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SECTION III. LE SECTEUR DE L’ARTISANAT

VII. Mode de financement des artisans et études de cas

7.2. Menuiserie

L’activité de menuisier est très développée au Sénégal. Les personnes qui exercent cette activité n’ont pas reçu les mêmes types de formation. Certains ont été formés sur le tas alors que d’autres ont subi une formation « diplômante », dans des écoles spécialisées (lycées professionnels). Dans la majorité des cas, les menuisiers ont d’abord été des apprentis et par la suite patron d’ateliers de menuiserie.

Ils se financent le plus souvent eux aussi avec les avances des clients. Les crédits fournisseurs supposent d’être fidèle et d’inspirer confiance aux scieries ou aux commerçants de bois d’œuvre. Certains menuisiers peuvent signer des contrats de sous-traitance avec d’autres entrepreneurs. Dans de pareils cas, le matériel et les outils et accessoires rentrant dans la fabrication du produit sont préfinancés par le maître d’ouvrage.

Certains font recours, en plus de l’épargne propre, au financement de la microfinance pour diverses raisons, par contre d’autres ne se financent qu’à partir de leur épargne et des prêts familiaux. Le financement de la microfinance semble toujours venir en complément des autres modes de financement informels et l’inverse aussi peut se produire. Le financement de la microfinance sert surtout à s’équiper en matériels et à s’approvisionner auprès des scieries et des magasins de bois. Certains peuvent s’approvisionner à crédit jusqu’à une certaine quantité de bois alors que d’autres n’ont pas cette possibilité (DA, 2004 ; nos enquêtes, 2013).

Dans ce métier, les menuisiers pour lutter contre la concurrence des produits importés utilisent du bois de qualité et misent sur l’exposition de leur produit dans les grands boulevards ou avenues, ce qui attire la clientèle. Mais auparavant, ils doivent régler la question de l’approvisionnement en bois. Certains menuisiers se déplacent dans les zones excédentaires en bois pour s’approvisionner. C’est ici que le recours à la microfinance est utile : dans les cas que nous avons rencontrés, la microfinance a permis à certains menuisiers de s’approvisionner directement et de s’affranchir des commandes des clients. On assiste alors à un renforcement d’activité plutôt qu’une création d’emploi.

Dans le cas suivant nous présentons deux menuisiers. Le premier rencontré, est client de la MEC-Feprodes et le second n’est pas membre de mutuelle d’épargne et de crédit.

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Etude de cas 8: Menuisier 1

Nous présentons ici un menuisier que nous avons rencontré à la mutuelle d’épargne et de crédit de la Feprodes.

Il a la trentaine et est client à la mutuelle d’épargne et de crédit de la Feprodes depuis 2008. Avant d’ouvrir un compte, il épargnait chez lui. « Lorsque j’ai ouvert le compte, la mutuelle m’a demandé d’épargner pendant six mois ; j’épargnais des sommes variables et à des rythmes irréguliers, je pouvais mettre 10 000, 15 000 jusqu’à même 50 000 FCFA, ça dépend des rentrées d’argent et des besoins. Après, j’ai reçu un crédit de 300 000 FCFA de la mutuelle» nous dit le menuisier. Le crédit était consenti pour une durée de dix mois mais le menuisier l’a payé en six mois.

La garantie du crédit était constituée par son atelier, sa motocyclette et sa boite à outils laquelle était évaluée à 300 000 FCFA.

Pour lui, l’approvisionnement en bois constitue un problème car les scieries ne sont pas nombreuses et le bois coûte cher. L’approvisionnement en bois dans les zones excédentaires à l’intérieur du pays suppose avoir des relations avec les services des eaux et forêts car il y a énormément de contrôle sur le bois et beaucoup de taxes à payer.

« Dans la majorité des cas, les commandes clients sont préfinancées par leurs avances. Dans les mentalités, l’avance constitue une garantie de rapidité du travail demandé. Elle permet au menuisier de s’approvisionner en matière première (bois) et autres accessoires » nous dit-il.

Après ce prêt, d’autres crédits se sont suivis mais selon notre interlocuteur, les remboursements sont accélérés. Le dernier de 400 000 FCFA consenti sur 6 mois a été remboursé en trois mois. Cette stratégie de notre interlocuteur lui permet de développer son activité en achetant du bois de qualité et en quantité auprès des magasins. Mais également, d’exposer les produits pour mieux attirer la clientèle. Les produits fabriqués sont des lits, des armoires, des bibliothèques de différents types. Le menuisier nous confie qu’il a quatre apprentis qu’il fait manger au petit déjeuner et au déjeuner. Il dépense quotidiennement environ 10 000 F pour sa famille et ses apprentis. Il paye par ailleurs des factures d’électricité variant de 30 000 à 73 000 FCFA.

Il continue toujours d’épargner chez lui pour faire face à des besoins urgents car ne pouvant tout avoir le temps d’aller à la mutuelle d’épargne et de crédit. Il dit connaitre d’autres mutuelles mais n’y va pas.

Ce menuisier utilise la microfinance et s’en sort très bien, puisqu’il parvient même à rembourser par anticipation. Pour ce cas précis, l’anticipation des échéances peut avoir plusieurs significations. Une première signification est que le client peut vouloir accélérer les rythmes d’obtention du crédit et l’accroissement des montants reçus, ce qui suppose d’être un membre fidèle et irréprochable. Une deuxième signification est que le client utilise la microfinance pour son activité dans le cadre de ses approvisionnements en bois, ce qui laisse

138 croire que son activité marche bien pour pouvoir réunir en trois mois les montants correspondant à l’emprunt et au taux d’intérêt, tout en faisant face à d’autres dépenses (famille, atelier, charges de structure, etc. ).

