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Temps géologique et obstacles épistémologiques

1. Du temps géologique en biologie et en géologie

Le temps géologique a longtemps été marqué par l'absence des êtres vivants. La certitude est absente de la datation expérimentale qui permet d'atteindre un âge qualifié à tort d'âge absolu. Pouressayer d'intégrer la multiplicité des temps, il serait intéressant de considérer l'évolution du système terre/vie dans une vision globale. La sédimentologie, le principe de superposition et d'identité paléontologique nous explique l'enregistrement de chaque couche fossilifère qui se superpose dans le temps aux précédentes. Lamarck et Lyell, notamment, ont montré que nous pouvons trouver dans deux couches sédimentaires superposées les mêmes fossiles. Ceci renvoie à l'aspect continu et progressif du développement du vivant dans le temps. Cependant, même avec le développement des méthodes de datation, l'âge du fossile reste ambigu, c'est la notion même de fossile qui peut être remise en cause. En fait, dans des couches sédimentaires fossilifères d'âge donné, il suffit de retrouver un fossile pour avoir accès aux êtres vivants qui vivaient à l'époque dans le sédiment. Mais le fossile subit des modifications à la suite de l'enfouissement, des phénomènes tectoniques, des remaniements géochimiques. Pourrait-on avoir une vision mobiliste ou fixiste de la fossilisation ?

Le métamorphisme est un dynamisme, les interactions entre la terre milieu de vie et les écosystèmes montrent à la fois une continuité et une discontinuité depuis un passé très éloigné dans le temps jusqu’au présent. Le sédiment est un milieu de vie et la vie modifie toutes les roches en formation. Nous ne parlons plus d’un milieu sédimentaire azoïque : des souches

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bactériennes lithotrophes vivant dans des roches à une profondeur de 2,7 km. Les conditions de possibilités de vie semblent sans cesse s'élargir et nous pensons que tous les milieux sur et dans la terre sont habités par des êtres vivants. Les éléments chimiques d'une roche peuvent ne pas avoir un âge unique, alors que le fossile fait exception. Comment peut-on dater un fossile ? Dans une vision sédimentaire fixiste, le temps qui sépare deux couches correspondant à des milieux de vie différents est considéré comme si important que l'on peut voir deux milieux superposés (un actuel, un passé) indépendants. Dans une vision sédimentaire mobiliste il n'y a jamais séparation réelle, les roches sédimentaires profondes ne sont pas à l'abri des modifications liées au vivant.

Nous n’essayons pas de remettre en cause le principe de superposition mais plutôt de réfléchir sur un concept parfois flou. Actuellement, les roches sont soumises à l'action de modifications par des solutions chimiques mais aussi par des êtres vivants. Donc elles ne sont pas actuellement exemptes de vie. Ce sont des roches du passé vu l’âge de leurs composés chimiques et d’actualité comme abri des êtres vivants. C’est là ou interfèrent l’actuel et le passé ainsi que la biologie et la géologie. Si l'on reporte dans le temps le raisonnement, il n'y a aucun moment où nous avons une roche qui ne soit pas remaniée par le vivant. Toute la difficulté est de délimiter la zone de vie à un instant donné. Si elle s'étend comme nous disons actuellement à toute la zone où nous pensons que se forment les roches sédimentaires (zone de diagénèse) dans ce cas, il n'y a jamais d'âge précis pour une roche sédimentaire, il y a un continuum. L’oscillation du concept du temps géologique entre la biologie et la géologie est une sorte d’application de l’actualisme ; nous projetons l’action de l’être vivant actuellement vivant dans une roche vers un passé infini de remaniements des minéraux. Le sédiment en cours de diagenèse peut être considéré comme un abri des phénomènes vivants. Dans une vision mobiliste, la diagenèse est un phénomène qui fait intervenir le vivant et une roche sédimentaire à un âge extrêmement étendu dans le temps géologique.

1.1. Le temps géologique : un outil de mesure en biologie et en géologie

En dehors de sa mesure technique, le temps n'est pas qu'un simple paramètre d'évolution, mais est un concept physique qui n'a de sens que relativement à des phénomènes physiques. L'analyse relativiste du temps conforte encore cette conclusion. Les phénomènes géologiques s’expliquent dans un temps différent : le temps géologique. Contrairement aux mécanismes micro-évolutifs qui relèvent du temps court, « Eldredge et Gould pensent que les mécanismes de spéciation, certes long pour le temps écologique, sont instantanés pour le temps profond » (A. de Ricqlès, 2002, p33). En fait, le paléontologue ou le géologue trouve ses témoins dans

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les strates sédimentaires d’âges différents. Le temps écologique n’est autre que le temps géologique, mais le problème est de parvenir à projeter le premier dans le deuxième.

1.2. L’essor du temps géologique

« Concevoir de façon abstraite et intellectuelle le temps est assez simple : je sais combien de zéro je dois mettre après le nombre dix pour représenter des milliards. Quant à le digérer, c’est une autre affaire » S. Jay Gould (1990). L’explication des événements et/ou des phénomènes géologiques et biologiques nécessite l’extrapolation du présent vers le passé. Le passé n'est pas seulement le présent qui n'est plus là comme le futur n'est pas du présent qui ne serait pas encore là. La triade du passé, futur et présent est une réalité autonome que n'efface pas le passage du temps. Cependant la perception du temps à l’échelle humaine se situe dans le présent et fait obstacle à concevoir l’immensité du temps géologique. Le passé s'obtient par une opération sur le présent et le présent est la clé du passé. Il existe des contenus du présent qui sont de conditions passées, et d'autres qui, provenant du passé, sont néanmoins présents. Les Alpes, chaînes de montagnes qui se soulèvent encore sous l'effet de la convergence, sont présentes depuis environ 45 millions d'années. Donc le passé reste pour nous continuellement présent. Le passé ne cesse plus d'exister, il est là, il n'a jamais cessé d'être utile. Comment atteindrions-nous le passé ? Comment extrapoler le présent vers le passé ?

1.3. L'extrapolation du présent vers le passé

Evoquer l’histoire de la terre, d’un séisme, d’une chaîne de montagne ou d’une crise biologique, c’est mettre en avant la question du temps qui s’est écoulé. Nous pouvons nous demander si le temps est dans la réalité des choses ou seulement une idée dans l’esprit de l’homme qui l’observe. Le temps géologique ne nous est accessible que dans la mesure où nous étudions la fossilisation. « C’est dans le présent de la terre que nous cherchons des traces de son passé » (D. Orange, 2003). Les terrains ont gardé des traces non du temps lui-même mais de divers processus géologiques des phénomènes passés entre lesquels nous pouvons établir une relation temporelle. Il s’agit donc d’une reconstruction du temps passé insaisissable directement. . En fait, il n’y a pas une discontinuité entre le passé et le futur. Cette continuité pourrait être le processus qui transforme le futur en présent. Pour cela il n’est pas toujours facile d’extrapoler le présent vers le passé. C’est en raison de cela que notre problématique sur le temps géologique a une importance didactique fondée sur l’analyse épistémologique de l’histoire des sciences.

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