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Le cadre théorique mobilisé s’inspire de l'économie urbaine, de l'économie industrielle, et les travaux dits de la nouvelle économie géographique (Husain et Wang 1996; Fujita et Thisse 1997, 2002; Venables 2001; Catin et Ghio 2000; Colletis et al, 1993; Colletis et Pecqueur, 1993 ; Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; Requier-Desjardins, 2009). Ces travaux ont pour point commun de s’intéresser aux motifs pour lesquels une entreprise opte de s’implanter sur une zone plutôt que sur une autre et aux facteurs qui influencent les choix de localisation. Ils ont pour objectif d'expliquer la répartition spatiale des activités économiques.

La question de l'ancrage a été étudiée par les chercheurs du courant de la proximité (Colletis et Rychen, 2004 ; Requier-Desjardins, 2009) tout en spécifiant deux configurations polaires: la « localisation » et la "territorialisation".

Dans le cas de la localisation, les firmes dont le prix est le fondement de l'avantage comparatif recherchent les espaces d'implantation offrant les meilleures conditions de coût. Cela n’empêche pas des "rencontres productives" mais celles-ci ont un caractère éphémère (Colletis et al.., 2005).

La "territorialisation » constitue une perspective plus durable mais ne veut pas dire que la firme renonce à une certaine mobilité, cette dernière étant potentiellement capable d’exprimer son nomadisme dans le futur. La "territorialisation" ou l'ancrage territorial appelle de la part de la firme une capacité et un intérêt marqués à tisser des liens forts, de type marchands et non marchands, avec d’autres acteurs ou parties prenantes. Pour les économistes de la proximité qui, par ailleurs insistent fortement sur l’importance de la proximité institutionnelle, ces liens doivent résulter de la « production de normes, de règles, voire de représentations et de

valeurs communes». Mais si la proximité spatiale permet de révéler et combiner plus aisément

des connaissances tacites détenues par des acteurs (pouvant avoir des actifs complémentaires), elle n’a de sens que si ces acteurs en question partagent ou produisent des représentations et valeurs communes, s’ils ont une proximité institutionnelle (Colletis et Pecqueur, 1993 ; IMS- ORSE40, 2006).

Peu d’analyses sur la microfinance dans les pays du Sud ont étudié les logiques

149 d’implantation en s’intéressant à l’ancrage local et territorial des IMF, alors que cette grille d’analyse nous semble prometteuse. Au-delà de la spécificité affichée par la microfinance – construire des liens de proximité – et contrairement à l’idée fréquemment répandue sur l’homogénéisation prédite des territoires en termes d’avantages comparatifs, on assiste à de fortes différenciations territoriales, source d’innovations et de dynamisme économique (Artis, 2007). Le territoire se positionne alors comme un acteur central du développement local (Pecqueur, 2000) et la question de son « endogénéisation » est alors nécessaire (Colletis et Pecqueur, 1993). Souvent considéré, à tort, comme une entité exogène, statique, existant comme tel et composé de ressources, le territoire doit être révélé.

Le territoire est considéré dans une acception large et est donc un espace terrestre délimité, approprié par un groupe social aux fins de reproduction et de satisfaction de ses besoins vitaux.

Le territoire représente la manière dont un individu ou un groupe d’individus s’approprie et utilise l’espace sur lequel il exerce ses activités de production. Au carrefour de plusieurs disciplines (économie, géographie, sociologie, etc.), le territoire peut être le cadre d’action des individus dans leur quotidien (Di Méo, 1999). Il représente la somme de « l’espace vécu » et de « l’espace social ». L’espace vécu représente l’appropriation subjective des individus et de la collectivité des lieux et de leur environnement. L’espace social rassemble les relations sociales et spatiales entre les groupes d'individus et les lieux d’occupation.

II. Les dimensions de la proximité

Selon Colletis et Pecqueur (1993), le territoire n’existe que si les trois dimensions de proximité (1) géographique, (2) organisationnelle fondée sur la complémentarité potentielle de ressources ou d'actifs et (3) institutionnelle renvoyant au patrimoine cognitif et au partage de normes et valeurs sont réunies. Pour être combinées et révéler un territoire comme situation de coordination située dans l'espace, ces trois dimensions de la proximité doivent converger grâce à un facteur déclencheur (Colletis et Pecqueur, ibid.).

