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Le niveau de décentralisation

Section 2. La dimension organisationnelle de l’observation sociale

2.1. Observation sociale et structure

2.1.3. L’observation sociale décentralisée

2.1.3.2. Le niveau de décentralisation

Nous avons évoqué les raisons qui poussent à une décentralisation du dispositif d’observation sociale. Mais cette démultiplication a aussi des limites. L’éclatement des centres de décision et la présence d’observatoires sociaux aux différents niveaux hiérarchiques génère une production inflationniste d’informations. « Le risque est cette fois d’être confronté à des démarches multiples, voire contradictoires ou redondantes, influencées par les seules sensibilités et préoccupations locales ou sectorielles. Le paradoxe est alors d’avoir tellement prôné la nécessité de l’observation sociale qu’elle n’est plus maîtrisée et se révèle impraticable à l’échelon

1 Beatty R.W. et Schneier C.E. (1997), op. cit.

Lengnick-Hall M.L. et Lengnick-Hall C.A. (1999), « Expanding customer orientation in the HR function », Human Resource Management, Vol. 38, n° 3, pp. 201-214.

2 Ulrich D. (1997), « Judge me more by my future than by my past », Human Resource Management,

Vol. 36, n° 1, pp. 5-8.

3 Fitz-enz J. (1997), « The truth about best practices : what they are and how to apply them », Human Resource Management, Vol. 36, n° 1, pp. 97-103.

4 Hiltrop J-M. (1996), « The impact of human resource management on organisational performance :

theory and research », European Management Journal, Vol. 14, n° 6, décembre, pp. 628-637. Ulrich D. (1997), op. cit.

national1 » (Igalens J. et Loignon C., 1997)2. Comment arriver ensuite à agréger toutes les informations sociales issues des différents lieux et différents niveaux hiérarchiques afin d’établir une information claire et précise pour la Direction Générale ? Il est parfois nécessaire pour remédier à ce type de problèmes d’établir "un guide méthodologique" afin d’anticiper la formulation des informations et de rendre plus cohérentes les multiples démarches et expériences lancées ici et là. Nous verrons lors de la présentation de cas, que certains dispositifs d’observation sociale ont mis en place ce type de document (notamment La Poste). On observe des difficultés à bâtir un système d’information adapté à un contexte précis.

Toutes les entreprises sont finalement à la recherche de formes d’organisation intermédiaires, ni trop centralisées, ni trop décentralisées, et toutes les formes organisationnelles sont des compromis, qui sacrifient forcément des potentiels d’efficacité sur lesquels sont précisément bâties d’autres formes : « les entreprises françaises se trouvent aujourd’hui dans une situation "au milieu du gué" dans la décentralisation des opérations des ressources humaines vers le plus bas niveau hiérarchique, en même temps qu’on observe une tendance de recentralisation des décisions stratégiques vers les hauts niveaux hiérarchiques, voire vers les sièges dans les groupes industriels » (Zardet V., 1995)3. La question devient alors : jusqu’où décentraliser les dispositifs d’observation sociale ? Il faut arriver à déterminer un compromis entre un observatoire social au siège et une décentralisation tellement forte qu’elle ne permettrait plus d’obtenir des informations homogènes au niveau national. De notre point de vue, et au même titre que « l’évolution de la G.R.H. conduit inévitablement à une décentralisation des responsabilités des spécialistes vers les opérationnels » (Igalens J., 1996)4, il reste tout de même essentiel de diffuser l’approche observation sociale au plus près des salariés, qu’elle soit intégrée aux attributions des managers, afin de faire partie de la gestion courante et « devenir un acte naturel de management » (Igalens J. et Loignon C., 1997)5. Nous avons tenté d’établir une répartition des tâches d’observation sociale entre le siège et les "observatoires sociaux locaux" (Tableau 3).

Tout en considérant la nécessité de développer chez les managers et ceux qui les entourent les compétences nécessaires à une mise en perspective de leurs décisions, nous n’irons pas jusqu’à revendiquer au final la disparition de l’observation sociale (contrairement à Roth I., 1997)6. La démultiplication du dispositif d’observation sociale ne signifie pas s’engager dans un processus qui planifie leur propre disparition au profit des cadres hiérarchiques ou opérationnels. Il s’agit à ce stade de développement de l’observation sociale d’une redéfinition et d’une nouvelle répartition des tâches de l’observation sociale. Il est question de considérer, comme pour la Gestion des Ressources Humaines (Igalens J., 1996 ; Shimko B., 1990)7, que

1 C’est ainsi qu’à EDF-GDF il a fallu créer une "mission de coordination de l’observation sociale" ! 2 Igalens J. et Loignon C. (1997), op. cit., pp. 125-126.

