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5. Les registres de modélisation en sciences

5.1. La modélisation dans le cadre des travaux de Jean Louis Martinand

La recherche scientifique et l’enseignement des sciences se fondent sur la modélisation. Une explication de la notion de modèle et de la nécessité de modéliser nous paraît intéressante avant de définir les registres de modélisation construits pour l’appropriation d’un savoir scientifique. Ces registres seront utiles pour l’analyse des réponses des élèves. Le terme modèle présente une polysémie marquée. Au sens large, il définit toute activité de représentation, quelle que soit la nature des opérations intellectuelles réalisées : définition (espace), loi (loi des gaz parfaits), reconstruction conceptuelle (cellule). L’idée des tenants de cette conception est que l’activité scientifique porte sur des objets construits par l’esprit humain, qui devraient être reconstruits au fur et à mesure du développement de la science. Au sens étroit, le terme modèle désigne toute représentation matérielle, iconique ou symbolique, faite en vue d’une explication. Cette dernière reproduit certains aspects de l’objet étudié pour comprendre son fonctionnement et déduire des nouvelles propriétés.

Certes, nous assistons à un usage intensif des mots modèles, modélisation, méthodes de modélisation, problèmes de modélisation dans le vocabulaire scientifique. Selon Martinand, il n’est pas toujours facile de définir le terme modèle vu la double incertitude des définitions : incertitude sur le statut épistémologique des modèles et incertitude sur le sens d’une évolution possible des types de modèles utilisés. Les modèles ne sont pas questionnés dans l’enseignement dogmatique. Ils sont présentés comme des évidences aux apprenants. Le rejet de ce dogmatisme par les apprenants incite à réfléchir sur les modèles et leur enseignement. Comment construire, adapter et utiliser les modèles ? Les modèles sont hypothétiques, modifiables, pertinents pour certains problèmes dans certains contextes. Il fallait donc donner aux modèles leurs trois caractéristiques pour qu’ils soient fonctionnels. Mais selon Martinand, ce qui pose problème ce sont les modèles spontanés qui peuvent résister aux modèles enseignés. Les besoins de modélisation peuvent être d'ordre pratique afin de maîtriser l’action ou la fonction technique de certains objets ou les conditions de leur utilisation. Nous pouvons être incités à modéliser pour d’autres raisons : expliquer par des théories la forme même de la caractéristique de l'objet.

La distinction n’est pas toujours nette entre modèle et théorie ou modèle et lois. La relation entre modèle et théorie pose la question du rapport entre les phénomènes réels de la nature

Chapitre 1 Des conceptions vers la problématisation

(registre empirique) et les modèles construits (registres des modèles). C’est une réflexion sur la relation entre le « réel » et le « construit » (modèle). La théorie est conçue comme un ensemble de lois qui tentent d'expliquer des phénomènes de la nature, alors que le modèle est conçu comme un « artefact »4. Dans les deux cas, il s’agit d’une interprétation de la réalité. X. Le Pichon (1984) affirme qu’avant la formulation de la tectonique des plaques, plusieurs grands phénomènes géologiques défiaient toutes les explications logiques et rigoureuses. Par exemple, on savait bien que la lave des volcans provient du manteau, mais on ne savait pas expliquer pourquoi il y avait magmatisme et pourquoi les volcans se répartissaient de façon non aléatoire à la surface du globe. Il en était de même en ce qui concerne l'origine et la distribution des séismes. Même interrogation pour les chaînes de montagnes ; on saisissait bien en observant la géométrie des couches géologiques qu'il fallait des forces de compressions latérales pour plisser ces couches et pour soulever une aussi grande quantité de matériel qui à l'origine s'était déposé dans un bassin marin, mais on n'arrivait pas à identifier ce qui causait ces forces.

