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Indicateurs et tableaux de bord sociaux

Section 2. La dimension organisationnelle de l’observation sociale

3.1. Des indicateurs objectifs, nécessaires mais non suffisants

3.1.3. Indicateurs et tableaux de bord sociaux

Parmi l’ensemble des informations disponibles, il est possible d’identifier les plus pertinentes, c’est-à-dire celles qui représentent un intérêt certain pour l’entreprise et qui permettent d’objectiver certaines analyses1. Ces choix d’indicateurs sont déterminés en fonction des domaines d’analyse, des problèmes ou groupes cibles à étudier. Ils résultent d’un dispositif rigoureux de travail en partenariat entre les décideurs et les analystes, et tentent de mettre en adéquation opérations conceptuelles, choix politiques, contraintes techniques et accessibilité de l’information. Il ne faut pas chercher à être exhaustif. Les indicateurs retenus doivent concerner un groupe social homogène parfaitement défini, et doivent être traités de manière à faire apparaître les modifications de comportement de ce groupe soit par rapport à celui d’autres groupes préalablement identifiés (indicateur de situation), soit par rapport à celui qui lui était habituel (indicateur d’évolution) (Donnadieu G. et Johnson S-A., 1993)2.

1 Voir, par exemple, l’utilisation faite de certaines données issues des bilans sociaux dans Comhaire

P. et Dendauw C. (1997-1998), op. cit.

2 Donnadieu G. et Johnson S-A. (1993), op. cit., p. 20.

Bases de données RH TBS Eclatement des données Informations complémentaires AGREGATION SYNTHESE

3.1.3.1. La nature des indicateurs retenus

Comme tout indicateur, les indicateurs retenus dans le cadre de l’observation sociale devront faire preuve de fiabilité, de validité et de commodité (Candau P., 1985)1. Ce sont les indicateurs d’alerte de nature aussi bien quantitative que qualitative qui sont tout particulièrement observés. Ces derniers ont pour caractéristique de notifier des situations anormales, des dysfonctionnements ponctuels, ils permettent d’enregistrer l’importance et la progression de certaines caractéristiques des problèmes examinés. Il appartient ensuite au management d’apporter une solution. A titre d’illustration, les indicateurs d’alerte retenus pour l’observatoire social d’une grande entreprise nationale sont : l’absentéisme à 8 jours et à 4 jours, le nombre de HMI et leurs thèmes, le nombre de tracts et leurs thèmes, le nombre d’autorisations spéciales d’absence (ASA) institutionnelles. Parmi les indicateurs retenus figurent donc des indicateurs qualitatifs qui sont pour la plupart relatifs au climat social (revendications, vie syndicale, conflits, ruptures du contrat de travail…). Ces indicateurs reposent pour l’essentiel sur des analyses de contenu de documents et déclarations. Nous pouvons citer des sources d’informations externes et internes qui constituent une base à l’obtention d’indicateurs qualitatifs :

- La presse nationale et locale - La presse syndicale

- Les procès verbaux de réunions - Le cahier de revendications

- Les prises de position des représentants du personnel - Les prises de parole

- L’affichage des panneaux syndicaux - Les tracts et écrits syndicaux

- Les événements prévus pouvant impacter le climat social (externes et internes) - La nature des échanges dans les instances représentatives (de coopératif à très

agressif)

- Le contenu en quantité et qualité des messages diffusés par telle organisation syndicale

- Les rumeurs au sein d’une équipe - La demande d’audience du personnel.

Ainsi, les prises de position des représentants du personnel (délégués syndicaux, élus du comité d’entreprise, délégués du personnel) peuvent être saisies à partir du dépouillement attentif des tracts syndicaux, des procès verbaux de réunion, des cahiers de revendication, de la presse syndicale, des prises de parole aux portes d’établissements, etc. On peut y déceler l’apparition de mots nouveaux, l’évolution des thèmes revendicatifs, le durcissement du ton, les mots d’ordre mobilisateurs. « Les expériences d’observation sociale menées en entreprise montrent en particulier tout l’intérêt qui peut exister de la part des directions à l’égard d’analyses fondées sur les entretiens professionnels des assistants de service social, sur l’étude synthétique du contenu des demandes, sur l’attention portée aux comportements, à partir du moment où l’on sait quelle proportion de personnes est concernée . Or seuls les

travailleurs sociaux peuvent recueillir et transmettre ces informations parce qu’elles émanent de leur travail quotidien » (Hatzfeld H. et Spiegelstein J., 2000)1.

Il est bien sûr impossible de fixer des références précises en matière d’évaluation qualitative. Ce sont essentiellement les évolutions dans la tonalité des écrits et des discours ou des négociations qu’il convient d’exploiter. Pour suivre ces comportements, il est recommandé de tenir régulièrement à jour un journal de bord qui enregistre certaines informations de manière factuelle. L’expérience montre l’importance des écarts constatés dans la nature des informations ainsi enregistrées. L’observation sociale doit permettre de quantifier ces informations recueillies aux différents niveaux hiérarchiques. La dimension quantitative donne un cadrage. La quantification est souvent ressentie comme réductrice de sens. Elle permet néanmoins de dépasser les simples impressions, d’exprimer l’importance d’un sujet ou d’une catégorie de personnel. Le chiffres permettent une communication transversale entre les différents services et les différents niveaux hiérarchiques. Les apports du terrain, du vécu, prendront tout leur sens dans ce cadrage quantifié.