3 Zardet V. (1995), op. cit. 4 Igalens J. (1996), op. cit.

5 Igalens J. et Loignon C. (1997), op. cit., p. 126.

6 Roth I. (1997), « Conduire la décentralisation du dialogue social », Les Cahiers, Dossier

Thématique : Observer ou agir ? L’observation sociale dans les entreprises, n° 5, mars, ENSPTT, pp. 57-61.

l’observation sociale est aussi l’affaire de tous les cadres de l’organisation. Il est certain que « la banalisation de l’observatoire social au sein de la Direction des Ressources Humaines lève les ambiguïtés et paradoxalement lui confère une légitimité accrue » (Igalens J. et Loignon C., 1997)1, d’où l’intérêt de la formation des managers à l’observation sociale (voir notamment le plan de formation démultipliée développé à La Poste à l’attention des responsables des cinq cents établissements aux effectifs de plus de cent agents).

Centraliser Décentraliser

- Ce qui est uniforme pour l’ensemble de l’entreprise (remontées du suivi du climat social, enquêtes globales sur des populations, sur des thèmes précis, élections…)

- La veille externe

- Les principes d’actions, les règles du jeu sur lesquelles reposent le dialogue social - La connaissance des différences

entraînées par le dialogue social entrepris au niveau des entités opérationnelles - La diffusion des expériences de dialogue

social menées localement

- La gestion - développement des observateurs sociaux

- Les programmes de formation à l’observation sociale pour les managers

- La gestion du dialogue social (gestion des conflits, gestion des relations avec les syndicats…)

- Le suivi du climat social dans le cadre/format établit par l’observatoire social du siège

- L’étude de populations ou de thèmes spécifiques au site

Tableau 3 : La répartition des tâches entre l’observatoire social du siège et les "observatoires sociaux locaux"

Source : inspiré pour partie du tableau de Zardet V. (1995), op. cit., p. 403.

Ainsi, de manière optimale, la fonction observation sociale est assumée :

- au siège : par une petite équipe spécialisée avec une perspective globale de leur division d’activité, et dans chaque site par une personne occupée à temps complet ou partiel en fonction de la taille du site aux tâches relatives au suivi des conflits. - dans l’ensemble de l’entreprise : par la hiérarchie opérationnelle, qui prend les

décisions politiques (DRH, Chef de Projet Management/Qualité) et qui assure des tâches de gestion courante. Ainsi, par exemple, les agents de maîtrise doivent avoir les bons réflexes en matière de dialogue social, savoir déceler les changements au niveau du climat, détecter les causes de mécontentement … Cette conception de la répartition de l’observation sociale doit être bien sûr supportée par un système de circulation de l’information performant. Mais elle témoigne surtout d’une volonté de l’entreprise de rendre la maîtrise et l’encadrement responsables de leurs relations sociales, et de conserver un structure centrale d’experts fonctionnels extrêmement légère.

Shimko B. (1990), « All managers are HR managers », HR Magazine, Personnel Journal, juillet, pp. 67-70.

Pour déterminer la réalité de la décentralisation des dispositifs d’observation sociale, il suffit de répondre à quelques questions du type : l’observateur social ou capteur social a-t-il suivi une formation spécifique ? Est-il intégré aux réflexions GRH de son unité ? Participe-t-il aux propositions d’évolution ? Est-il réellement associé, à défaut d’être pilote, à la préparation des réformes entreprises au sein de son unité ? La Direction Générale comme la Direction des Ressources Humaines font-elles régulièrement appel à ses connaissances ? C’est la réponse à ces questions concrètes qui nous renseigne sur le partage effectif de l’observation sociale entre le siège et les unités, sur la réalité de la décentralisation de l’observation sociale.

Cette démultiplication de l’observation sociale ne signifie pas pour autant un retour vers les non spécialistes de la Gestion des Ressources Humaines (Allouche J. et Sire B., 1998 ; Igalens J., 1996)1, ou de l’observation sociale. L’observatoire social, au même titre que la Direction des Ressources Humaines, est une fonction partagée entre ce qu’il est convenu d’appeler opérationnels et fonctionnels. La littérature en Gestion des Ressources Humaines recommande de réserver aux directeurs des ressources humaines un rôle stratégique et de confier les activités opérationnelles à l’encadrement. C’est cette même voie que tente de suivre les dispositifs d’observation sociale.

Finalement, les dispositifs d’observation sociale reflètent l’expression d’une double quête simultanée de centralisation (plus de volontarisme et de synchronisation) et de décentralisation (plus d’autonomie et de délégation fondée sur une confiance dans les savoirs locaux) : afin de réagir plus rapidement en matière de dialogue social, de suivi des conflits, la ligne de partage des tâches bouge dans le sens d’une plus grande décentralisation, tout en conservant une recentralisation vers l’observatoire social et la Direction des Ressources Humaines du siège pour un rôle de conseil stratégique en matière sociale.