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SECTION III. LE SECTEUR DE L’ARTISANAT

VII. Mode de financement des artisans et études de cas

7.3. Les fabricants d’objets d’art

Ils ont également des modes de financement multiples (épargne personnelle, financement familial ou de la microfinance). Mais l’épargne personnelle est le mode de financement dominant. D’après les cas que nous avons rencontrés, la microfinance ne sert que pour le renforcement de l’activité ou pour faire face aux besoins de financement urgent d’une opération.

140 Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons rencontré deux cas d’artisans d’art qui ont utilisé la microfinance mais pas pour leurs activités, trop risquées car aléatoires. Ils avaient des difficultés chroniques d’accès à la matière première. Les artisans d’art visaient simplement à construire une relation de confiance avec une IMFs en prévision d’une opportunité future (une commande) ou un dans le cas où ils auront réellement un besoin de liquidités. C’est ce que présente le cas suivant.

Etude de cas 10: Fabricants d’objets en bois (1)

Ici nous présentons un fabricant d’objet d’art qui tient son magasin au village artisanal, situé sur la corniche, au bord du fleuve à Saint-Louis. Sa clientèle est surtout touristique, or le tourisme est en baisse constante depuis quelques années. L’artisan que l’on rencontre a deux problèmes principaux : l’approvisionnement en bois et les clients (problème d’écoulement des produits).

L’approvisionnement en bois, celui qu’il utilise, est très réglementé par le service des Eaux et Forêts. Un approvisionnement plus ou moins régulier suppose des alliances et des complicités avec des agents du service des Eaux et Forêts.

Les clients, du fait de la baisse du tourisme, les fabricants d’objet d’art écoulent difficilement leurs produits. Ils sont obligés d’aller à la rencontre des rares touristes au centre-ville, ce qui constitue un manque de temps à gagner s’ils restaient dans leur propre magasin ou alors de vendre à des détaillants.

Il a emprunté auprès d’une IMF, mais nous explique que ce prêt n’a rien changé à son activité : Son projet est de tisser des liens de confiance avec l’IMF afin de pouvoir emprunter une grosse somme le jour où il en aura réellement besoin.

Etude de cas 11: Fabricants d’objets en bois (2)

Il évoque les mêmes problèmes que le précédent artisan fabricant d’objet d’art, sur l’approvisionnement en bois avec les alliances et complicités avec les Eaux et Forêt et l’écoulement des produits. Il explique qu’il y a beaucoup de contrôle sur le bois d’ébène et il faut avoir de nombreuses autorisations qui sont payantes. Ceci suppose des charges mais également des déplacements multiples ; « on y va, on a rendez-vous, personne n’est là, c’est vraiment un problème » dit l’artisan d’art. Pour lui, l’écoulement des produits est un problème, «la commercialisation est problématique depuis que le bus de touristes ne s’arrête plus ici » (en parlant du village artisanal) explique-t-il.

La vente auprès des détaillants est devenue le principal mode d’écoulement des objets d’art. Certains choisissent le marché européen pour écouler leur produit et achètent à crédit chez les fabricants. Ces derniers sont payés au retour de voyage des vendeurs ou à l’approche de la fête de Tabaski (la fête

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du mouton) ; c’est pendant ces moments que les artisans ont plus besoins d’argent pour satisfaire des dépenses personnelles et familiales.

Si certains fabricants se limitent aux détaillants et aux touristes pour écouler leurs produits, d’autres multiplient les démarches en faisant des dépôts-vente, en vendant dans les foires. Le dépôt-vente commence par des objets innovants pour attirer la clientèle.

