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Dans une perspective didactique, il faut considérer l'idée de "saillance" (qui relève du significatif) comme caractère fondamental du problème. Déstabiliser les conceptions des apprenants par une question serait une partie de la phase de construction d’un problème. Les enseignants qui s’attachent aux manuels scolaires ou à des programmes pour formuler des problèmes ne peuvent comprendre toute la charge épistémologique du problème. C'est en accédant à des questions du type ; qu'est ce que le temps géologique? Qu'est ce qu'une molécule virulente ? Que nous pouvons accéder au caractère de "saillance". Car un problème est une difficulté selon K. Popper (1991) et comprendre un problème consiste à découvrir qu’il y a une difficulté et où gîte la difficulté. Ce qui ne peut se faire qu’en découvrant pourquoi certaines solutions de prime abord ne marchent pas. Identifier la difficulté et/ou trouver une solution est insuffisant pour la construction du problème c’est plutôt critiquer la non efficacité des solutions proposées. Selon Dewey, Pour que l’enfant se rende compte qu’il a affaire à un problème réel, il faut qu’une difficulté lui apparaisse comme étant sa difficulté à lui, comme un obstacle né au cours de son expérience, et qu’il s’agit de surmonter. « quelle que soit la constitution des registres qui se construisent pour répondre à un problème, leur mise en correspondance se doit de dépasser la simple mise en relation pour une véritable problématisation ou mise en tension qui débouche sur des nécessités. Nous reprenons le schéma (C. Orange, 2000) qui tente d’expliciter en quoi consiste la problématisation. Le registre explicatif n’étant pas mentionné ci-dessous.

Chapitre 1 Des conceptions vers la problématisation

Figure 5 : Une représentation de la construction de problème : de la connaissance ordinaire au savoir scientifique (C. Orange, 2002, p.89)

6.1. Exemples de construction du problème en sciences

Prenons l’exemple du voyage avancé souvent par Fabre comme un problème. Imaginez qu’on vous demande de chercher une personne X qui habite à Paris et dont on vous donne uniquement l’adresse. Tous ce que vous allez faire depuis la préparation (argent, billet, ticket, n° de Metro…) peut être considéré comme des conditions de possibilité de réussir à trouver la personne. Et si vous arrivez au domicile de X où vous serez informé qu'il a déménagé, il faut de nouvelles conditions de possibilité pour le retrouver. Un problème mal posé ou un faux

problème échappe à l’explication. Semmelweis (1818-1865), médecin qui œuvra pour l’hygiène, a émis plusieurs hypothèses pour comprendre d’où venaient les fièvres puerpérales qui causaient 13% de la mortalité maternelle et néonatale dans son service. Dans l’autre service dirigé par le professeur Barcht, le taux de mortalité par la même maladie était de 2%. Point final limite Evolution de la construction du problème

Point initial limite

Nécessités sur les modèles et modèles possibles Contraintes empiriques signifiantes (pour le problème) Connaissance ordinaire REGISTRE EMPIRIQUE REGISTRE des MODELES

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Les deux services étaient situés dans le même hôpital et usaient des mêmes techniques. Seul le personnel était différent, des étudiants en médecine avec Semmelweis et des sages-femmes en formation avec Barcht. Face à cette énigme, Semmelweis proposa plusieurs hypothèses réfutées soit par expérience et/ou par observation : une épidémie, une atmosphère putride, régime alimentaire, soins différents ou même la position lors de l’accouchement. La mort de son ami, Jakob Kolletschka, suite à une infection après s’être blessé au cours de la dissection d’un cadavre lui ouvrit les yeux sur le rapport entre la contamination par les cadavres et la fièvre puerpérale. C’était lui et ses étudiants qui apportaient les particules de contamination aux patients. La théorie microbienne n’avait pas encore vu le jour, Semmelweis conclut que c’était une substance cadavérique inconnue qui provoquait la fièvre puerpérale. Le lavage des mains avec une solution d’hypochlorite de calcium avant l’examen des patients fit tomber le taux de mortalité à 2,4. Si le problème était bien posé Semmelweis aurait pu découvrir plus rapidement la solution.

