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Les modifications des relations de pouvoir dues à l’observation sociale

Section 2. La dimension organisationnelle de l’observation sociale

2.2. Observation sociale et pouvoir

2.2.2. Les modifications des relations de pouvoir dues à l’observation sociale

Le pouvoir de l’observation sociale ou sa légitimité dépend en partie de sa position au sein de la structure de l’entreprise. La marge de manœuvre de l’observation sociale ne sera pas la même si elle dépend directement de la Direction Générale ou de la Direction des Ressources Humaines. L’indépendance par rapport à la Direction des Ressources Humaines permet notamment d’assurer une plus grande neutralité dans le dialogue avec les partenaires sociaux. Il est vrai que la Direction des Ressources Humaines ne fera pas certaines recommandations à la Direction Générale si elle n’est pas dans la capacité de mettre en œuvre les plans d’action correspondants. Par ailleurs, l’autorité de l’observation sociale résulte aussi de la réalisation des objectifs qui lui sont attribués : « la légitimité de l’observation sociale sera remise en cause à chaque crise dont l’ampleur aura surpris l’état-major, par ailleurs sourd aux signaux d’alerte en période de calme » (Igalens J. et Loignon C., 1997)2.

Après avoir déterminé la légitimité d’un dispositif d’observation sociale de manière générale, observons les répercussions sur le positionnement des acteurs de la mise en place d’un tel dispositif.

1 Crozier M. et Friedberg E. (1977), op. cit., p. 88. 2 Igalens J. et Loignon C. (1997), op. cit., p. 117.

La Direction Générale, et les directions en général, obtiennent plus de pouvoir de part leur maîtrise du réseau de communication d’informations. Il s’avère en effet que l’information et les connaissances produites par le dispositif d’observation sociale transite de manière quasi systématique par la direction à laquelle il est rattaché. On observe encore beaucoup de situations au cours desquelles les responsables d’observatoires doivent rendre compte à leur direction et justifier toute information descendante et/ou transversale. Les niveaux hiérarchiques sont rarement court- circuités. Certains auteurs parlent de « politisation de l’information » ; « celle-ci n’est pas toujours aussi démocratique qu’on pourrait le souhaiter : non qu’elle soit secrète, mais dans la mesure où elle demeure essentiellement descendante, elle se trouve un peu confisquée par un public d’utilisateurs avertis » (Mingasson L., 1993)1. L’observation sociale renforce ainsi le contrôle social des directions sur le corps social.

L’observation sociale contribue à accroître le rôle du DRH. Par le biais d’une connaissance plus approfondie du climat social et des relations sociales en général, elle lui permet d’être plus écouté et de pouvoir donner un avis éclairé à la Direction Générale. Elle lui permet aussi d’avoir les habiletés politiques lui conférant un rôle d’agent de changement : être capable de créer des consensus, d’aller chercher les appuis, de venir à bout des réticences.

Il n’est pas vain d’affirmer que les observateurs sociaux sont devenus au sein de l’entreprise de nouveaux interlocuteurs pour les différents acteurs du social. Cette reconnaissance acquise donne des possibilités de dialogue, les propos tenus sont entendus, perçus comme utiles, constructifs, voire intéressants ; s’instaure alors un rapport d’égalité dans l’échange. Cette nouvelle situation provient des remontées d’informations produites par l’observation sociale. Ce dispositif est devenu un moyen de négociation et d’argumentation avec les partenaires. Ainsi, les sollicitations se multiplient dans le cadre de différentes conventions de coordination. Face à des partenaires de poids, pour arriver à se faire entendre, l’observation sociale fait valoir son expertise en fournissant des arguments, des éléments chiffrés, en exposant les résultats des expériences précédentes, prenant en considération les objectifs des différentes parties en présence pour démontrer que telle option envisagée ne donnera pas les résultats escomptés et faire des propositions plus adaptées aux besoins évalués. L’effort fait par les membres de l’observation sociale pour comprendre la logique d’autres fonctions, pour reconnaître leurs contraintes et leurs objectifs, pour voir les points communs, partageables, ouvre à un positionnement plus politique, apte à saisir la dimension stratégique du social. Les membres de l’observation sociale sont devenus des interlocuteurs reconnus pour leur expertise.