Il épargnait chez lui avant d’adhérer aux mutuelles de crédit. Son expérience avec les IMFs a commencé avec le Pamecas et aujourd’hui est client de St-Louis Finance. Il explique que cette mutuelle de crédit lui a octroyé un prêt de 300 000 FCFA alors qu’il n’avait besoin que de 200 000 FCFA. Il explique par la suite que pour les prêts précédents, il était toujours limite pour le remboursement. Pour ce prêt précis, il met l’excédent de financement (100 000 FCFA) sur le compte d’épargne et en prélève chaque mois lors du remboursement. Le fabricant explique qu’en réalité, il n’avait pas besoin de crédit, mais ceci constitue une stratégie pour construire une relation de confiance avec la mutuelle de crédit qui lui sera utile le jour où une opportunité intéressante se présentera.

Il évite les tontines du fait des problèmes qu’on y trouve mais relève l’absence d’intérêt avec ce type de financement. Mais pour lui, il fait plus crédible, plus sérieux avec les partenaires, d’avoir un compte dans les IMFs.

Dans les deux cas, la microfinance n’est pas utilisée pour l’activité proprement dite mais est considérée comme un moyen de créer un lien de confiance dans la durée, qui pourra leur être utile en cas d’opportunité. Il s’agit toutefois d’une stratégie fort couteuse.

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Conclusion du chapitre

L’analyse des filières du petit commerce et de l’artisanat met en évidence les difficultés multiples auxquelles se heurtent les petits entrepreneurs. Bien au-delà du financement, les difficultés d’approvisionnement et surtout d’écoulement des produits sont des contraintes majeures. L’étroitesse des marchés, exacerbée avec la concurrence grandissante de produits importés, et ceci dans tous les secteurs, reste le problème majeur. L’accès à des financements supplémentaires ne règle que très partiellement le problème.

La microfinance offre une source supplémentaire de financement, que certains entrepreneurs utilisent pour saisir de nouvelles opportunités, souvent en complément d’autres sources de financement. Mais elle modifie peu le fonctionnement des filières et crée probablement très peu d’emploi. Elle peut renforcer certaines activités existantes, mais nous n’avons rencontré aucun cas de création ex nihilo.

Confirmant d’autres études (Guérin et al., 2011; Morvant-Roux, 2009), les différentes études de cas mettent en évidence le poids et la prégnance des pratiques financières informelles. Les crédits fournisseurs, les crédits des commerçants, les avances des clients, et enfin les prêts familiaux restent prépondérants pour le démarrage, le maintien et l’expansion des activités économique. Nos propres enquêtes sont confirmées par d’autres études menées au Sénégal, qui observent elles-aussi l’importance du financement informel dans divers secteurs comme la pêche artisanale (Dème et Kébé, 1996 ; Dème, 2013), l’agriculture (Isra-Waapp, 2011 ; 2012 ; Isra-Pdmas, 2010 ; 2011 ; 2012), le commerce et l’artisanat (Direction de l’artisanat, 2006). Cette forme de financement est caractéristique du secteur informel aussi rural qu’urbain. Les formes de financement informel restent beaucoup mieux adaptées aux spécificités des petites entreprises familiales. Cette adaptation des formes de financement informel s’observe à plusieurs niveaux. L’absence de garantie s’adapte parfaitement au niveau de l’épargne monétaire (faible) de la plupart des unités artisanales.

Les circuits de financement formels, avec leurs exigences de remboursement régulières, se heurtent à des formes non monétaires d’accumulation (utilisation du surplus à la constitution de stock alimentaire, de bétail, de biens de consommation). Les pratiques informelles de crédit sont souvent localisées et imbriquées dans des relations de proximité. Les IMFs, même si elles prétendent offrir des relations de proximité, n’offrent pas la même facilité d’accès. Ces pratiques sont également imbriquées dans des relations professionnelles préexistantes

143 (fournisseur/client). Ces relations liées sont souvent condamnées par la littérature car source de dépendance et d’exploitation. Or dans les cas étudiés ici, la dépendance n’est pas à exclure, mais nous n’avons pas observé de surcoûts, et la relation liée permet surtout de sécuriser l’activité.

