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Chercher la raison ou l'explication, c'est admettre implicitement l'insuffisance d'un simple réductionnisme. L’explication ou la recherche de la raison des choses comporte un paradoxe : concilier la nécessité et la production des changements ou la construction des nouveautés scientifiques, dans ce cas. Les nouveautés elles-mêmes sont des nécessités, mais pas nécessairement des nécessités sur les modèles. L’explication s’agit d’un mode de raisonnement qui permet de rendre intelligible ce qui est obscur au sens de Halbwachs. Elle pourrait être aussi une assimilation adéquate à des structures objectivées. L'explication serait l'équivalent d'une réponse d'ensemble au problème de la connaissance scientifique. Comme l’affirme D. Terré (1988), un énoncé scientifique devient acceptable ou utilisable dans la mesure où il offre des possibilités objectives de relances et d'action. La construction d’un nouveau langage explicatif est une opération difficile dans la mesure où il s’agit de transformer ce qui est à expliquer en principe d’explication. Ceci demande t-il un dédoublement de la pensée en affirmation et élaboration ? Nous essayons de développer ce que nous entendons par assertorique et apodictique afin de pouvoir déterminer les éléments constitutifs du registre explicatif.

7.1. L'apodictique ou les savoirs conditions

Dans notre travail sur la problématisation en sciences, nous essayons de réfléchir sur les pratiques mises en oeuvre dans les classes pour identifier chez les apprenants comment ils problématisent leur savoir de manière raisonnée au lieu de restituer des résultats scientifiques cumulés. L'apprentissage de la problématisation pourrait être mise en œuvre par la dévolution du problème aux apprenants et la pratique de la discussion, dans un débat par exemple, permettant l’apprenant de s'approprier son savoir. Il s’agit de mettre les apprenants dans des situations qui les obligent à construire un problème scientifique. M. Fabre et C. Orange ont permis de poser un cadre théorique à partir de la logique de l'enquête de Dewey, de l'épistémologie bachelardienne du problème scientifique, de la philosophie générale du problème chez Deleuze et aussi de la logique de la découverte de Popper. Il y a dans l'histoire de la pensée, explique Fabre, un oubli du questionnement. Tout énoncé affirmatif (savoirs solutions) peut ne pas prendre de sens que comme réponse à une question. En ce sens que la problématisation ne se réduit plus à la résolution de problèmes, laquelle présuppose que les énoncés des problèmes soient déjà bien formés. Or le « problème du problème », c'est précisément la construction du problème. L'épistémologie Bachelardienne est une épistémologie de la construction des problèmes et non pas seulement de leur résolution.

Chapitre 1 Des conceptions vers la problématisation

Deleuze dénonce quant à lui, dans l'image dogmatique du savoir, un pédagogisme latent : le maître énonce les problèmes, la tâche des élèves n'étant que de les résoudre. La problématisation est donc un processus multidimensionnel, mais elle n'est pas pour autant une remise en question de tout : elle suppose une pensée contrôlée par des normes à construire et elle délimite l'espace de la recherche. Un problème bien posé se résout lors de sa construction. Pour C. Orange la problématisation est une condition de possibilité pour acquérir des savoirs scientifiques. Pour l’apprenant, un concept restera un savoir scientifique, apodictique et pas seulement assertorique, s'il n'oublie pas le problème dont il est issu ; il n'entre dans un savoir scientifique que s'il entre dans l'idée de la nécessité. Orange a montré que la problématisation du concept d'articulation correspond à une nécessité construite par tension entre un registre empirique (constat à la fois d'une continuité et solidité du bras et du pliage du bras) et un registre des modèles (il y a des os qui ne doivent pas être disjoints ; les os doivent bouger au niveau du coude) dans le cadre épistémique d'un registre explicatif (le mécanisme). Il ne s'agit donc pas seulement de décrire une articulation, mais d'en concevoir les conditions de possibilité : il faut à la fois que ça tienne et que ça plie. Orange montre, sur le cas de la problématisation du concept de milieu intérieur chez Bernard, qu'il en est de même dans le travail des chercheurs. Quelles sont donc les conditions pour pouvoir débattre et construire un problème ?

