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3. Archéologie du Népal occidental

3.2. Recherches scientifiques à partir des années 1950

Dans les années 1950 sont publiés les travaux de deux grands chercheurs qui poseront les bases de l’étude du Népal occidental. Yogi Naraharinath (1915-2003), originaire du district de Kalikot (Fig. 3.5). Membre de l’ordre de renonçants des Nath yogis, il parcourt l’ensemble de la région, collecte des documents généalogiques et recopie des inscriptions sur plaque de cuivre (tāmrapattra). Il publie le résultat de ses recherches dans plusieurs ouvrages, dont Itihās Prakāś (1955 et 1956, 3 volumes) et Itihāsprakāśma Sandhipatrasangraha (1956). Il n’est pas rare de rencontrer des personnes âgées évoquant avec nostalgie la mémoire du yogi qu’ils ont parfois vu étant enfants ou plus tard251. Lors de ses pérégrinations Y. Naraharinath découvre notamment des piliers mémoriels qu’il groupe et aligne le long des chemins. C’est pour cela que l’orientation des piliers sera ici rarement considérée comme originelle.

À la même époque, en 1956, le tibétologue italien Giuseppe Tucci (1894-1984, Fig. 3.6) publie son Preliminary Report On Two Scientific Expeditions in Nepal. Il sera suivi en 1960 par un ouvrage grand public, Nepal: Alla Scoperta dei Malla, traduit en anglais en 1962 (Nepal. The Discovery of the Malla). Ses observations sont basées sur un voyage mené dans le bassin de la Karnali en 1954. Si les travaux de Y. Naraharinath se focalisent essentiellement (et den- sément) sur l’histoire régionale du point de vue de la documentation népalaise, ceux de G. Tucci complètent les premiers en abordant la question depuis les chroniques tibétaines. G. Tucci éta- blit la correspondance entre les empereurs Khaśa Malla listés sur le pilier de Dullu (Kīrtik- hamba, DLK26-01) et les souverains mentionnés du côté tibétain (cf. infra)252. Deux ouvrages publiés en anglais mais signés par des auteurs népalais résument et enrichissent les données sur l’histoire du Népal occidental : The Khaśa Kingdom. A Trans-Himalayan Empire of the Middle Age par Surya Mani Adhikary (1988) et Making of Modern Nepal. A Study of History, Art and Culture of the Principalities of Western Nepal par Ram Niwas Pandey (1997).

L’art et l’architecture du bassin de la Karnali sont particulièrement étudiés par l’histo- rien népalais Prayag Raj Sharma, qui publie en 1972 un Preliminary study of the Art and Ar- chitecture of the Karnali Basin. Les apports principaux de l’ouvrage sont les rapprochements stylistiques établis avec l’Inde et les premières cartes de sites historiques visités par l’auteur et le chercheur français Marc Gaborieau, dont il est l’assistant de terrain253. Ce dernier s’intéresse

251 De nombreuses maisonnées des districts de Jumla, Dailekh et Kalikot gardent précieusement un ou plusieurs

ouvrages de Yogi Naraharinath. À Khadacakra, le chef-lieu de Kalikot, le carrefour central du bazar (cok) porte son nom.

252 Tucci 1956.

pour sa part au contexte religieux de la Karnali. Il publie en 1969 les « Notes préliminaires sur le dieu Maṣṭā », un des premiers articles dédiés aux cultes oraculaires de la région. Le sujet sera ensuite approfondi dans la thèse de doctorat de Gabriel J. Campbell, Consultations with Hima- layan Oracular Gods: A Study of Oracular Religion and Alternative Values in Hindu Jumla (1978) puis dans celles de Satya Shrestha-Schipper, Religion et Pouvoir chez les Indo-Népalais de l’Ouest du Népal (Jumla) (2003) et de Hayami Yasuno publiée en 2018 sous le titre Mani- festing Gods and Remedial Faults. The Masta Cult of Western Nepal. En 2009 paraît le livre Bards and Mediums. History, Culture and Politics in the Central Himalayan Kingdoms, édité par Marie Lecomte-Tilouine. Résultat d’un programme de recherche financé par le Ministère de la Recherche, il comporte de nombreuses études portant sur les pratiques oraculaires, les traditions orales, généalogies et épopées, des bardes huḍke, ainsi que sur l’histoire et l’organi- sation spatiale de Dullu, l’histoire du royaume de Dailekh et de l’Uttarakhand. Le sanskritiste népalais Mahes Raj Pant y livre également des traductions d’inscriptions Khaśa Malla et post- Khaśa Malla254. Des chercheurs népalais ont également publié des ouvrages d’histoire en né- pali. Mentionnons ici les travaux de Rajaran Subedi (2001) et de S. M. Joshi (1971).

