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5.1 Les politiques linguistiques du français entre 1960 et 1980

5.1.2.2 La modernisation de la langue française

Le dynamisme et l’influence d’une langue peuvent se traduire par sa capacité de créer des mots nouveaux et suffisants pour désigner des notions provenant d’autres langues. Plus la langue donne au monde des mots nouveaux et idoines et plus les locuteurs se les approprient, plus cette langue pourrait être dynamique et influente.

L’afflux d’anglicisme constaté en France démontre que, outre la toute-puissance des

113 CHANSOU Michel, « Les politiques de la langue et la législation linguistique en France (1966-1994) », in : Mots, septembre 1997, N°52, p. 25-26.

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États-Unis, le français apparaît incapable de créer des mots ou des équivalents français en remplacement des termes anglais notamment dans le domaine des sciences et des techniques, tant et si bien que les Français optent pour l’anglais qui leur paraît plus modernisé, riche et souple. Pour remplir les lacunes de la langue française, l’État s’est décidé à intervenir dans le domaine de la terminologie et de la néologie.

Sous la présidence de Georges Pompidou qui a déjà présidé le Haut Comité en tant que Premier ministre, le chef de l’État souhaite que le gouvernement engage une action de défense du français devant tendre à enrichir le vocabulaire scientifique, technique et professionnel de mots nouveaux qui se substituent aux emprunts faits aux langues étrangères. Ces propos ont été formulés dans une lettre circulaire du 14 janvier 1970.114 Il n’a pas pourtant été possible d’en prendre connaissance en raison de la classification confidentielle de ce texte conservé au Fichier législatif au Secrétariat général du gouvernement115. Au mois d’avril 1970 a été mise en place la commission de terminologie de transports, celle du pétrole et de l’informatique en septembre 1970 et celle de l’économie et des finances en 1971.116 Sur ses lancées a été rendu le Décret no 72-19 du 7 janvier 1972 relatif à l’enrichissement de la langue française qui stipule la création des commissions de terminologie dont les missions sont précisées : la commission de terminologie a pour missions :

-D’établir pour un secteur déterminé un inventaire des lacunes du vocabulaire français ;

-De proposer les termes nécessaires soit pour désigner une réalité nouvelle, soit pour remplacer des emprunts indésirables aux langues étrangères (Article 2).117

Aussi en vertu de ce décret, les termes et les expressions entérinés sur la liste

114 DE SAINT ROBERT Marie-Josée, op.cit., p. 38.

115 DEPECKER Loïc, L’invention de la langue : le choix des mots nouveaux, Armand Colin-Larousse, Paris, 2001, p.

33.

116 http://www.dglf.culture.gouv.fr/terminologie/grand-ligne-dispo.html#ancre201327, consulté le 24 juillet 2009.

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http://www.cslf.gouv.qc.ca/bibliotheque-virtuelle/publication-html/?tx_iggcpplus_pi4%5Bfile%5D=publications/pubd1 08/d108anna-e.html, consulté le 24 juillet 2009.

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devront seuls être utilisés dans les textes administratifs, dans les correspondances et les documents qui émanent des services de l’État (ou qui leur sont adressés), dans les contrats conclus par les organismes publics, dans les ouvrages d’enseignement, de formation ou de recherche utilisés dans les établissements dépendant de l’État, soumis à son contrôle ou bénéficiant de son concours financier (Article 6). Cette imposition descend de la lignée des MM. Sauvy et Étiemble. Or, le champ d’application est bien étendu et se risque ainsi à affaiblir l’efficacité des travaux des intéressés, cette intervention ne s’avère par très facile à être accomplie. Elle ne l’est pas d’autant plus que l’on n’a pas prévu de mesures de contrôle et de sanction efficaces en cas d’un manquement à l’usage obligatoire.

Cette action étatique qui paraît difficile à être appliquée s’attire des critiques de la part de Bernard Quemada, linguiste et lexicographe, qui, au cours d’un colloque sur la néologie lexicale dans la francophonie, a déclaré que Nous livrons à la controverse, l’attitude restrictive qui est la nôtre à l’égard d’une éventuelle tentative de « planification » néologique qui ne serait qu’autoritaire, alors que nous concevons toute forme d’action positive comme une entreprise de longue haleine, jamais achevée, dont l’ambition première doit être de faire ses preuves auprès des usagers. Il est vrai que les politiques mises en place sous de Gaulle et puis sous Pompidou se lient plus à leur préoccupation de retrouver à travers cet outil de communication la grandeur de la France sur la scène du monde qu’à celle de satisfaire aux besoins des utilisateurs de la langue.

Cela étant, les commissions ministérielles de terminologie sont créées et sont toujours en fonction jusqu’à aujourd’hui en dépit de quelques modifications qu’elles ont subies après. Ce cap politique est désormais franchi. En ce qui concerne leur travail, cela n’est pas sans mérite. Ces commissions ministérielles de terminologie, composées de membres hétérogènes, essaient de freiner la dégradation de la langue française notamment en sciences et techniques en dégageant en la matière des termes propre au

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français. La commission ministérielle de terminologie de l’informatique a, par exemple, contribué au néologisme logiciel qui, après maintes discussions en réunion de la commission et l’approbation de l’Académie française, a paru dans la liste 1 (c’est dire que les termes ou expressions nouveaux approuvés qui y figurent devrons seuls être utilisés dans les documents publics, les services publics et les contrats auxquels l’État ou les établissements publics de l’État sont parties) de l’arrêté du 12 janvier 1974.118 Celui-ci est aujourd’hui parfaitement entré dans le langage courant, supplantant software.

Il en est de même pour matériel et planification, dont l’usage est rendu obligatoire dans l’administration et les services publics par les arrêtés de la commission ministérielle de terminologie de l’informatique et celle du pétrole.119 De ce point de vue, les commissions ministérielles de terminologie, quelque hétérogènes que soient leurs membres, quelque différente que soit la manière de travail de chacune, s’essaient à cette entreprise qui leur a été confiée.

5.1.2.3 La préoccupation face aux usagers du français, notamment aux