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SECTION III. LE SECTEUR DE L’ARTISANAT

VII. Mode de financement des artisans et études de cas

7.1 Confection/couture

Pour les tailleurs indépendants, le financement à l’installation peut provenir du patron et de

l’épargne personnelle ou familiale. Le financement à l’installation par le patron reste le mode dominant chez les apprentis. Après installation, l’activité est financée quasiment par les clients qui passent commande et font une avance l’argent. L’argent sert à acheter des fournitures diverses pour la confection des habits. Il y a donc une avance du client qui sert de préfinancement pour le tailleur. En période de fête, le tailleur peut être financé par des proches ou par des commerçants à proximité. Ce financement n’est soumis à aucun taux d’intérêt. Le financement est remboursé en fin d’opérations (juste après les fêtes). On

131 remarquera que c’est un financement de courte durée mais qui est calqué sur un évènement très localisé.

Etude de cas 5: Tailleur 1

Dans cette étude, nous présentons deux cas de tailleurs indépendants soutenus par des apprentis

Nous présentons ici un homme, la cinquantaine, qui tient un atelier de tailleur, de petite taille (environ 9m2). Son petit magasin abrite quatre machines à coudre, visiblement toutes anciennes. Elles ont été acquises il y a 5-6 ans et d’occasion. Il avait acheté les machines avec sa propre épargne. Il n’envisage pas de les renouveler pour cause de manque d’épargne suffisante.

L’homme tient l’atelier qui abrite une petite vitrine de mercerie avec son fils et deux apprentis. Dans la vitrine à mercerie, on peut y apercevoir des rouleaux de fils à coudre et de brodés. Le tailleur nous confie qu’il n’achète pas le tissu; « les clients viennent avec leur tissu, nous, nous cousons simplement», nous dit-il.

Le fond de roulement est préfinancé par l’avance des clients. Il achète au comptant et non à crédit chez les commerçants.

L’homme nous dit que les produits chinois (prêts à porter) et dans une moindre mesure la fripe, constituent une grosse concurrence pour leur métier.

Il nous précise qu’il a un compte d’épargne à l’Acep. Par ailleurs, il épargnait chez lui avant d’adhérer à la mutuelle, dans une tirelire «condané» ( boite en fer ou en bois qu’il faut détruire pour récupérer l’épargne), mot wolof provenant probablement du français « condamné ». Ce mot donne une idée de sureté de l’épargne. Toute de même, il reconnait que l’épargne au niveau des IMFs permet de moins dépenser car l’argent n’est pas facilement à sa portée mais également de ne pas être sollicité en permanence par l’entourage.

Concernant le crédit, notre interlocuteur tailleur nous affirme qu’il n’a pas emprunté auprès de sa mutuelle d’épargne et de crédit, arguant qu’il n’a pas la garantie requise. Mais en même temps, au fil de la discussion, il laisse penser qu’il a de l’expérience sur le crédit. Il connait très bien les modalités de crédit de l’Acep. Nous dit-il la vérité ?

Il nous parle ensuite de ses difficultés de préfinancer les tissus, mais nous précise que d’autres le font. Il a de grosses obligations familiales liées notamment à la dépense quotidienne dont le montant journalier s’élève à 3 000 FCFA. Ce montant laisse entrevoir le niveau de pauvreté de notre interlocuteur. Rappelons que cette dépense quotidienne prend en charge au moins deux repas familiaux ; en général le déjeuner et le repas du soir. Dans certaines familles, c’est la femme qui complète mais nous n’avons pas poussé le débat dans ce sens avec le tailleur.

132 Ce tailleur entrevoit deux moyens pour développer son activité :

- s’équiper en machines à coudre plus puissantes, permettant un travail plus soigné. Il estime la valeur de la machine à un million de francs ;

- avoir une boutique où exposer la marchandise. Cette pratique se fait beaucoup à Dakar. Les tailleurs investissent rarement sur des tissus mais sont liés à des magasins qui préfinancent l’activité du tailleur.

Etude de cas 6: Tailleur 2

Nous présentons ici le cas d’un autre tailleur, la quarantaine. Il parle français et nous raconte sa douloureuse expérience d’apprenti. Il y a passé cinq années avec son patron. L’homme s’en plaint beaucoup. « Nous ne sommes pas payés…nous avions de l’argent uniquement lorsqu’on avait nos propres commandes, mais nous devions le faire en cachette lorsque le patron était absent » nous dit le quadragénaire. Il semblait très affecté par son passé d’apprenti. Il était difficile pour lui de quitter son patron ; ce dernier ne voulait pas le laisser partir. Son grand père a dû intercéder plusieurs fois. Ce dernier a fini par céder mais sans lui payer de machine à coudre, alors que d’habitude c’est d’usage.

Mais notre interlocuteur a « travaillé et économisé petit à petit de toutes petites sommes – parfois 500, 1000 F– dans uncondané » nous dit-t-il, avant de continuer « je me suis serré la ceinture ». Il a réussi

à réunir la somme de 53 000 FCFA, son père l’a complété à 60 000 F CFA. Avec cet argent, il a investi sur une machine à coudre et a lancé sa propre affaire. Il a monté son atelier il y a douze ans. Aujourd’hui, il possède quatre machines à coudre et emploient quatre apprentis.

