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CHAPITRE IV. MICROFINANCE VU PAR LA DEMANDE : UNE ANALYSE EN

SECTION 1. LE SECTEUR DE LA PECHE

VI. Modes de financement existant pour les pêcheurs

De l’avis des spécialistes de la pêche et des acteurs directs (pêcheurs, mareyeurs, transformatrices), le secteur halieutique n’a jamais été une cible privilégiée des sources de financements formels (Kébé et Dème, 1996). Historiquement, les modes de financement en milieu pêcheurs étaient fortement déterminés par des arrangements socioculturels informels entre acteurs de la filière. Aujourd’hui, ces modes de financement existent encore mais sont limités par les nombreuses contraintes de la pêche (raréfaction de la ressource, multiplication des acteurs, rétrécissement des revenus…).

Par financement informel, on entend toute opération d’emprunt ou de prêt qui s’établit en

dehors des sphères formelles de financement, quel que soit le volume du crédit ou le domaine d’activité en question (Abdaimi, 1989)30

. Les liens entre prêteurs, emprunteurs et épargnants

sont extrêmement divers et multiformes, allant du crédit à l’intermédiation financière complexe (Germidis et al, 1991). Nos enquêtes de terrain ont révélé des sources de financement multiples pour la pêche artisanale. Nous décrivons les plus usités.

6.1. Autofinancement et financement par des tiers

La première source de financement est constituée par l’autofinancement à partir de l’épargne individuelle ou crédits informels liés (nos enquêtes, 2013 ; ANSD, op.cit. ; Fontana et Samba, op.cit.). L’épargne provient des économies des campagnes antérieures de pêche. Ce type de financement est très présent en milieu pêcheur mais est le plus souvent utilisé seulement pour des campagnes de courte durée et pour du petit matériel dont le financement n’est pas important. Le financement propre est souvent associé à une épargne préalable ou un crédit pour compléter. Ce crédit peut être contracté auprès de la famille, des amis, des voisins, des commerçants, des fournisseurs de biens intermédiaires, des entrepreneures (femmes) transformatrices de biens. De ce fait, le crédit peut être de nature commerciale ou sociale. Il est distribué généralement sous forme monétaire mais également en nature. Les sommes empruntées sont remboursées selon les termes du contrat tacite.

Les crédits familiaux sont généralement remboursés sous forme monétaire. Mais aussi, une partie peut être remboursée en nature (poissons dans le cas des mareyeurs ou femmes revendeuses) et l’autre en monnaie. Des arrangements peuvent être trouvés en cas de

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89 difficultés pour respecter les échéances de remboursement qui ne sont, par ailleurs, pas fixes. Seulement, il faut relever que le prêteur, qu’il soit informel ou formel est sensible au respect des échéances de remboursement.

De par leur importance en valeur relative (60% d’après l’étude de Dème, 2009), les prêts familiaux et l’autofinancement dominent en milieu pêcheur. Les autres types de prêts viennent très souvent en complément de ces deux formes.

Mais bien qu’importants, il est difficile de circonscrire l’affectation et la régularité des prêts familiaux qui peuvent provenir de transferts de migrants, d’un membre de la famille (salariée ou exerçant une autre activité…).

6.2. Financement par les mareyeurs

La deuxième source de financement est constituée par les mareyeurs qui trouvent un intérêt particulier à construire des relations régulières avec des pêcheurs, en particulier dans des zones où le poisson est plus rare, et les usines de conditionnement. Entre le mareyage et la pêche artisanale se nouent alors des rapports qui vont au-delà des relations commerciales de vente et d’achat. La pêche artisanale est intégrée progressivement au mareyage ou vice versa. Ces deux activités se fournissent mutuellement des prestations ou services réciproques sous forme de crédit ou d’avance de trésorerie (Rey, 1992).

Les mareyeurs financent souvent les frais de début de campagne des pêcheurs. Ils peuvent accorder des avances aux pêcheurs en cas de besoins financiers imprévus. Le remboursement de la dette se fait en nature (poissons) lors du débarquement dans ce cas d’espèce.

Les mareyeurs aussi peuvent financer l’achat de matériels de pêche tels que pirogues, filets, moteurs. Ils pallient en partie aux difficultés de financement des pêcheurs. Les avances d’argent aussi peuvent concerner les dépenses courantes de carburant, de vivres…

Certaines femmes mareyeuses rencontrées sur la plage de Hann décrivent comment elles financent, régulièrement, des opérations de pêche et assurent aussi le logement aux pêcheurs campagnards. A leur tour, les pêcheurs consentent parfois des avances de trésorerie aux femmes mareyeuses. Le paiement s’effectue après entente sur le prix mais aussi après que les prises aient été écoulées par l’intermédiaire auprès des usines ou sur les marchés. Si le mareyeur vend à perte, il cherche une révision du prix d’achat à la baisse par le pêcheur. Cette pratique engendre beaucoup de conflits entre pêcheurs et mareyeurs.

90 Le prix du poisson n’est pas forcément plus bas lorsqu’il y a endettement auprès du mareyeur. De l’avis même de certains chercheurs sociologues (ISRA/CRODT) qui travaillent sur la pêche, les prix sont le plus souvent imposés par le marché, en fonction des saisons, de la rareté du poisson. Il existe cependant des cas de tricheries qui sont sanctionnées ou régulées par la pression sociale. Nous y reviendrons plus loin.

