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Section 2. La dimension organisationnelle de l’observation sociale

3.2. Des indicateurs qualitatifs pour contextualiser

3.2.2. Les enquêtes sociales

L’enquête sociale est l’outil privilégié de la mesure des attitudes. Après avoir abordé ses fondements, nous verrons quels critères doivent être remplis afin d’entreprendre une enquête sociale de qualité.

3.2.2.1. Principes généraux

En sciences sociales, l’enquête sociale se présente comme une interrogation particulière portée sur une population composée d’une diversité d’individus. C’est un des moyens de mise en expression du personnel. L’enquête d’opinion pourrait se définir comme l’étude statistique du discours des autres. Elle appréhende les aspects qualitatifs qui échappent aux indicateurs objectifs, ce qui permet notamment de faire émerger les causes d’insatisfactions porteuses de conflits. L’enquête devient ainsi un outil de gestion, dans la mesure où, s’intégrant dans une stratégie d’ensemble, elle permet de préparer des décisions grâce au diagnostic auquel elle aboutit.

De nombreux dispositifs existent. Ils varient suivant les problèmes à résoudre dans l’entreprise et adoptent des paradigmes différents. Il est possible de répertorier : - les enquêtes ad hoc (photographie de l’état de l’opinion par rapport à une ou

plusieurs questions),

- les enquêtes de satisfaction ou psychosociologiques (issues du courant des relations humaines) qui recensent les besoins et attentes des salariés,

- les enquêtes de climat (issues du courant de la sociologie des acteurs) qui s’intéressent à la conflictualité entre les acteurs institutionnels ou non de l’entreprise,

- les enquêtes socioculturelles (issues du courant socioculturel) qui s’attachent aux représentations sociales, aux valeurs, aux mentalités et qui constituent une segmentation des salariés,

- les enquêtes socio-organisationnelles (issues de l’école socio-technique puis de l’approche systémique) qui évaluent l’efficacité de l’interaction entre les hommes et l’organisation.

Aujourd’hui, les enquêtes socio-culturelles et socio-organisationnelles sont les plus utilisées ; elles sont d’ailleurs complémentaires et présentent beaucoup de recouvrements (Donnadieu G. et Johnson S-A., 1993)1.

Au-delà de leur fondement théorique, ces études peuvent être longitudinales ou comparatives, à court ou à long terme.

L’observation sociale s’engage peu dans des enquêtes comparatives où l’on cherche à situer le social de l’entreprise étudiée par rapport à celui d’autres entreprises. Outre les inconvénients classiques de ce type d’enquête2, l’observation sociale cherche surtout à percevoir ce qui se passe au sein même de l’entreprise. Elle a donc plutôt tendance à pratiquer des études longitudinales. Dans ce format, on réalise périodiquement, sur une population donnée, un sondage avec les mêmes types de questions. Les déplacements d’opinion peuvent alors fournir des indications précieuses sur le vécu des acteurs sociaux. Ce type d’enquête nécessite une finesse de questionnement importante, une taille d’échantillon suffisante. Ce sont des dispositifs relativement lourds qui réclament, pour être efficaces, d’être répétés dans la longue durée (de 18 mois à 3 ans en général) car ils supposent une forte routinisation des processus d’enquêtes et une mobilisation régulière du personnel. Ce sont alors les écarts entre les différentes enquêtes qui sont significatifs et qui permettent de mesurer les évolutions du social. Leur utilisation périodique permet un suivi historique des mouvements de l’opinion des salariés. Cette capacité d’analyse peut être aussi recherchée par des enquêtes qualitatives dont l’objectif n’est pas de saisir les opinions des acteurs, mais la rationalité de leurs stratégies. Il s’agit d’intégrer, dans l’analyse de type systémique, comment se positionnent les différents groupes sociaux de l’entreprise et de comprendre les règles du jeu qui structurent leurs actions. Ces enquêtes longitudinales évitent le risque fort de catégorisation voire de stigmatisation de tel ou tel groupe social ou de tel lieu. Indicateurs et descripteurs tendent à rendre compte d’états, caractéristiques de groupes considérés comme stables et sur lesquels le manager se focalise et qui tendent à devenir des caractéristiques intrinsèques des groupes eux-mêmes alors que seules des analyses dynamiques fondées sur des approches longitudinales permettent de rendre compte de processus et d’interactions entre groupes sociaux mobiles. D’autres enquêtes administrées à plus court terme (tous les 3 à 6 mois) ne cherchent pas à couvrir l’ensemble des aspects du management social mais plutôt à prévenir des dysfonctionnements par le biais de quelques indicateurs d’alerte. Dans ce cadre, quelques questions sont posées à un échantillon représentatif des populations concernées, ce qui permet d’établir un suivi de la conjoncture. On retrouve ce type d’enquête sous l’intitulé de "baromètre social" (Donnadieu G. et Johnson S-A., 1993)3.