La proximité recouvre trois dimensions ; géographique, organisationnelle et institutionnelle. Pour Garnier, «La première est l’instance des coûts, des temps, des infrastructures et des

relations sociales inscrites dans la matérialité de l’espace. La deuxième est l’instance de la structuration durable et finalisée des relations instaurées à l'occasion de l'activité productive. La troisième est l’instance de l’adhésion aux règles et coutumes, aux modes de

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comportements aux représentations, aux imaginaires collectifs et aux projets »41. La dynamique de développement du territoire se définit en fonction de l'intensité et de la présence, ou non, de ces trois types de proximités (Colletis et Rychen, 2004 : Colletis et al., 1999).

La proximité géographique est basée sur une dimension matérielle du territoire. Elle génère une économie d’agglomération avec la co-localisation et des phénomènes d’urbanisation (Colletis et al., 2005). C’est alors une concentration spatiale qui crée du lien (conscient ou subi), en générant naturellement de la communication entre acteurs, une relation de face à face. Dans le cadre des relations entre les IMFs et leurs clients, cette proximité est donc nécessaire, mais non exclusive.

La proximité organisationnelle « fait référence à une proximité dans les méthodes qui fondent l'activité principale de l'agent économique considéré»42. Celle-ci, sans combinaison avec la

précédente, est un facteur qui stimule les échanges d’informations technologiques du fait de la présence d’un capital commun ou transférable (ressources génériques)43. Les ressources, à la

différence des actifs (facteurs en activité), sont des facteurs à exploiter, à organiser, ou encore à révéler (Colletis et Pecqueur, op.cit.). Dans la proximité organisationnelle, associée à la proximité géographique, les rapports entre les acteurs peuvent être analysés comme des systèmes productifs locaux. Il y a alors production de relations de complémentarités entre les acteurs et émergence d'actifs spécifiques au territoire.

Le terme spécifique fait référence à « l’ensemble des facteurs comparables ou non et dont la

valeur ou la production est liée à un usage particulier » (Colletis et al., 2005, p 57).

Enfin, la proximité institutionnelle fait référence à la dimension identitaire du territoire. Le sens du terme institutionnel est utilisé ici dans une large acceptation au sens du courant institutionnaliste. L’institution permet ici la réduction des incertitudes des comportements sociaux et la coordination entre acteurs et ressources. Ainsi, « la proximité institutionnelle se

définit comme l'adhésion des agents à des systèmes de valeurs visant à faire aboutir un

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GARNIER J. Proximités lourdes, proximités légères : 17-18 juin 2004, p.3

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COLLETIS G. et RYCHEN F., (2004),

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Pour une analyse détaillée des actifs spécifiques et génériques et des ressources, également spécifiques et génériques, voir Colletis et Pecqueur (1993)

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objectif commun, cette adhésion se traduisant par l'identification d’une structure commune de coordination. Cette structure de coordination peut avoir un aspect formel ou informel, mais doit être reconnu par les interlocuteurs pour que l'échange au travers de celle-ci soit valide »44. Comme le souligne Denis Requier-Desjardins (2009), la proximité

organisationnelle est « basée sur une ‘logique d’appartenance’ à une même organisation alors que la proximité institutionnelle est basée sur une ‘logique de similitude’ des représentations, des valeurs et des règles » (Requier-Desjardins, 2009, p 6).

La proximité institutionnelle se construit aussi par des relations hors marché entre les acteurs et le territoire. Elle fait donc appel à la notion de réseau, parfois à travers des relations interpersonnelles (Grossetti, 1995)45. Lorsque proximité institutionnelle et géographique sont

associées (par exemple dans le cas des districts industriels), on observe une mise en commun de ressources par les acteurs qui génèrent donc des ressources spécifiques propres au territoire.

L'articulation entre ces trois formes de proximité procure un caractère spécifique au tissu socio-économique du territoire considéré, caractérisant ainsi la nature du système de production, le type de ressources utilisées et produites par le territoire, ainsi que les modes d'interrelations entre les acteurs.