Dans un autre domaine celui de la géologie, loin de la médicine, la grande controverse du dévonien (S. Jay Gould, 1994) surgit suite à une difficulté apparemment mineure rencontrée dans la datation des strates du Devonshire5. Vers 1834, De la Beche prétendait avoir découvert des plantes fossiles à l’intérieur des couches de grewacke. Murchison n’avait jamais vu les roches du Devonshire mais il déclara que De la Beche avait commis une erreur monumentale, car les couches grewacke datent du Silurien alors que la vie sur Terre est postérieure à cette ère donc les plantes fossiles devaient provenir du carbonifère. Le débat était beaucoup plus complexe que cette simplification. Mais la controverse du Dévonien est un exemple d’un débat entre deux points de vue opposés sur l’explication d’un problème scientifique. La résolution finale exige une réinterprétation radicale des données. Les roches du Dévonien n’étaient ni vieilles (datant du Silurien), ni jeunes (datant du carbonifère). La datation grâce aux types de roches a échoué ; le Dévonien devient un nouveau concept fructueux pour la géologie (1840). Sa faune distincte raconte aussi l’histoire de l’une des extinctions massives qui a touché la planète. La question mineure de la datation des strates du Devonshire débouche sur des nécessités qui résolvent d’autres problèmes géologiques.

La construction de problèmes peut être décrite comme l’identification et la mise en tension des deux registres. A partir de ce schéma nous essayons de chercher les justifications des idées des apprenants, d’identifier le référent empirique sur lequel ils s’appuient, de repérer le système des contraintes à respecter. Nous rappelons que notre question principale est de

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savoir comment les apprenants usent du temps géologique dans l’explication de quelques phénomènes naturels. Quelles ont été les préoccupations scientifiques derrière l’apparition de ce concept (ici le temps)clé des sciences de la vie et de la terre ?

6.2. Réflexion sur le registre explicatif

Tel qu’il a été défini par Orange, le registre explicatif est le monde qui donne sens au modèle et permet de le manipuler. La construction et la mise en relation du registre empirique et du registre des modèles se fait dans un cadre de « références explicatives », si on reprend l’expression de Canguilhem. Pour Apostel, ce est qui explicatif, se sont des analyses du prototype qui satisfont à certaines conditions. Les éléments du registre explicatif, quoi que très difficiles à mettre en œuvre, se basent sur l’articulation des contraintes empiriques et des conditions de possibilité. D. Orange et F. Beorchia (2007) insistent sur l’importance des principes structurants qui constituent des cadres pour la construction de problèmes et fondent ainsi des domaines de savoirs scientifiques.

Nous remarquons à travers les exemples ci-dessus que l’activité de construction du problème se base sur l’explicitation des conditions du problème quelle que soit la pertinence de la solution trouvée. Dans le cas du voyage les conditions du problème fonctionnent comme un contrôle du processus, on n’a pas forcément besoin de l’expliciter. Dans le cas controverse du dévonien ou le problème de la fièvre puerpérale, tout le travail porte sur l’explicitation des conditions qui rendent la solution possible. La qualité de la solution dans des situations de classe semble victorieuse s’il s’agit d’une réussite expérimentale par exemple. Mais parfois, ce sont les conditions de la réussite qu’il faut expliciter, où même d’un échec. La surveillance intellectuelle du soi permettrait à l’apprenant de dépasser l’affirmation (assertorique) vers l’élaboration d’un énoncé (apodictique). La pensée de Semmelweis serait dédoublée en assertorique et apodictique. Le Dévonien a été découvert en se basant sur l’affirmation et la démonstration. Aussi rationnelle qu’elle soit, la démonstration à elle seule ne peut accomplir la tâche de la construction d’un problème. Nous nous interrogeons sur les statuts épistémologiques des savoirs solutions (qui relèvent de l’assertorique ?) et des savoirs conditions (qui relèvent de l’apodictique ?). La construction du problème, dans les deux orientations, semble être un outil méthodologique didactique permettant de chercher les justifications des idées des apprenants, d’identifier le référent empirique sur lequel ils s’appuient et de les faire se rapprocher des chercheurs ?

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