Il travaille principalement sur commande ; accompagne ses clients chez les marchands de tissu afin de les conseiller sur la qualité et les prix. Lorsqu’il a des liquidités, achète lui-même du tissu, confectionne et expose dans sa boutique.

Le tailleur nous affirme que le microcrédit n’est pas adapté à leur activité ; «ce n’est pas pour nous ; mon activité est trop irrégulière, même quand tu es malade il faut payer ; ils prennent les machines en garantie, si tu ne paies pas, ils les saisissent, c’est trop risqué », nous dit-il en résumant la situation. Le tailleur épargne toujours chez lui, avant il avait un condané, maintenant il a un coffre-fort et c’est par ce biais qu’il a développé son activité, ainsi que grâce à des avances fournisseurs.

L’achat de tissu à crédit ne constitue pas un problème pour le tailleur, il peut s’approvisionner à crédit chez les commerçants avec qui, il a de très bonnes relations. En revanche, « tout le monde ne peut pas le faire », nous dit-il ;

Sa perspective de développement est d’avoir la possibilité de vendre ses produits en Europe mais il est confronté à la difficulté de décrocher un visa, ce qui constitue sa principale contrainte. Nombre de ses clients sont des touristes. Son atelier s’appelle d’ailleurs Tourisme couture.

133 Ici on voit nettement à travers ces deux cas, deux catégories d’artisans : ceux qui ont la possibilité de s’approvisionner à crédit auprès des marchands de tissu, et qui n’ont pas besoin de microcrédit, comme le cas du tailleur 2, et ceux qui n’ont pas cette possibilité et pour qui l’approvisionnement à crédit pourrait être une option.

Pour développer leur activité, les artisans peuvent s’associer avec des entrepreneurs qui peuvent exposer, développer des marchés avec le tourisme ou l’export. Dès lors le financement n’est qu’une contrainte parmi d’autres : le développement du marché est aussi une préoccupation forte, et suppose surtout l’obtention de nouvelle clientèle, plus que l’accès au financement.

Dans le cas de notre enquête auprès des tailleurs, nous n’avons pas rencontré de cas qui ait utilisé la microfinance. Ils estiment que la microfinance est trop risquée.

Femmes propriétaires de magasin de couture

Le financement à l’installation peut provenir de sources diverses. Il peut être un financement familiale ou de l’épargne personnelle, un financement des IMFs ou un mixte des deux (microfinance et épargne personnelle ou financement familial).

Le financement sert le plus souvent à l’achat de machines à coudre, de vitrine d’exposition et à faire face aux travaux de réfection du local. Une partie peut servir d’avances sur loyer et de caution. Le cout d’une machine à coudre varie de 250 000F à 1 200 000 F CFA. Certaines machines très pointues peuvent coûter davantage.

Les fonds de roulements peuvent être financés aussi par un prêt familial, de la microfinance et par l’achat à crédit chez le commerçant. Les femmes s’appuient beaucoup sur ces types de financements liés qui constituent pour elles des stratégies variées de financement des approvisionnements.

Les prêts familiaux ne sont pas soumis à des intérêts. Les délais de remboursement sont négociables. En revanche, le financement par la microfinance est soumis à des contraintes pour les entrepreneures. Le taux d’intérêt débiteur est considéré comme élevé les délais ne sont pas forcément adaptés, eu égard aux entrées d’argent,

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Etude de cas 7: Femme patronne de magasin de couture

Ce cas présente une femme, patronne d’un magasin de couture, employant des tailleurs, avec un salaire de base évoluent en fonction des ventes.

C’est une nouvelle tendance au Sénégal. Beaucoup de femmes investissent dans l’habillement et la mode. Juste à côté du local occupé par les machines, il y a une salle d’exposition des produits sous des vitrines.

Nous présentons ici une femme d’une cinquantaine d’années. Elle parle français et tient un grand atelier de couture avec quatre machines dont deux particulièrement sophistiquées. Elle a souhaité s’entretenir avec nous en wolof pour que ces tailleurs comprennent son histoire. Les tailleurs sont spécialisés aussi bien en mode africaine qu’occidentale. La femme nous explique qu’elle a un diplôme de menuiserie/ébénisterie et qu’elle a travaillé dans le privé pendant une dizaine d’années avant que leur entreprise ferme, suite au décès du patron propriétaire. Après la fermeture de son ancienne entreprise, elle s’est investie dans la couture/confection. Elle a financé son activité avec ses épargnes personnelles, un financement de son mari et ses tontines. Elle n’avait que deux machines, une bas de gamme et une machine très pointue qui fait des motifs spéciaux très appréciés des clients. Elle a démarré avec un tailleur sénior, payé en fin de chaque mois. Au démarrage de ses activités, elle achetait ses tissus au comptant chez les marchands de tissus. Elle travaillait sur commande et vendait également des habits déjà confectionnés par son tailleur. En cas de commande, le client apporte généralement son tissu à coudre mais certains clients peuvent lui laisser le choix et l’achat du tissu. Ce dernier cas n’est pas fréquent. On le rencontre souvent dans la famille ou les proches. Ses clients sont composés d’hommes et de femmes mais la clientèle masculine domine légèrement.

