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CHAPITRE 3 : THÉORIES PARALLÈLES

VI. La théorie de l’optimalité

VI.2 Modèle théorique

Dans la théorie de l’optimalité, les linguistes partent de l’a priori théorique – inspiré des travaux de Chomsky – qu’il existe une prédisposition génétique du langage chez l’être humain, autrement dit, une grammaire universelle. Cette grammaire universelle consiste en une liste de contraintes – conséquemment universelle, elle aussi – qui ferait partie de la connaissance innée du langage chez l’homme. Toutes les langues utiliseraient cette liste universelle de contraintes (notée CON dans la théorie) mais chaque langue possèderait sa propre hiérarchie des contraintes. Chacune des grammaires retrouvées dans les langues du monde serait donc le résultat d’une hiérarchisation spécifique des contraintes de la grammaire universelle.

Dans la grammaire de chaque langue, certaines contraintes peuvent être transgressées, mais ce processus s’effectue de manière minimale et selon un principe bien précis : toute transgression d’une contrainte doit se faire au profit d’une autre contrainte jouant un rôle plus important dans la hiérarchie des contraintes de la

189 Angl. Optimality Theory.

190 La théorie de l’optimalité a été présentée pour la première fois par Prince et Smolensky dans une communication intitulée « Optimality », lors d’une conférence à l’Université d’Arizona en avril 1991.

191 Notons aussi que la notion d’optimalité avait aussi été utilisée par Jakobson, Fant et Halle ([1952]

1965).

langue. En d’autres termes, la transgression de certaines contraintes non prioritaires192 n’est tolérée que si elle se fait au profit de contraintes plus prioritaires193 :

[…] n’importe quelle contrainte peut être transgressée dans une langue : la possibilité d’une transgression résulte du rang qu’occupe une contrainte dans la hiérarchie d’une langue particulière, et non d’une propriété de la contrainte elle-même. (Archangeli 1997 : 15 ; ma traduction194)

Le but de la théorie de l’optimalité est d’expliciter le choix d’une structure de surface pour une structure jacente donnée. Pour toute représentation sous-jacente, deux fonctions universelles vont entrer en jeu pour sélectionner la représentation de surface optimale : un générateur195 (noté GEN dans la théorie) et un évaluateur196 (noté EVAL dans la théorie). À partir de la structure sous-jacente, GEN crée une liste exhaustive de toutes les structures de surface potentielles, sans aucune restriction. EVAL, quant à lui, fait appel à la hiérarchie des contraintes spécifiques à la langue analysée pour sélectionner le meilleur candidat dans la liste engendrée par GEN. Par conséquent, EVAL agit comme un filtre qui repère le candidat qui satisfait au mieux la hiérarchie des contraintes, en d’autres termes, le candidat optimal :

Il n’y a pas de forme ‘parfaite’ dans un espace […]. Il y a plutôt une grande variété de cibles atteignables correspondant aux divers classements des contraintes qui définissent cet espace : optimalité plutôt que perfection. (Mc Carthy et Prince 1994 : 363 ; ma traduction197)

En d’autres termes, le candidat parfait serait celui qui respecterait toutes les contraintes universelles. Cela n’arrive que très rarement. C’est pourquoi EVAL va sélectionner le candidat optimal (et non parfait), c’est-à-dire celui qui ne transgresse que des contraintes non prioritaires dans la hiérarchie spécifique de la langue.

192 Angl. Lower-ranked constraints.

193 Angl. Higher-ranked constraints.

194 […] any constraint may end up being violated in some language: the potential for being violated is a result of the position of a constraint in a particular language’s hierarchy, rather than a property of the constraint itself.

195 Angl. Generator.

196 Angl. Evaluator.

197 There is no ‘perfect’ form in a space […]. Instead, there’s a variety of attainable targets, corresponding to the various rankings of the constraints that define this space: optimality, rather than perfection.

Archangeli (1999) propose un schéma très explicite pour résumer les mécanismes de la théorie de l’optimalité :

Figure 16 : « A schematic grammar at work » (Archangeli 1999 : 534)

Ainsi, à partir de la grammaire d’une langue, la théorie de l’optimalité peut prévoir quel candidat sera optimal et donc choisi pour une entrée donnée.

Inversement, pour construire la grammaire d’une langue, il suffit d’identifier sa hiérarchisation des contraintes universelles à partir de ses candidats optimaux. Pour cela, l’outil utilisé est le tableau de contraintes qui se présente ainsi :

CON

Candidats Contrainte A Contrainte B

+Candidat 1 *

Candidat 2 !*

Ce tableau de contraintes se lit de la manière suivante : soit un élément d’une structure sous-jacente pour laquelle GEN engendre deux candidats potentiels pour la structure de surface correspondante (candidat 1 et candidat 2). Le candidat 1 est précédé du symbole +, ce qui signifie qu’il est optimal. Le symbole

*

représente une transgression de la contrainte. Le candidat 1 transgresse donc la contrainte B mais respecte la contrainte A. Le candidat B quant à lui transgresse la contrainte A ; transgression qui est rédhibitoire (signalée par le symbole !) et qui le rend non optimal. À partir de ces observations, nous pouvons donc conclure que dans la

grammaire de cette langue, la contrainte A est prioritaire sur la contrainte B et qu’elle occupe donc un rang plus important dans la hiérarchie des contraintes universelles. Bien sûr le tableau donné ici en exemple a une valeur illustrative et les données réelles sont bien plus complexes : il peut y avoir plus de candidats engendrés par GEN, les contraintes sont plus nombreuses, une même contrainte peut être transgressée plusieurs fois, etc.

Il existe deux grandes « familles » de contraintes universelles : les contraintes de fidélité198 (aussi appelées « contraintes de correspondance ») et les contraintes de marque199. Les contraintes de fidélité imposent une grande similitude entre l’élément de la représentation sous-jacente et l’élément de la représentation de surface. En d’autres termes, chaque élément de la structure profonde doit avoir un élément correspondant dans la structure de surface, et inversement, chaque élément de la structure de surface doit correspondre à un élément de la structure profonde. Si les contraintes de fidélité sont toutes respectées, alors la forme de surface est totalement identique à la forme sous-jacente (ce qui n’est pas toujours le cas et ce qui démontre, par conséquent, que les contraintes sont bel et bien transgressables et souvent transgressées).

Les contraintes de marque, quant à elles, privilégient la formation d’éléments non marqués ou proscrivent la formation d’éléments marqués. Ces contraintes ne s’appliquent qu’au niveau de surface et ne concernent pas le niveau sous-jacent. Les contraintes de marque, dans ce cas, sont exclusivement utilisées par l’évaluateur de la langue lors de sa sélection du candidat optimal dans la liste des candidats potentiels créée par le générateur. Les contraintes de marque consisteraient à privilégier les candidats qui présenteraient une économie (conceptuelle et/ou physiologique) dans le traitement du codage et du décodage de l’information.