Il fallait construire une référence commune (un registre empirique partagé), qu'il y ait des idées différentes et que le registre explicatif soit partagé. Cela correspond à ce que Popper nomme, dans La connaissance objective, « travailler sur un problème ». Les élèves n'inventent pas les problèmes : ils re-problématisent et construisent des concepts à un certain niveau de conceptualisation et de problématisation. Chez les chercheurs et chez les élèves, dans les deux cas, il y a travail sur un problème. Il ne s'agit pas non plus d'acquérir d'abord des connaissances puis de problématiser : pour apprendre des connaissances, il fallait comprendre celles-ci comme des réponses à des problèmes. On ne problématise pas non plus à vide, pour qu'il y ait débat et problématisation, il fallait, selon Orange, trois conditions : une référence commune, plusieurs thèses, un accord sur le type de débat. La construction du problème nécessite certainement de l’apodicticité.

7.2. L'assertorique ou les savoirs solutions

Kant nous propose trois modalités de la fonction de la pensée dans le jugement : l'apodictique, le problématique et l'assertorique. L'apodictique relève de la nécessité, puisqu'il prouve. La problématique relève de la possibilité, puisqu'il établit des rapports de conditionnalité par

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rapport à des hypothèses. Et l'assertorique affirme, pose des jugements qui relèvent du fait. Or qu'est ce qu'un fait ? Ce qu’on appelle fait n’a de sens que dans un processus de problématisation. Si pour les objets matériels, le jugement paraît moins discutable, celui qui concerne les objets de pensée semble nettement plus sujet au débat et au désaccord. L'assertorique peut relever de la banalité et du manque, de la fausse évidence et de la facilité, mais ne peut-il pas aussi exprimer l'opérativité d'une pensée en acte ? L’apprenant n'est pas celui qui comprend et répète ce que l’enseignant a dit, mais celui qui démontre et découvre, voire qui prouve par lui-même ce que le l’enseignant tente de lui enseigner. Et si l’affirmation (savoirs solutions dans ce cas) relevait de l’implicite? N’y a-t-il pasde valeur às’intéresser à l’assertorique comme faisant partie du processus de raisonnement de l’apprenant?

7.3. Conclusion : le registre explicatif se dédouble-t-il en assertorique et apodictique ?

La complémentarité des deux axes s’avère obligatoire et ce n'était que le dédoublement de la pensée en « assertorique » et « apodictique » qui aurait permis à Bachelard de basculer de l’objectivité vers la subjectivité6. La structure dialoguée de la raison dans les sciences se dédouble nécessairement en une pensée assertorique et une pensée apodictique. Le savoir scientifique n’est pas accompli par l’expérience commune mais plutôt par la double pensée (apodictique et assertorique) qui affine, différencie et multiplie les structures qui s’expriment par la détermination des conditions de possibilité de résoudre un problème scientifique face à la multiplication des expériences. Se focaliser sur les savoirs conditions, sans donner d’importance aux savoirs solutions, dans la construction des éléments constitutifs du registre explicatif d’un apprenant risquerait de nous faire perdre des informations sur le fonctionnement de son raisonnement. Nous proposons le schéma récapitulatif suivant :

Registre empirique Registre des modèles

Registre explicatif

pensée assertorique pensée apodictique

Figure 6: double pensée dans le registre explicatif

Pour ouvrir une nouvelle interrogation sur la possibilité de l’utilisation de la problématisation en classe, nous revenons au questionnement, principalement aux questions posées par l’enseignant. Ces questions ont-elles un rôle dans le développement de la culture de problématisation chez les apprenants.

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Cette dualité a été soulevée lors d’une journée scientifique sur « l’œuvre de Gaston Bachelard » à l’Université Lyon 3 en 2006. Non publié.

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