1 Donnadieu G. et Johnson S-A. (1993), op. cit., pp. 29-30.

2 Les démarches axées sur la comparaison souffrent de ne pas offrir de comparaison terme à terme.

On ne sait pas toujours comment sont construits les traitements ou les questions. En d’autres termes, on ne sait pas ce que l’on compare, il est donc difficile d’en tirer des leçons claires pour l’entreprise.

Pour recueillir les informations, ces enquêtes doivent définir leurs méthodes1. De manière classique, chaque enquête requiert une préparation propre : définir la population et le sujet de l’étude, formuler les hypothèses qui vont guider cette étude, choisir un échantillon présentant une variété de cas, élaborer un guide d’entretien, fixer le cadre institutionnel de cette enquête et la façon dont elle sera présentée aux enquêtés, puis mesure des attitudes, déroulement de l’enquête, questionnaire, analyse des résultats. Le plus souvent elles se fondent sur les techniques d’enquêtes sociologiques par entretiens semi-directifs. Intéressantes parce qu’elles permettent l’approfondissement d’une question et valorisent ceux qui l’effectuent, ces enquêtes sont cependant coûteuses en temps. Aussi est-ce souvent un groupe de travail, voire une personne particulièrement motivée, qui prend en charge la réalisation d’une étude.

Quel que soit le type d’enquête adopté, certains éléments liés à l’outil sont à rappeler. L’interaction observateur/objet est sans doute plus grande dans l’enquête d’opinion que dans d’autres méthodes des sciences sociales. Dans l’analyse de contenu par exemple, on va analyser des documents (procès-verbaux de réunions, tracts syndicaux, presse d’entreprise, etc. et cette analyse n’interfère pas avec les attitudes et les comportements (tout au moins tant qu’elle n’est pas connue). Ici, l’enquêteur intervient dans un but d’observation, mais par les questions qu’il pose, il modifie nécessairement l’objet de son observation. De plus, l’observation a toujours une influence sur le milieu observé : demander l’opinion du personnel induit des attentes. Par exemple, s’engager dans une analyse de climat social n’est donc pas neutre vis-à- vis de ce milieu. L’enquête va déclencher diverses réactions et appellent nécessairement des réponses sous forme de décisions concrètes.

Bon nombre d’entreprises ont recours à des enquêtes sociales : "Echo" à la RATP tous les deux ans, le "Socioscope" à La Poste tous les 18 mois… 2. La SNCF, quant à elle, réalise une enquête sociale dont l’objectif principal est de connaître l’opinion des salariés lorsque les circuits de communication habituels fonctionnent peu ou mal (informations divergentes), ou lorsque l’entreprise doit faire face à des dysfonctionnements imprévus, ou encore lorsque la direction veut savoir s’il existe des différences d’opinion entre ses salariés et ceux d’autres entreprises du même secteur. Plus précisément, cette enquête sociale mesure les évolutions du climat social, établit un diagnostic social de la situation actuelle de la SNCF, évalue la notoriété et l’impact des réformes ou des projets, et trace un diagnostic des modes de fonctionnement interne et du management. Elle a été réalisée une première fois en automne 1992 puis réitérée. Elle s’adresse à un échantillon déterminé de la population qui permet de réaliser des analyses portant sur différentes catégories de population (par région et bassin d’emploi, par famille de métier, par tranche d’âge, etc.). Fondée sur la mesure directe de l’opinion des salariés, cette enquête sociale est