III. Trois modes de développement local

La viabilité du territoire ou tout simplement sa capacité à créer et redéployer des ressources, pose celle des différents modes de développement des trajectoires territoriales. Trois modes de développement local sont distingués (Colletis et Pecqueur, 1993): l'agglomération, la spécialisation, et la spécification.

Le processus d’agglomération se définit par une concentration spatiale d'activités économiques. Elle peut permettre des économies d’échelle aux entreprises, sans qu’il y ait de coordination spécifique entre les acteurs. Ces économies d’échelle peuvent permettre de générer des économies de coûts qui seront ensuite répercutés sur les clients, mais elle peut aussi générer des externalités négatives (concentration excessive, saturation, pollution, etc.), dont on verra des exemples au chapitre suivant (à propos de la concentration excessive et des problèmes de surendettement qui en résultent).

44

COLLETIS et RYCHEN, ibid., p.221

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152 L'agglomération est une dynamique qui ne privilégie que très peu la proximité organisationnelle, elle se limite aux dimensions géographique et institutionnelle de la proximité. Ainsi, l'agglomération est équivalent à une croissance "tous azimuts", aucune activité ou compétence particulière ne préside à un processus d'accumulation territorial (Colletis et al., 2005).

La spécialisation est une trajectoire qui combine les trois dimensions de la proximité, et qui est associée ou dédiée à une activité ou à un secteur particulier (Colletis et al, ibid.; Bellet et al., 1993). Le choix d’implantation est motivé par l’idée de se spécialiser dans une activité ou dans un secteur et de bénéficier d’externalités positives liées à la complémentarité entre les différents acteurs. Alors que l’agglomération obéit à des intérêts strictement individuels, la spécialisation fait appel à une coordination et une concertation entre acteurs qui ont conscience de leur interdépendance. Chaque acteur se nourrit de ces complémentarités et de cette interdépendance pour mener ses propres activités. Il y a donc « élargissement des

combinaisons productives accessibles sur une base territoriale et par là de la gamme des problèmes productifs susceptibles d'être résolus sur cette base » (Colletis et al. 1998, p.4)46. Par comparaison avec l’agglomération, il existe aussi une proximité organisationnelle forte entre les différents acteurs. Celle-ci est à la fois une richesse et une force – chaque acteur pris isolément ne pourrait mener les mêmes activités – et une faiblesse et une source de fragilité : du fait de l’interdépendance, le déclin de certains acteurs peut fragiliser l’ensemble. En cas de spécialisation sur une filière, l’évolution de la conjoncture de cette filière détermine aussi, partiellement, la bonne marche de l’ensemble des acteurs du territoire. Là aussi, nous en verrons des exemples plus loin.

La spécification est une étape supplémentaire dans la coordination des acteurs au niveau territorial. Elle se distingue de la spécialisation au sens où elle s’appuie sur des compétences qui sont redéployables au-delà d'un secteur précis : elle reflète la capacité d’un territoire à valoriser ses propres ressources, bien au-delà d’une activité ou d’un secteur défini. Le territoire a su se doter des structures, d’acteurs, publics ou privés, capables d’élaborer des stratégies collectives permettant une certaine pérennité du développement économique du

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G. Colletis et al. « Construction territoriale et dynamiques productives », Sciences de la Société, 1998. Voir ce lien également : http://greqam.univ-mrs.fr/IMG/working_papers/1999/99a12.pdf

153 territoire. La spécification est étroitement liée à des liens institutionnels qui lient les acteurs et à un partage de valeurs et de systèmes de représentations.

Voyons à présent les logiques d’implantation des IMFs sénégalaises. Si certaines IMFs agissent au niveau local, d’autres dépassent les limites des régions et s’implantent un peu partout dans l’ensemble du pays. Les IMFs se répartissent toutefois de manière inégale. L’offre de microfinance se concentre principalement dans les grandes villes et les zones rurales sont très peu desservies. L’analyse de l’implantation spatiale de la microfinance au Sénégal fait ressortir plusieurs tendances:

- une tendance générale à se retirer du rural;

- une forte concentration par les trois grands réseaux qui sont par ailleurs animés par des logiques d’agglomération;

- une spécialisation et un ancrage dans des territoires spécifiques.