La théorie de la tectonique des plaques est devenue un modèle de la dynamique externe et interne du globe terrestre qui permet de comprendre d'une façon unifiée les grands phénomènes géologiques (X. Le Pichon, 1984). Nous pensons que la révolution en sciences de la terre des années soixante a développé une théorie et a créé un modèle : modèle et théorie sont-ils des synonymes ? Mais tout modèle demande à être testé, et ce n'est qu'après avoir réussi le test qu'il peut être considéré comme valide. « Ce test, il se fonde bien évidemment sur la validité des observations et la rigueur des interprétations mais aussi obligatoirement sur le pouvoir unificateur des phénomènes observés » (X. Le Pichon, 2001). La théorie de la tectonique des plaques se veut explicative. Bien que nous puissions tester son explication sur plusieurs phénomènes géologiques, petits et grands, nous allons nous limiter ultérieurement aux deux phénomènes : les séismes, et la formation des chaînes de montagnes. Les crises biologiques renvoient à une obligation d’interdisciplinarité. Les deux premiers phénomènes sont enseignés dans le programme de la 2ème année secondaire (15-16 ans) durant l’année scolaire 2004-2005. Le même thème a été basculé pour être enseigné en 3ème année sciences expérimentales durant l’année scolaire 2006-2007. Les travaux de C. Orange ouvrent un nouveau champ de travail, que nous empruntons, sur la modélisation et sa relation avec la problématisation. Nous allons redéfinir les registres dont la mise en tension débouche sur la problématisation.

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Chapitre 1 Des conceptions vers la problématisation

La modélisation consiste à relier le référent empirique (faits, objets, phénomènes) à sa représentation. Ces deux mondes de la modélisation peuvent être rapprochés d‘un premier schéma de modélisation élaboré par Martinand. Ce premier schéma repose sur la distinction de deux registres : le registre du référent empirique, et celui du modèle, qui le représente. Ce schéma a été critiqué Martinand par lui-même car il ne fait apparaître que deux registres. Pour J.-L. Martinand (2000), les modèles (en tant que signifiés) jouent des rôles analogues aux concepts et « théorèmes ». Le registre de référent empirique est finement décrit : Martinand distingue la phénoménotechnique, qui contient les objets utilisés et leurs conditions d'utilisation, la phénoménographie, qui est la «lecture première" des phénomènes, et la phénoménologie, qui en est une "lecture seconde" une fois que le modèle du phénomène a été construit. Les processus de modélisation sont, en quelque sorte, les allers-retours entre les deux registres. Un deuxième schéma de la modélisation a été construit par Martinand.

Matrice cognitive Elaboration représentative Référent empirique

Figure 2 : Schéma de la modélisation selon Jean-Louis Martinand (1996)

Ce deuxième schéma de Martinand a été utilisé essentiellement pour construire ou analyser des séances ou des séquences d'enseignement. Elle conduit à décrire les événements qui se déroulent dans la classe du point de vue de l'enseignant et du point de vue de la physique. En fait, les travaux de Martinand sont développés dans le domaine de la physique et la technologie. Le paradigme épistémique est la conception de ce que doit être la connaissance, c’est l’image de la science que l’on a. Les ressources théoriques, les ressources sémiotiques (langages, schématisations graphiques, symbolisations mathématiques et représentations

Paradigmes épistémiques Ressources théoriques Ressources sémiotiques

Modèle

(ou concepts) Simulation

Phénoménographie Phénoménologie Phénoménotechnique

Objets, phénomènes, procédés, rôles sociotechniques construction

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informatiques) et les paradigmes épistémiques constituent ensemble la matrice cognitive. Cependant la façon dont l'apprenant voit la réalité dépend de ses connaissances antérieures, qui ne sont pas celles de l'enseignant évidemment : la phénoménographie de l'enseignant n'est pas forcément opératoire pour l'élève. Dire que la phénoménographie est une première lecture avant l'application du modèle estompe le fait que toute description de la réalité véhicule des éléments d'un modèle préexistant, simplement par le langage utilisé.

C. Orange (1994) a proposé de travailler aussi, avant Martinand, dans un troisième registre : celui de "référent explicatif". Martinand n’était pas d’accord sur cette appellation vu la confusion que peut induire le double emploi de référent (référent empirique et référent explicatif).