Et pour les prêteurs, l’imbrication du crédit dans des relations liées permet d’évaluer finement la solvabilité et de contrôler les emprunteurs. Le caractère localisé du crédit informel permet un contrôle social de son remboursement et des rapports personnalisés entre prêteurs et emprunteurs (Rey, 1992 ; Dème et Kébé, 1996). Ces formes de rapports personnalisés sont largement présentes sur les terrains étudiés (commerçant de prêt-porter, fabricants d’objet d’art, menuisier-tapissier, liant des relations de confiance et s’approvisionnant à crédit auprès de commerçant fournisseurs).

On observe par ailleurs que la fragmentation des montants de crédit est adaptée aux besoins spécifiques des petites unités et à la variabilité de leurs revenus. Pour Platteau (1989), l’adaptation des remboursements dans les ventes journalières explique la spécificité des formes de financement informel dans la pêche artisanale. Il convient également de souligner la souplesse des remboursements qui constitue une réponse aux aléas des activités de commerce, d’artisanat et de la pêche artisanale. Cette analyse reste valable pour les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et les autres domaines similaires.

En outre, l’inexistence de procédures administratives dans les échanges monétaires informelles favorise la rapidité dans le traitement des demandes et du déboursement des fonds.

Les avantages comparatifs de la finance informelle ne signifient pas que la microfinance soit totalement inutile : nous avons vu que dans certains secteurs et pour certains profils de commerçants et d’artisans l’accès au microcrédit pouvait être un moyen de renforcer l’activité ou de la diversifier. Le microcrédit s’avère utile dans des secteurs qui ne supposent pas de relations privilégiées avec les fournisseurs, ou lorsque les petits entrepreneurs ne parviennent pas à établir de relation privilégiée (exemple de certains menuisiers ou tailleurs). Il était également intéressant d’observer les stratégies de certains entrepreneurs. Si beaucoup n’apprécient pas la rigidité des remboursements et refusent précisément le microcrédit pour cette raison, d’autres apprécient au contraire cette rigidité qui leur impose de fait une certaine « discipline », comme cela a pu être observé ailleurs (Collins et al. 2009). D’autres, on l’a vu

144 avec les fabricants de jouets en bois, cherchent avant tout à se créer une réputation auprès des IMFs, ce qui a un certain coût, en prévision d’opportunités futures.

Notre méthode ne nous permet pas de quantifier les tendances observées, mais elle a le mérite de décortiquer les processus à l’œuvre. Nous avons vu que dans de nombreux cas, la microfinance n’est pas utilisée et a peu d’intérêt face aux pratiques existantes. Dans d’autres cas, elle complète des financements existants. Elle permet de renforcer l’activité, diversifier et renouveler plus rapidement des stocks (commerce de prêt à porter), s’affranchir de la dépendance à l’égard des commandes des clients et constituer du stock (menuisier) parfois investir (menuisier). Concernant la microfinance, les taux d’intérêt sont décriés et les garanties ne sont pas en adéquation avec le montant des crédits sollicités. D’autres modes de financement existent (épargne propre, crédit-commerçant, achat à crédit, préfinancement par intermédiaires, famille) et sont plus accessibles que la microfinance. Ces modes de financement ne sont assortis d’aucun intérêt. La durée de remboursement peut être négociée suivant l’activité menée.

L’avantage considérable des systèmes de crédit-lié (fournisseur, acheteur, usine) est qu’ils offrent une garantie d’écoulement, puisque le remboursement des emprunts est indexé sur l’activité et qu’il n’y a pas de coût du crédit. Beaucoup de nos interlocuteurs ont insisté lors des enquêtes sur le fait que le financement des IMFs à remboursement (délai) fixe était trop risqué car leur activité est aléatoire.