1 L’objet de cette partie n’est pas de faire une présentation exhaustive du processus d’enquête et de sa

méthodologie. Pour des éléments détaillés sur ce sujet, voir :

Igalens J. (2000), Audit des ressources humaines, Collection Entreprise & Carrières, 3ème édition,

Rueil-Malmaison : Editions Liaisons, pp. 35-75.

Peretti J-M. et Vachette J-L. (1984), op. cit., chapitre 8, pp. 117-134.

2 Pour plus de détails sur les enquêtes entreprises dans diverses sociétés, voir Parmentier F. (1996), L’observation sociale dans 22 entreprises françaises publiques et privées, Banque de France,

destinée à fournir une source complémentaire d’informations qui permet d’effectuer des recoupements d’opinions. Les managers de l’entreprise disposent alors d’une base d’informations fiables. Cette enquête contribue à bâtir une stratégie sociale et à orienter les comportements des acteurs chargés de la mettre en œuvre, car l’un des critères de qualité de l’enquête sociale est d’obtenir l’utilisation de ses résultats. 3.2.2.2. Critères de qualité

Constater que l’utilisation de l’enquête d’opinion va grandissant en entreprise ne saurait suffire à fonder sa légitimité et encore moins sa pertinence scientifique. Encore faut-il qu’elle remplisse certaines conditions prioritaires d’efficacité.

En analysant les résultats obtenus par les entreprises et plus particulièrement les difficultés rencontrées, on est conduit à mettre l’accent sur quatre conditions.

Tout d’abord, il faut que l’entreprise mette en place des processus adaptés. Une démarche d’enquête se déroule nécessairement selon cinq étapes :

1. Une détermination rigoureuse des objectifs, en fonction de la situation de l’entreprise et de ses modes de management. On se trouve confronté à la demande originelle. C’est de l’analyse de cette demande que vont dépendre la délimitation du champ d’observation, la nature des thèmes étudiés, le choix du référentiel théorique, les moyens et délais de mise en œuvre. Les objectifs gagneront donc à être formalisés et hiérarchisés.

2. L’élaboration des hypothèses à l’aide d’une pré-enquête basée sur des entretiens non directifs et après étude de documents ou tous autres éléments pouvant suggérer des schémas explicatifs de phénomènes observés.

3. La transformation des hypothèses en indicateurs. C’est la réalisation du questionnaire proprement dit.

4. La validation des hypothèses et l’interprétation. C’est la phase d’enquête proprement dite comprenant le recueil des données et leur traitement d’interprétation.

5. La restitution. Elle doit être considérée comme une phase intégrante de l’enquête. Les enquêtes d’opinion seront rapidement décrédibilisées si aucun retour n’est donné. La restitution doit être à la fois légère et complète : donner les tris à plat, assortis de commentaires, est une bonne formule.

Dans un second temps, il est nécessaire de s’assurer qu’il existe des clients pour utiliser les résultats. Si réaliser une enquête fiable n’est pas aussi simple qu’il le paraît, ce n’est pourtant pas le plus difficile. Le plus difficile semble être en effet, d’obtenir que les résultats de cette enquête soient bien utilisés, que l’enquête produise des conséquences positives visibles. D’où la proposition de mettre les clients au cœur du processus, en ayant recours par exemple à un groupe-projet qui associe de manière dynamique les utilisateurs.