Les archéologues s’intéressent à la région de la Karnali à partir des années 1980. Le Franco-Suisse Dominique Baudais255 mène des prospections pédestres dans le district de Jumla depuis 1982 (Fig. 3.7). Ce travail constitue la première approche systématique du patrimoine archéologique dans la région. Dans un rapport non publié de 2001, le nombre de sites relevés s’élève à 27 dans la vallée de la Tila et 26 dans celle de la Sinja256. L’essentiel de l’inventaire des sites du district de Jumla présenté avec cette étude a été généreusement fourni par D. Bau- dais, dont les prospections se poursuivent depuis 2018 dans le district de Kalikot.

Le chercheur népalais Dilli Raj Sharma a publié en 2012 l’ouvrage Heritage of Western Nepal. Art and Architecture, qui dresse le catalogue des sites majeurs compris entre le Dolpo à l’est et la Mahakali à l’ouest. L’auteur n’a cependant pas visité tous les sites mentionnés, ce qui explique des descriptions parfois erronées.

En 1995 un projet intitulé The Central Himalayan Project est lancé par Tim Harward. Dans le cadre de ce projet des archéologues britanniques ont pu travailler sur différentes thé- matiques, comme le temple de Kakrevihar à Surkhet257 ou le site de Sinja258. L’archéologue

254 Pant 2009.

255 Chercheur Associé au Département d’Anthropologie et d’Ecologie de l’Université de Genève (1978-2010) et

Chargé de Recherche à l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP, 2004-2017).

256 Lundström-Baudais & Baudais 2001, Tableau 2. Le rapport mentionne également des prélèvements dendro-

chronologiques effectués par Karen Lundström-Baudais (pp. 2-3).

257 Hawkes et al. 2012. 258 Evans et al. 2003.

Christopher Evans mène en 2000 les premières fouilles archéologiques sur le site de Sinja, qui est identifié comme l’une des capitales de l’empire Khaśa Malla depuis G. Tucci (cf. Ch. 10)259. Un petit recueil a récemment été publié par T. Harward. Supposé traiter de la vallée de Surkhet, l’ouvrage est malheureusement très mal documenté260.

Il est intéressant de noter qu’à défaut de conduire des fouilles, le Department of Ar- chaeology (DoA) a fait la démarche de placer la vallée de la Sinja et le site de Bhurti (DLK01, Fig. 4.21b) sur la Liste Indicative de classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO261. Le DoA a également édité deux inventaires très succincts de la zone de la Mahakali (districts de Kanchanpur, Dadeldhura, Baitadi et Darchula) et de la Bheri (districts de Bardiya, Surkhet, Dailekh et Jajarkot)262.

Cet état des lieux révèle donc un contexte déjà documenté par l’ethnographie et l’his- toire. En revanche, en l’absence d’approches systématiques, les aspects épigraphiques et ar- chéologiques restent grandement lacunaires. Un important corpus de généalogies de lignées (Skt. vaṃśavalī) traduites en français et/ou en anglais par M. Lecomte-Tilouine (cf. Annexe 1) m’a été également transmis sous forme manuscrite. Ma recherche mobilise les différentes res- sources à disposition dans le but de mieux appréhender le patrimoine archéologique du bassin de la Karnali et ses problématiques.

259 Evans et al. 2003 ; Tucci 1956.

260 Harward 2017. Si le texte traite des recherches menées par l’auteur sur le site de Kakrevihar, dans le district

de Surkhet, les clichés publiés concernent tous des piliers mémoriels d’Uttarakhand et des districts népalais de Surkhet et de Dailekh.

261 Les critères avancés sont (ii) et (iii) pour la vallée de Sinja et (iii) et (iv) pour Bhurti. Ils indiquent respective-

ment que le patrimoine doit « témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monu- mentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages », « apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue » et « offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine ». Cf. https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5263/ et https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5264/.

DEUXIÈME PARTIE : LE CORPUS ARCHÉOLOGIQUE DU BASSIN

DE LA KARNALI

Dans cette partie sont présentés les principaux types de vestiges archéologiques qui ont pu être relevés dans le bassin de la Karnali. Des comparaisons peuvent être établies avec des artefacts semblables relevés dans les districts plus occidentaux de Dadeldhura et de Baitadi, ainsi qu’avec les états indiens d’Uttarakhand, d’Himachal Pradesh, du Rajasthan et du Gujarat. Le neuvième chapitre présente succinctement différents types d’objets archéologiques qui ne peuvent pas être traités en détails dans cette étude. La statuaire et les bas-reliefs, qui sont étudiés plus particulièrement dans les chapitres suivants, ne sont pas mentionnés ici par souci d’éviter les redondances.