Au-delà des avantages comparatifs « pratiques » de la microfinance, notons également la dimension sociale des relations ainsi nouées. Elle est par exemple très forte au sein de la communauté des Mourides38 qui ont l’habitude de se financer mutuellement pour l’installation

de magasin de commerce ou d’industrie. Des sommes conséquentes sont prêtées sans contrats, ni procédures administratives. En revanche, la constitution de témoins est souvent observée et constitue elle-même une sorte de garantie pour le prêteur. Les témoins mettent leur honneur et leur réputation dans cette opération. La confiance et l’entraide intra-confrérique sont des aspects qui expliquent largement ces options de recours au crédit informel39

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38

Le Mouridisme est un mouvement religieux né au Sénégal sous l’impulsion de Cheikh Ahmadou Bamba, à la fin du XIXe siècle.

39

Pour une étude détaillée de ces aspects liés à la confrérie mouride, on lira avec intérêt, et entre autres, les documents suivants : Cruise O’Brien D., (1971) et Diop M. C., (1980), Thèse, Université de Lyon,

145 Dans ces rapports et entre confrères mourides, les deux parties sont gagnantes. L’emprunteur a une obligation de résultats-de réussite dans les affaires ; une forte pression sociale pèse sur lui (Cruise O’Brien, 1971 ; Diop, 1980) pour la bonne gestion du crédit et de son remboursement. Mais au-delà, la fructification, la rentabilité et le développement de l’activité entreprise par l’emprunteur sont une source une satisfaction du prêteur. Ce dernier ressent l’autosatisfaction d’avoir fait réussir quelqu’un, de sa confrérie de surcroit. Cette satisfaction remplace l’intérêt financier.

En retour, la personne aidée et ayant réussi à développer son activité, a un devoir moral d’aider un autre et ainsi de suite. Cette pratique est certainement présente dans les autres confréries, mais elle est prépondérante dans le Mouridisme.

Nous avons surtout étudié le crédit, mais la mobilisation d’épargne obéit aussi à des logiques multiples. Les placements sont de très courts termes et les épargnes sous formes de liquidités se passent souvent en dehors de la microfinance, soit au sein de l’unité de production, de la famille ou de commerçants garde-monnaie. Cette situation s’explique par les déplacements, le manque de confiance et de discrétion, l’analphabétisme ou le niveau d’instruction, mais aussi l’importance des relations sociales sous-jacentes à ces pratiques financières. Epargner auprès d’une personne de confiance, cela permet de renforcer un lien de confiance et de fidélité. Au Sénégal, le rapport de la Direction de l’artisanat de 2011 estime que près de 40% des artisans du bois (menuisier, fabricants d’objets d’art…) confient leur épargne à des commerçants- fournisseurs. Les études menées par l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), à travers son Bureau d’Analyses Macro-Economiques (BAME) dans le cadre des projets WAAPP-compétitivité et PDMAS-Impact mentionnent que près de 30% des paysans confient leur épargne à des garde-monnaie et qu’environ 90% gardent leur épargne au sein de l’unité de production. L’organisation des circuits de financement informels dans le cas de la pêche artisanale sénégalaise montrent qu’environ près de 80% des pêcheurs artisanaux gardent leur épargne chez eux (Fontana et Samba, op.cit.).

Sans chercher à ressembler aux modes de financement informels, parce que n’exerçant pas suivant le même cadre réglementaire, la microfinance ne pourra devenir un mode de financement privilégié pour la pêche, l’artisanat et le commerce que si elle s’adapte aux spécifiés des clients et adopte certains critères des modes de financements informels notamment les formes de garanties, les délais de déboursement du crédit, les échéances de remboursement… Mais, tout ceci demande une étude détaillée des agents, de la connaissance

146 de leurs activités, des risques, des modes approvisionnement en matières premières et d’écoulement des produits, des rendements potentiels. Voilà autant de facteurs sur lesquels la microfinance devrait s’appuyer pour intégrer les secteurs d’activités, génératrices d’emplois et de revenus.

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CHAPITRE V. LA MICROFINANCE VUE PAR L’OFFRE: UNE ANALYSE DES