Les experts de l’observation sociale situés au siège peuvent prendre un rôle très important et moteur dans l’élaboration des plans stratégiques de leur domaine d’expertise. La Direction Générale peut estimer que la prise de pouvoir de ces experts est préjudiciable à l’efficacité globale de l’observation sociale, générant un manque d’implication des "locaux" comme les directeurs d’unité ou leur DRH. Chaque directeur de site se voit alors confier la responsabilité de l’observation

1 Mingasson L. (1993), « Au plus près de l’utilisateur », Informations sociales, « Observer le social »,

sociale pour le compte de sa division. Dans cette mission, il est assisté par l’expert du siège qui est ainsi repositionné en co-pilote et non en pilote du dispositif d’observation sociale. Ce mouvement prolonge la transformation du pouvoir hiérarchique de l’encadrement et de la maîtrise (Mahieu C., 1994)1 vers un rôle d’animateur. Depuis le courant du management participatif des années 80 et selon la conception issue de l’école des relations humaines, le rôle de l’encadrement est de développer le management, la formation, de soutenir le développement professionnel des collaborateurs, d’évaluer à la fois les performances globales de l’unité et individuelles des personnes, en réduisant le rôle de commandement et de supervision directes. Il est donc envisageable de voir apparaître à terme des agents de maîtrise avec un double rôle : un rôle opérationnel de management de leur unité et des personnes avec, au sein de ce rôle, une place attribuée à l’observation sociale ; ainsi qu’une responsabilité fonctionnelle dans une spécialité (qualité, sécurité,…). Cette évolution de l’encadrement, si elle paraît nécessaire à long terme, fera néanmoins l’objet de nombreuses résistances du fait des comportements des intéressés et de leur hiérarchie supérieure : un hiatus risque de s’observer entre les intentions, les discours et les pratiques d’entreprises.

Le cadre opérationnel ou hiérarchique peut avoir besoin des méthodes établies par l’observateur social pour établir le climat social, analyser les revendications syndicales, déterminer les stratégies syndicales. Ces analyses lui permettent de comprendre les causes de ses problèmes RH pour envisager des solutions appropriées. Les relations entre observateur social et cadre opérationnel peuvent se limiter dans certains observatoires sociaux dont les capacités sont peu estimées à la transmission de l’information requise par le demandeur. Il faut que l’observateur social et ses capteurs se mettent à la place des cadres opérationnels, c’est-à-dire qu’ils comprennent leurs problèmes, propose des solutions appropriées, les aide à les implanter et facilite le transfert de connaissances pour qu’ils puissent agir seuls dans un contexte semblable. Au même titre que l’on a observé une implication accrue des cadres hiérarchiques dans la Gestion des Ressources Humaines (Guérin G. et Wils T., 1996)2, il est envisageable de penser que l’observation sociale suivra la même évolution. C’est en montrant aux opérationnels toutes les capacités et l’intérêt de l’observation sociale que ces dispositifs pourront être efficaces et perdurer.

L’observation sociale favorise aussi de nouveaux positionnements d’autres catégories de personnel qui contribuent fortement à l’observation sociale, comme les assistants sociaux. Cette catégorie de personnel est beaucoup plus légitime et mieux intégrée depuis qu’elle pratique l’observation sociale en complément de son activité traditionnelle. La perception des assistants sociaux par la ligne hiérarchique a nettement progressé, ils ne sont plus remis en cause (Hatzfeld H. et Spiegelstein J., 2000)3. Ces modifications confirment le fait qu’« on sous-estime trop souvent la

1 Mahieu C. (1994), « Les nouvelles formes d’organisation du travail : les enjeux des expériences

actuelles », Economies et Sociétés, Série Sciences de Gestion, SG. n° 20, Vol. 28, mai, pp. 161-187.

