sa morphologie originelle. Ces trois stèles de Dullu ont pour point commun principal l’usage du mantra Oṃ maṇi padme hūṃ inscrit en rañjana dans la partie supérieure de l’objet. Le reste du texte est en devanāgarī. Un stūpa identique à celui du Kīrtikhamba est représenté sur une stèle utilisée en remploi au-dessus de la porte du temple de Kanakāsundarī à Sahubada/Sinja (SIJ02). Au-dessous du stūpa on retrouve le même mantra bouddhique, également écriture rañ- jana, ce qui concorde à dater la stèle de la même période. Les similitudes entre ce pilier et celui de Kīrtikhamba et sa localisation sur le site d’une capitale royale pourrait suggérer qu’il s’agit d’une seconde praśasti de Pṛthvīmalla.

Le prochain pilier présentant une date lisible se trouve à Dullu, au lieu-dit Sahubada. Il s’agit d’une stèle en anse de panier de type B3 et datée de 1401 (SS 1323, DLK22-05, Fig. 8.13, Pl. 8.8). L’inscription en devanāgarī y est faite d’une main tremblante et le décor est exécuté de manière très sommaire et imprécise. Un stūpa est représenté au-dessus de l’inscription. Un intervalle de près d’un siècle sépare ce pilier du prochain, daté de 1482 et retrouvé avec deux autres piliers identiques dans le district de Mugu (site de Laha, MUG15-03, Fig. 8.3). Il appar- tient au type B4. Viennent ensuite plusieurs piliers datés du début du XVIe siècle : 1500 (SS

1422, SIJ07, type C1, Fig. 8.14, Pl. 8.29), 1501 (MUG05-02.02, type non déterminé, Pl. 8.40), 1508-17 (SS143…, MUG05-02.10, type A2, Pl. 8.42), 1509 (SS 1431, MUG03-03, type B1, Pl. 8.9). Notons enfin un pilier de type D5 très semblable à ceux des années 1312-1342 mais dont l’inscription en devanāgarī, de mauvaise exécution, indique SS 1614 ou 1694, ce qui le date de 1688 ou 1772 en Ère Chrétienne (DLK25-03, Pl. 8.10). Soit l’inscription est plus tardive soit le sculpteur a commis une erreur lors de la taille. Le pilier est probablement datable de la première moitié du XVIe siècle.