On conçoit que de tels indicateurs soient spécifiques à l’entreprise. La liste d’indicateurs concerne des aspects particulièrement significatifs des interrogations et des préoccupations personnelles des responsables, lesquels ont besoin d’éclairer et de consolider leurs décisions. C’est pourquoi ces indicateurs doivent chaque fois être construits sur mesure. Le nombre de prises de paroles et Assemblées Générales ou encore le niveau moyen des restes sont par exemple des indicateurs suivis au sein de La Poste mais qui n’a pas lieu d’être à France Télécom. Il est néanmoins envisageable d’évoquer une liste "classique" d’indicateurs pour tableaux de bord sociaux (Tableau 4).

Une fois ces indicateurs identifiés, il s’agit d’en faire périodiquement un repérage pour pouvoir les reporter ensuite dans un tableau synthétique en forme d’historique. Ces tableaux de bord sociaux permettent de mettre en forme, de présenter et de diffuser sous une forme appropriée une information sociale variée. Ils doivent apporter une série d’indicateurs quantitatifs ou qualitatifs directement liés au contexte. Ce qui intéresse avant tout les responsables, c’est la mesure de l’évolution de ces indicateurs qui permettra de voir apparaître les modifications de comportements sociaux et syndicaux.

Par ailleurs, ces indicateurs figurant dans les tableaux de bord sociaux doivent être renouvelés en fonction des grandes tendances des pratiques de Gestion des Ressources Humaines. La tendance récente des plans sociaux doit amener de nouveaux ratios afin de dresser un état des lieux, de déterminer l’impact de telles mesures sur l’ensemble du management et d’identifier les risques encourus (Peretti J- M., 1994)2.

1 Hatzfeld H. et Spiegelstein J. (2000), op. cit., p. 26.

2 Peretti J-M. (1994-b), « Pour un renouvellement des tableaux de bord sociaux », Revue Française de Gestion, n° 98, mars-avril-mai, pp. 114-118.

Masse salariale Evolution des flux de personnes

Indicateurs de

climat Indicateurs de conflictualité Management et organisation

- Frais de déplacement … - Nombre d’arrivées - Nombre de départs - Nombre de demande de changement de résidence - Nombre de changements de résidences satisfaites - Taux d’absentéisme - Nombre d’accidents du travail, d’absences pour raisons syndicales, d’heures d’information syndicale et thèmes abordés… - Participation aux heures d’information syndicale - Nombre et nature

des audiences sur l’initiative des organisations syndicales ou du personnel - Nombre et nature

des pétitions, des questions posées dans les instances statutaires (DP, CHSCT, …) - Nombre de préavis déposés et suivis - Pourcentage de grévistes - Nombre de journées perdues - Nature des grèves (nationales ou locales) - Heures supplémentaires - Taux de réalisation des entretiens individuels

Tableau 4 : Indicateurs pour tableaux de bord sociaux 3.1.3.2. Intérêts et limites des tableaux de bord sociaux

Comme nous l’avons précédemment évoqué, les tableaux de bords sociaux permettent dans un premier temps de rassembler et de présenter l’information ; « dans une unité de taille moyenne de quelques centaines de salariés, plusieurs milliers d’informations sociales sont traitées chaque jour, quelques centaines sont enregistrées sur différents supports, quelques dizaines méritent d’être classées, présentées, dans des tableaux de bord sociaux, supports à la décision » (Martory B. et Crozet D., 2001)1. Ces tableaux de bord sociaux permettent donc d’éviter les redondances. Ils offrent également l’avantage de tracer les éléments les plus pertinents et de les structurer. « La mise en place de tableaux de bord sociaux permet à la fois la consolidation des données prélevées dans les différentes sous-unités et les possibilités d’un reporting social en vue de faire remonter les informations vers les directions. Autant dire que ce type de besoin conduit, dès la réflexion préalable, à mettre en œuvre des procédures homogènes de traitement des informations sociales

(les logiciels y contribuent largement) et à constituer une architecture cohérente pour l’ensemble de l’entreprise » (Martory B. et Crozet D., 2001)1.

En matière d’observation sociale, il n’est pas rare d’observer la mise en circulation d’une même "grille d’analyse du climat social" avec des indicateurs du type "taux de participation aux HMI" ou encore "nombre d’audiences accordées" pour différentes unités. Cette harmonisation de l’outil facilite l’agrégation et la comparaison des données.

Les tableaux de bord sociaux présentent donc l’intérêt de sélectionner et de présenter de manière harmonieuse des informations sociales, ce qui permet au final de les consolider.

Ceci dit, un éventail de ratios et d’indices, aussi riche soit-il, ne peut tenir compte des difficultés imprévues. Aussi, l’absence de signaux alarmants ne veut pas dire pour autant que les rapports vécus sur le terrain sont parfaitement sains. Même avec de bons indicateurs, la prédictivité reste aléatoire.

Ces indicateurs objectifs (quantitatifs et qualitatifs) ne donnent que rarement des renseignements à caractère absolu ; un taux d’absentéisme jugé satisfaisant dans une entreprise paraîtra insupportable dans une autre. C’est pourquoi ils doivent toujours être ré-interprétés à la lumière de leur contexte particulier d’entreprise. Par ailleurs, ces informations conservent toujours, par nature, un caractère assez sec et désincarné. Si elles sont indispensables pour construire des cadres d’analyse rigoureux, il est nécessaire de compléter cette approche par des démarches plus qualitatives, qui ont pour but d’enrichir l’observation, mais surtout de proposer des clés pour l’interprétation. Les informations issues des tableaux de bord sociaux servent parfois à extrapoler le passé mais n’ont pas de valeur prédictive.

De fait, la multiplication des indicateurs est révélatrice de la difficulté d’évaluer la dimension sociale de l’entreprise. Cette évaluation est cependant devenue incontournable avec l’évolution législative récente et la nécessité de produire un rapport RSE.