2 Guérin G. et Wils T. (1996), « Gestion des ressources humaines : le nouveau paradigme, ses limites

et ses exigences », in Murray G., Morin M-L. et Da Costa I. (sous la direction de), L’état des

relations professionnelles, traditions et perspectives de recherche, Collection Travail, Octares

Editions, Toulouse, pp. 188-218.

pertinence des informations que détiennent les collaborateurs du fait de leur position dans l’organisation » (Barel Y. et Guyon C., 1996)1.

L’employé occupe une place essentielle dans l’organisation et l’importance de sa contribution au succès organisationnel n’est plus remise en cause (Guérin G. et Wils T., 1992)2. Selon cette vision, tout membre décideur de l’organisation doit être à l’écoute (Du Cluzeau H. et Dancygier S., 1997)3. Les remontées d’informations générées par l’observation sociale favorise une meilleure prise en compte des attentes des salariés par la direction. Cela correspond-il pour autant à un accroissement du pouvoir des salariés ? Il est difficile de répondre a priori à cette question. Il est cependant évident que cela peut modifier la considération des salariés pour leur direction, reste à voir si cette écoute se traduit par des actions adéquates, à défaut de quoi l’insatisfaction des salariés ne ferait qu’augmenter. Les conditions de retour d’information aux salariés représentent aussi un instrument clé d’une future participation et d’une valorisation de l’observation sociale.

Par le biais de l’observation sociale, le partenariat pourrait s’étendre aux relations patronales-syndicales. Ce n’est toutefois pas le cas. Les militants syndicaux sont encore souvent persuadés que les relations avec le patronat ne peuvent être que de nature conflictuelle, ou tout au moins ne sont pas encore convaincus du lien possible entre les nouvelles pratiques de Gestion des Ressources Humaines et l’amélioration de la qualité de vie des travailleurs ou l’augmentation du pouvoir syndical (Wells D., 1993)4. Ces difficultés de dialogue sont à l’origine de pratiques innovatrices qui

tentent de court-circuiter les organisations syndicales en établissant un dialogue direct avec les employés (Wells D., 1993)5. On peut considérer l’observation sociale comme faisant partie de ces pratiques qui affaiblissent le pouvoir des syndicats. Le dispositif d’observation sociale, par l’expertise qu’il apporte, peut néanmoins contribuer à une négociation positive ou négociation à gains partagés, c’est-à-dire au partage des problèmes respectifs et à la recherche de solutions qui satisfont les deux parties.

Les relations de pouvoir décrites apparaissent lorsque l’observation sociale est un dispositif complet avec une organisation optimale. Dans ce cadre, la pratique de l’observation sociale modifie la position de certaines catégories d’acteurs dans l’ensemble du système relationnel, et par conséquent modifie les relations de pouvoir. Ces changements peuvent avoir des répercussions lourdes, y compris sur l’existence même du dispositif : « l’observation sociale court-circuite des intermédiaires normaux en passant par une voie plus rapide. Ces intermédiaires, qu’ils soient issus des institutions représentatives du personnel ou de l’encadrement, peuvent exercer leur influence pour faire abandonner le projet ou l’embryon

1 Barel Y. et Guyon C. (1996), « Changer au quotidien », L’Expansion Management Review, n° 81,

juin, pp. 91-98.

2 Guérin G. et Wils T. (1992), Gestion des ressources humaines. Du modèle traditionnel au modèle renouvelé, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, p. 57.

3 Du Cluzeau H. et Dancygier S. (1997), op. cit.

4 Wells D. (1993), « Are strong unions compatible with the new model of human resource

management », Relations Industrielles/Industrial Relations, Vol. 48, n° 1, pp. 56-85.

d’observation sociale » (Igalens J. et Loignon C., 1997)1. Les pratiques d’observation sociale sont donc à la fois des ressources du pouvoir (détention d’informations et place dans un réseau), et le support par lequel les stratégies s’expriment.