L’encadré suivant illustre un cas de financement de mareyeur avec un petit pêcheur artisan.

Encadré 3: Témoignage de pêcheur Guet Ndarien

Sur les berges du fleuve à Saint-Louis du Sénégal, nous assistons à un débarquement d’une pirogue. Un pêcheur, en ciré, sort de l’eau. Nous l’abordons et lui posons des questions sur son activité de pêche. Il nous confie qu’il « va manger et se coucher ». « Vous revenez de la pêche ? » « Oui, j’étais parti hier soir. Les femmes s’occupent de la vente des prises. Le bateau de pêche appartient à la famille et a été acheté avec l’épargne familiale. « Si non ce sont les mauritaniens qui nous pré- financent pour aller chercher le poisson. En retour, nous sommes obligés de leur vendre jusqu’à remboursement de la dette. Mais seulement, deux tiers de la production sont payés en cash. Le dernier tiers de la prise sert au remboursement de la dette. Les petits bateaux, coûtent entre 200 et 600 000 F CFA, prix fixés par le marché. Quand nous partons en mer, nous avons la possibilité d’acheter l’alimentation à crédit auprès des boutiquiers. Mais les crédits sont de courte durée. Nous ne restons pas longtemps en mer car nous avons de petits bateaux et nous n’allons pas très loin dans l’océan. En général, je ne reste pas plus de trois jours.

J’ai un compte d’épargne au Pamecas mais je n’ai pas encore emprunté de l’argent. Je ne fais qu’épargner. Mes ventes me suffisent pour payer mon carburant et les autres frais. Le crédit ne m’intéresse pas car mon activité de pêche est trop aléatoire ».

De cet entretien, il ressort que ce type de pêcheur n’utilise la microfinance que pour épargner. Du fait de son activité aléatoire, il ne prend pas de crédit. Comme cet exemple l’indique, les mareyeurs ne sont pas seulement des nationaux. En effet, le marché et la disponibilité du poisson, plus ici qu’ailleurs, a attiré beaucoup d’étrangers, Maliens, Burkinabés ou Mauritaniens qui sont très présents dans les sites de débarquement. Ils nouent des relations privilégiées de commerce avec les pêcheurs (Fontana et Samba, op.cit.; Thiao, 2013 ; nos enquêtes auprès des pêcheurs, 2013). Tout comme les mareyeurs nationaux, les étrangers financent les pêcheurs artisans et concluent avec eux des promesses fermes de vente de la production. Les financements servent à couvrir les mêmes types de charges et la contrepartie reste la production du pêcheur artisan. Cette catégorie de mareyeurs peut aussi acheter au comptant toute la production du pêcheur artisan, faisant d’eux des acteurs privilégiés pour l’écoulement de la production de la pêche artisanale.

91 Il apparait ici que les arrangements entre mareyeurs et pêcheurs sont plus avantageux pour le pêcheur que les services que pourrait leur procurer la microfinance.

6.3. Financement commerçants et crédit fournisseurs

La troisième source est constituée par les crédits fournisseurs, les boutiquiers de quartier et les commerçants. Cette dernière source de financement est utilisée principalement pour s’approvisionner en vivres, pour aller en mer et/ou pour nourrir la famille restée à quai. Les commerçants peuvent octroyer aux pêcheurs des crédits allant de 5 000 à 100 000 FCFA et pour une durée de 3 mois ou plus avec un taux d’intérêt nul (nos enquêtes auprès de commerçants installés non loin de la plage de Guet-Ndar à Saint-Louis).

Pour cette forme de crédit, les remboursements se font essentiellement sous forme monétaire avec des échéances fixées en fonction des débarquements et non mensuellement.

Il existe cependant, avec ce système, un risque d’impayés surtout pour les boutiquiers migrants, venus s’installer dans les quartiers pêcheurs de Saint-Louis. Les autochtones ont plus de chance de rentrer dans leur fonds. Ceci s’explique par le fait que ces boutiquiers autochtones sont originaires des mêmes quartiers que les pêcheurs créanciers et qu’ils les connaissent mieux. Ils sont au courant des débarquements de pirogue et des mises à terre.

6.4 Financement par la microfinance

De nos enquêtes auprès des pêcheurs, il ne ressort aucun n’exemple de pêcheur ayant pris un prêt auprès des IMFs, alors même que la pêche est présenté comme un secteur privilégié de la microfinance. La plupart des IMFs de Saint-Louis mettent en avant le rôle qu’elles jouent sur le dynamisme du secteur de la pêche. Si l’on écoute les pêcheurs, ils expliquent leur réticence au microcrédit pour l’activité de pêche, par les problèmes de rigidité des échéances de remboursement dans les structures formelles de financement, le taux d’intérêt élevé ainsi que les lourdes procédures pour l’obtention de prêts.

Mais si nous ne sommes pas tombés sur des pêcheurs emprunteurs dans les IMFs lors de nos enquêtes, cela ne veut pas dire qu’ils n’utilisent pas les services de la microfinance. D’ailleurs, nos enquêtes auprès des IMFs de la Propas, de la Feprodes et de l’Acep ont révélé des cas de pêcheurs qui utilisent la microfinance. Nous émettons l’hypothèse que les pêcheurs associent ce mode de financement avec les financements informels, ou bien que les microcrédits sont utilisés pour d’autres usages (habitat, consommation, cérémonie, etc.).

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