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Dans la tradition architecturale du sous-continent indien un pavillon (Skt. maṇḍapa) peut être érigé avant l’entrée d’un temple, en continuité directe avec les projections de la porte de la cella (Skt. antārala). Le couvrement du pavillon est soutenu par des piliers. Des murs pleins peuvent remplacer les piliers extérieurs. Parfois, dans le cas des grands programmes ar- chitecturaux, un autre pavillon est placé à quelques mètres de l’entrée du temple. En Uttarak- hand un pavillon à quatre piliers internes et à murs pleins est construit directement devant l’en- trée du temple de Mṛtyuñjaya de Jageshwar (entre 950-1000)305. On constate cependant que l’installation de ce type de structure est relativement minoritaire dans Himalaya central. Ainsi qu’évoqué précédemment, des pavillons sont placés entre des temples jumeaux (duideval) du

XIVe-XVe siècle à Ajayamerukot (DDL11 et DDL13) et à Bhurti (DLK01). Le plafond est tou-

jours sculpté avec une rosette centrale.

Une dizaine de pavillons « solitaires » a pu être relevée dans la région d’Ajayamerukot (district de Dadedhura). Ils sont tous hypostyles, de plan carré, avec trois ou quatre piliers sur chaque côté. Le plus célèbre est certainement l’un de ceux du site d’Ajayamerukot qui présente un niveau d’exécution exceptionnel et une architecture unique pour la région, datable du XIIe- XIVe siècle (DDL12, Fig. 5.1)306. Les autres pavillons sont de dimensions plus restreintes et

présentent en général des piliers décorés de bas-reliefs réalisés dans des styles dits « locaux ». Ces bas-reliefs évoquent des scènes de combat ou des iconographies difficilement identifiables. Les pavillons DDL09 (Fig. 5.2 et 5.3) et DDL12 comportent des bas-reliefs de Sūrya et de Gaṇeśa, de danseuses seules ou entourant un musicien, (Fig. 5.4 et 5.5)307. Ces iconographies et l’isolement des pavillons par rapport aux temples suggèrent des usages autres que directe- ment religieux, telles que l’exécution de danses ou des réunions politiques. En effet, Vasudeva Pandeya qualifie ces structures de pavillons de réunion (Skt. sabhamaṇḍapa) ou de justice (Skt. nyāyamaṇḍapa)308. Le terme népalais employé localement est celui de baiṭhaka, traduisible en « pavillon de réunion ».

305 Chanchani 2019, p. 98. 306 Sharma 2012, pp. 314-317.

307 D. R. Sharma identifie une danseuse avec Śiva dansant tenant un trident. Il s’agit plutôt d’un bâton de danse 308 Pandeya 2009 [BS 2066].

Dans le bassin de la Karnali, seul un monument de type baiṭhaka ou maṇḍapa est relevé. Il s’agit du pavillon hypostyle de Bayalkantiya (JUM10-01, Fig. 5.7, Pl. 5.1 à 5.8)309. Le pavil- lon est placé sur une colline en rive droite de la Tila, au débouché de la vallée de la Um Gad. La position commande une vue privilégiée sur le haut et le bas de la vallée de la Tila et sur celle de la Um Gad (Fig. 5.6). La colline a été aménagée par la construction d’une large plateforme mesurant environ 6 X 6 mètres et couverte de dalles de pierre. Les parois latérales sont bosselées ou décorées de motifs de losanges. Au centre de la plateforme se trouve le pavillon. Au nord- est, à un mètre de la plateforme, se dresse un pilier en pierre (JUM10-02). Les angles du bâti- ment sont orientés nord, est, sud et ouest. Ils sont constitués par de massives piles à angles droits supportant des linteaux monolithiques. De chaque côté un pilier central est placé entre les piles d’angles. La hauteur de ces piliers ne dépasse pas 1,20 mètre, ce qui oblige le visiteur à se pencher pour accéder au centre de l’espace. La partie centrale comporte quatre piliers soutenant un dôme en lanterne circulaire dont la hauteur maximale est d’environ 2 mètres (Fig. 5.9). À l’extérieur, deux disques en pierre couronnent le sommet du dôme, comme c’est le cas sur les temples deval. Les piles sud et ouest sont chacune complétées par une sorte de plateforme ma- çonnée (ou « tablette » sur les relevés de D. Baudais).

On remarque qu’un soin spécial a été porté sur les piliers, qui ont tous des fûts et des chapiteaux de formes différentes (Pl. 5.2 à 5.8). Les façades sont sculptées en bas-relief par des motifs de fleurs à quatre pétales (Skt. puṣparatna, Fig. 5.8) et des losanges (Skt. ratna, « joyaux ou diamant », Fig. 5.11). Les supports de la voûte sont également ornés. Un bas-relief de Gaṇeśa est placé sur la face sud-ouest du chapiteau de la pile sud (5.10). Du même côté, sur le chapiteau de la pile ouest, est tracé un cercle avec des marques de piquetage irrégulières. Ce pavillon demeure un monument unique dans tout l’ouest du Népal par sa conception architecturale et par la richesse de son décor sculpté. À ce titre on peut relever que les sculpteurs avaient une certaine connaissance des motifs décoratifs de l’architecture indienne avec l’emploi des motifs de fleurs et de losanges qui en sont originaires.

La vocation du pavillon de Bayalkantiya n’est certainement pas celle de l’exécution de danses ou autres activités artistiques, les dimensions l’interdisant. Le rôle de pavillon de réunion (Skt. sabhamaṇḍapa) ou de justice (Skt. nyāyamaṇḍapa) évoqué plus haut apparaît comme le plus plausible. Dans ce contexte des dignitaires auraient pu se placer sur les plateformes ma-

309 Dominique Baudais en a réalisé le plan détaillé qui, une fois transmis au DoA a servi de documentation pour

çonnées ou aux pieds des piles et des piliers afin de mener leurs délibérations en comité res- treint310. Citons ici l’exemple des caturgrāma ou caugāve mentionnées par G. S. Dikhsit. Les

caturgrāma sont des assemblées temporaires de quatre villages réunis afin de trancher les pro- blèmes de limites territoriales entre deux autres villages311. La localisation du bâtiment, sur une colline à la jonction de deux vallées et visible de tous, tend également à identifier un lieu de réunion politique. La datation du pavillon de Bayalkantiya est difficile à estimer. Certains pi- liers comportent des motifs triangulaires avec des sommets en forme de bulbe ou de pique. Ces représentations sont courantes sur les piliers mémoriels de la Karnali. Comme on le verra plus loin, ils sont souvent associés à des représentations de stūpa que l’on datera de la seconde moitié du XIVe siècle au début du XVIe siècle. Il est donc possible de proposer que le pavillon date de

la même période, qui voit le développement de principautés semi-indépendantes de tailles plus restreintes qu’à la période impériale.

310 L’Arthaśastra de Kauṭilya (Ch. XV) indique clairement que les réunions de conseils doivent être menées dans

le plus grand secret (Shamasastry).