Mais, les jeux de pouvoir entre niveaux hiérarchiques ou entre structures verticales et structures transversales, s’ils constituent des explications séduisantes pour rendre compte de certaines difficultés d’établissement de l’observation sociale, ne suffisent pas toujours. On n’observe pas forcément et de manière systématique de luttes autour de zones d’expertise contrôlées par les uns ou les autres. Les difficultés rencontrées proviennent parfois autant de l’indifférence que de conflits d’intérêts (Moisdon J-C. et Weil B., 1992)2. L’idéal est d’arriver à faire en sorte que toute nouvelle connaissance produite est bienvenue dans la mesure où elle est susceptible de débloquer une situation et d’offrir de nouvelles perspectives de compromis. Il s’agit pour cela d’arriver à intéresser le plus grand nombre d’acteurs. Le système d’observation doit s’inscrire dans une logique de partenariat et définir les règles sur lesquelles les acteurs locaux doivent s’accorder, tenir compte des relations entre les individus et les individus les représentant en jouant pleinement le jeu de la transparence et le partage d’une information jugée par tous légitime et donc susceptible d’être appropriée par eux. L’hétérogénéité des intérêts et des espaces de compétence en jeu rend, il est vrai, cet objectif d’autant plus difficile à atteindre. La mise en œuvre des dispositifs d’observation sociale peut rencontrer plusieurs points d’achoppement. Son positionnement au sein de l’entreprise, son niveau de décentralisation ainsi que les jeux de pouvoir rendent parfois difficile la mobilisation des différents acteurs potentiels de l’observation sociale, et le maintien entre eux d’une réciprocité des échanges d’informations et des méthodologies proches. L’observation sociale pose des problèmes organisationnels spécifiques mais également des problèmes d’outils.

1 Igalens J. et Loignon C. (1997), op. cit., p. 185.

2 Moisdon J-C. et Weil B. (1992), « Groupes transversaux et coordination technique dans la

conception d’un nouveau véhicule », Cahiers de Recherche du Centre de Gestion Scientifique, n° 3, Ecole des Mines de Paris, p. 22.

Section 3. La dimension instrumentale de l’observation sociale

La première finalité de l’observation sociale est de fournir des informations sociales qui concernent à la fois des situations individuelles (chaque salarié constituant un cas particulier) et des comportements collectifs (par catégories, sous-unités, types d’emplois…), des aspects quantitatifs (âges, effectifs, temps, salaires…) et des aspects qualitatifs (potentiels individuels, conditions de travail, appréciation sur les formations). Il faut donc disposer d’outils multiples, capables de mémorisation et de traitement statistique.

Les outils de l’observation sociale sont par conséquent nombreux et variés. Ainsi, certains mettent en cause des méthodes que d’autres préconisent. Faut-il, par exemple, bannir l’analyse de données quantitatives si l’on considère qu’elles restent muettes sur les « logiques d’acteurs » ? Nous voyons ici se profiler des enjeux de méthode qui sont autant d’enjeux sur la manière de voir et d’observer (Rebeyrolle M., 1997)1.

Face à la variété des finalités, des intérêts et des préoccupations des acteurs, l’observation et l’analyse se doivent d’adopter des méthodes diversifiées. Il n’y a pas a priori de bon ou de mauvais outils mais des outils adaptés ou non. Chaque entreprise a le choix et c’est le fond de l’étude qui doit induire la méthode. C’est dire qu’une clarification des besoins et des objectifs doit être opérée en préalable à toute mise en œuvre d’outils d’observation.

Historiquement, l’ossature des outils mis en place dans le cadre de l’observation sociale reste néanmoins constituée par un système d’informations quantitatives détaillé. L’observation sociale commence donc par porter sur des variables d’action et de résultats, domaines relativement maîtrisables, au moyen des instruments classiques de mesure. A côté de ces bases d’informations quantitatives classiques, des outils plus précis, plus subjectifs aussi, permettent de réaliser des études plus approfondies. L’observation sociale se penche alors sur des variables d’état avec des méthodes adaptées à la nature socio-culturelle de ces variables.

Ainsi, trois grandes catégories d’outils se présentent (Igalens J. et Loignon C., 1997 ; Donnadieu G. et Johnson S-A., 1993)2 : les indicateurs3 objectifs (3.1), les indicateurs qualitatifs (3.2), et les indicateurs interprétatifs (3.3).