Ensuite, l’enquête doit être intégrée dans une stratégie globale et flexible. L’analyse des pratiques semble mettre ici en relief les deux points suivants :

- l’enquête d’opinion paraît plus efficace lorsqu’elle est intégrée dans un ensemble d’actions. Dans notre cas, l’enquête d’opinion se place comme un des moyens d’un observatoire social chargé de rassembler et diffuser l’information sociale dans l’entreprise.

- si l’entreprise est diversifiée dans ses composantes, l’enquête gagnera à être diversifiée dans ses modalités.

Dernière condition prioritaire d’efficacité, l’élaboration d’une enquête sociale doit faire preuve d’une réelle gestion du temps. Cette gestion du temps se place à plusieurs niveaux :

- Court et long terme. Si l’enquête peut apporter des résultats immédiats, elle ne prend le plus souvent sa pleine efficacité qu’après une assez longue pratique. On retrouve ici la notion de stratégie globale.

- Evaluation des temps nécessaires à la conception, à l’adhésion des "clients", à la mise en œuvre, à l’exploitation, à l’information. des moyens ou des délais trop courts risquent de créer des effets pervers considérables. Une enquête sérieuse coûte cher et mettre en relief le budget temps total peut créer des difficultés, mais oblige aussi à bien définir les objectifs et critères de résultats à atteindre.

- Evaluation des opportunités de situation. Dans certains cas la régularité de périodicité peut être importante. Dans d’autres, la conjoncture ou des réorganisations, peuvent amener à la différer. Lorsqu’il s’agit d’une première enquête, les délais de sensibilisation peuvent être longs.

Aujourd’hui, l’enquête sociale est un outil majeur, dont on peut recommander l’utilisation régulière. Les entreprises peuvent disposer de suffisamment d’expérience et de recul pour en maîtriser la conduite avec efficacité. Mais on doit aussi souligner le risque permanent de sous-estimer la complexité des processus qu’il requiert. C’est un outil qui peut en effet paraître relativement simple. Là est le piège majeur. Rigueur et professionnalisme sont indispensables, et ne vont pas nécessairement de pair avec les engouements de la mode ou le désir de rapidité de mise en œuvre. L’enquête sociale n’est pas un outil à utiliser isolément. S’il présente des avantages certains, il est aussi limité. Il importe donc de le concevoir dans un ensemble de moyens, que ce soit au plan de l’observation de la vie sociale de l’entreprise ou au plan de l’amélioration des pratiques de Gestion des Ressources Humaines et de management des hommes. Ceci d’autant plus qu’il requiert des moyens relativement importants pour être efficace.

L’enquête sociale est un outil politique autant que technique. Il doit donc être piloté en conséquence. Il doit être cohérent avec les spécificités de l’entreprise, son mode de management, ses structures, le degré d’évolution et d’efficacité des politiques de ressources humaines. Il n’est valable que par les actions qu’il produit ou favorise visiblement. Il requiert une action durable et cohérente, une implication des managers qui se poursuivent au-delà des changements de responsables1. Il mérite en

ce sens un double pilotage : managérial et technique.

1 On voit trop souvent des enquêtes qui restent inexploitées à la suite d’un changement de direction.

Par exemple, à France Télécom, la Direction Régionale de Toulouse n’a pas tiré parti de l’Observatoire Social Décentralisé : Annexes de Galey B. (2001), op. cit.

Dans certains dispositifs d’observation sociale, ces enquêtes constituent l’unique outil (cas de France Télécom avec l’Observatoire Social Décentralisé) : « en dehors de l’enquête d’opinion, l’existence d’une démarche intégrée avec pour corollaire la mise en place de structures dédiées, reste encore l’exception » (Igalens J. et Loignon C., 1997)1. Par ailleurs, certaines recherches traitent des pratiques d’observation sociale en ne tenant empiriquement compte que de l’enquête sociale (Galey B., 2001)2. Ce sont deux erreurs ; l’enquête sociale peut constituer la base de l’observation sociale mais, à elle seule, ne peut être assimilée à de l’observation sociale. Afin d’entreprendre une démarche complète, l’observation sociale doit également faire appel à des indicateurs interprétatifs.