Le financement par la microfinance sert à renforcer son activité et constitue la principale source de financement de ce menuisier qui permet l’approvisionnement en dehors des commandes.

Etude de cas 9: Menuisier 2 - un mixte de menuiserie et de tapisserie

Nous présentons ici un autre menuisier, la quarantaine, qui fait aussi de la tapisserie. Son atelier, grand de taille (environ 60 m2), se trouve sur une avenue très fréquentée. A côté de la salle servant d’atelier, on aperçoit la salle d’exposition des produits. De magnifiques meubles sont exposés. Le travail semble plus élaboré que celui des autres artisans déjà rencontrés. Le patron parle un français sommaire, « j’ai arrêté l’école en primaire mais je me débrouille ». Il raconte que son activité se porte bien, surtout en période de fêtes. Il a toujours des commandes et il lui arrive d’être submergé de travail. Une demi-douzaine d’apprentis l’assiste dans son travail. En plus de produits classiques de la menuiserie, il produit des fauteuils, des chaises tapissées et divers autres meubles. Il s’approvisionne principalement auprès des vendeurs de bois et de cuir pour son activité. Du fait de son ancienneté dans le métier et de sa réputation, il s’approvisionne à crédit chez les marchands de bois et de cuir. « Je noue des relations de confiance avec mes fournisseurs, je m’approvisionne chez eux depuis presque 15 ans, on se connait très bien, nous n’avons jamais eu de problèmes » nous dit-il avant de continuer ; « si j’ai de l’argent, j’achète, dans le cas contraire, je prends à crédit jusqu’à ce que j’ai de l’argent pour payer. Ils ne me fixent pas d’échéances de remboursement mais il faut être raisonnable, dès que j’ai des commandes de livrées, je rembourse » nous précise le menuisier. Il explique par la suite qu’il dépose lui aussi son épargne chez ces fournisseurs pour plusieurs raisons. D’abord pour nourrir cette confiance et ensuite pour, lorsqu’il y a des nouveautés, qu’il fasse parti des premiers qui seront servis.

Il ne fait pas recours aux institutions de microfinance, ni aux banques classiques, « j’en ai pas besoin, j’ai des commandes avec des avances conséquentes, des apprentis qui sont assez responsables et qui livrent les produits à temps, j’ai des fournisseurs chez qui je peux m’approvisionner au comptant ou à crédit, donc je n’ai pas besoin de la microfinance » nous dit le menuisier-tapissier.

Selon lui, les mutuelles sont chères et inadaptées à leur métier. Ils ne connaissent pas les spécificités de leur métier et sont intéressés par le gain. De ces explications, nous avons senti qu’il connait bien la microfinance et nous lui posons la question de savoir s’il n’a pas été membre d’une mutuelle d’épargne et de crédit. Le menuisier, revient à la charge en nous précisant qu’il n’a pas besoin d’eux et qu’il prie pour ne jamais avoir besoin d’eux. Selon lui, beaucoup de personnes y compris des membres de sa famille ont été victimes des dérives de la microfinance : « ils ont eu des crédits et après ils n’ont pas pu payer car leur activité ne marchait pas. Ils ont demandé un rééchelonnement,

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leur mutuelle a refusé et les a menacés. Ils avaient peur de la police et du regard des autres. Finalement, ils ont soldé le crédit en une seul fois avec des prêts familiaux, mais étaient très affectés par l’attitude des agents de crédit qui venaient les harceler…ils sont là que pour leur intérêt mais pas pour aider les gens à monter des projets productifs. Ils ne connaissent pas notre métier, ce ne sont que des bureaucrates ignorant la vie des artisans et les risques du métier » nous livre le menuisier, visiblement très intéressé par cette question.

Il nous explique que les marchands de bois et de cuir lui recommandent des clients qui sont satisfaits de son travail. Les clients viennent avec des modèles copiés des produits étrangers et adaptés au contexte africain.

Le menuisier conclue en nous disant que « dans la microfinance, les taux mêmes sont énormes et ne sont pas inclusifs, si on réfléchit un peu, on s’en aperçoit. Je m’amuse des fois à lire les propositions des mutuelles mais les phrases ne sont pas claires et les chiffres cachent des mystérieuses réalités ».

Pour ce menuisier-tapissier, la microfinance n’a pas d’utilité. Ce type d’artisan utilise exclusivement les financements informels pour son activité. Il s’appuie beaucoup sur les relations de confiance et extra-commerciales. On est en présence de quelqu’un qui connait la microfinance à travers ses dérives et apprends de cela. Il a développé des stratégies de financement qui excluent la microfinance et semblent bien marcher pour son activité. Par ailleurs, il renforce ses liens de confiance et financiers avec ses fournisseurs en épargnant auprès d’eux et en retour ces derniers lui font bénéficier des nouveautés avant les autres. Ceci lui permet d’avoir des matières premières de qualité.

En considérant ces deux cas de menuisiers, on peut dire que la différence est que le second menuisier a accès au crédit auprès de ses fournisseurs, donc s’endetter avec un taux d’intérêt n’est d’aucune utilité. Il a une très mauvaise vision des IMFs, de par son expérience ou celle de son entourage. On voit bien que l’adhésion au microcrédit est à la fois liée aux contraintes spécifiques de chaque filière, à la situation personnelle des entrepreneurs (position plus ou moins forte, régularité des commandes, etc. mais aussi aux relations avec les fournisseurs et les clients) et enfin à la sensibilité personnelle.