Ses activités se développant, elle a recruté un apprenti tailleur pour aider le tailleur sénior. L’entrepreneure fait face à toutes les dépenses liées à l’activité et fournit le petit déjeuner et le déjeuner à ces employés.

Habituée à s’approvisionner auprès des marchands de tissus, elle a commencé à acheter à crédit ses tissus. Ce qui lui permet d’augmenter le volume de ces approvisionnements en tissus. Elle est liée à beaucoup de commerçants et semble bien connaitre le marché du tissu à Dakar.

La nécessité de renforcer son business le pousse à se renseigner auprès des IMFs sur les modalités de crédit. Après avoir ouvert un compte et épargné pendant près de 6 mois, elle a constitué un dossier de crédit au Pamecas. Elle obtient un crédit d’un million et demi de franc CFA avec un délai de remboursement de 12 mois. Les garanties offertes sont les deux machines préalablement achetées. Le crédit a permis de se doter d’une autre machine qui fait des coutures haute de gamme, destiné à une clientèle riche. Le taux d’intérêt pour ce prêt était de 13% mais une épargne mensuelle de 25 000 F était une condition pour le crédit. Pour instruire son dossier de crédit, elle a reçu deux visites surprises d’agents de crédit au niveau de son atelier de couture. « Ils sont venus deux fois, mais sans avertir pour voir le magasin et peut être le niveau de l’activité » nous dit la femme. Après avoir

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remboursé ce crédit, elle a monté un autre dossier de crédit pour l’acquisition d’une nouvelle machine. Elle emprunte la même somme. Le taux d’intérêt est resté le même. Mais cette fois-ci, les agents de crédit ne sont pas venus voir les garanties.

A la question de savoir pourquoi elle a besoin de crédit alors qu’elle peut s’approvisionner à crédit sans intérêt, notre interlocutrice nous dit qu’elle cherche à avoir une bonne réputation avec la mutuelle de crédit au cas où elle doit investir sur une affaire plus importante. Mais également, que son métier lui impose d’avoir du liquide tous les jours pour faire face aux nouveautés et au rabais occasionnels de commerçants ou même d’étrangers (Maliens, Burkinabés, Mauritaniens…) Elle nous dit par la suite qu’elle peut ne pas avoir besoin de la microfinance mais qu’il est bien selon elle de travailler avec de l’argent emprunté. « On est plus compétitif quand on sait qu’on doit respecter les échéances mensuelles de remboursement » nous dit la dame. A la question du coût (nous lui faisons remarquer que dans son cas, les taux sont nuls chez les commerçants et relativement élevés chez les IMFs-13% dans notre cas), elle dit qu’elle n’a pas le choix. Elle explique que l’argent et les tissus sont des biens ou produits différents et que les commerçants avec qui elle traite, n’ont pas toujours les tissus recherchés ou les accessoires. Il faut aller les chercher chez d’autres commerçants qui la connaissent peu pour lui vendre à crédit. En plus, elle nous explique qu’elle fait d’autres activités, notamment la livraison de produits divers (qui n’ont rien à voir avec la couture) auprès d’établissements publics ou privés, suite à l’attribution de marché d’appel d’offre. Elle gagne des marchés qui impliquent d’avoir de la liquidité. «Je préfinance, en cas de sous-traitance de vente, chez des commerçants pour avoir les produits à livrer, je ne paye pas tout, je fais une avance et je signe une reconnaissance de dette auprès du commerçant. Certains commerçants exigent la notification d’attribution de marché, d’autres ont des relations et peuvent vérifier à distance. Je paye le reste lorsque j’aurai mon chèque avec les établissements clients passeurs de commandes. C’est comme ça que marchent les choses, l’économie » nous dit la dame, avant de rajouter, en requérant notre attention, « je sais que les taux d’intérêt sont chers mais c’est pour moi la seule alternative de financement pour ce volume de prêt, je peux recourir au crédit des amis ou de la famille mais je n’aurai pas ce niveau de financement d’un seul coup».

Selon la dame, elle n’a jamais eu de problèmes d’impayés, elle a quelques fois eu des retards de paiement qui se justifient par des absences, mais elle prévient l’agent de crédit pour l’informer.

Ce cas que nous venons de décrire, utilise des sources de financement variées. Le fait de s’endetter auprès des IMFs obéit à des logiques particulières. Cela permet de pouvoir changer de fournisseur et saisir des opportunités, comme on l’on a déjà vu plus haut. Cela permet aussi d’anticiper des opportunités futures (comme pour l’artisan d’objets en bois, infra). Cela permet enfin de « s’obliger » à travailler plus régulièrement, comme l’avait observé Guérin (2000) sur le même terrain sénégalais.

136 Notons bien que cette femme fait partie des entrepreneurs haut de gamme et pas des « pauvres ».