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I. Notions fondamentales

I.2 Axes paradigmatique et syntagmatique

La comparaison entre les éléments des sous-systèmes de deuxième niveau, c’est-à-dire des mêmes composantes de la langue, peut se faire sur deux axes : l’axe

102 Voir « Partie 1, Chapitre 4, III.2 Enjeux de notre modélisation ».

103 A linguist has a legitimate interest not only in the description of the structure of an item of a language, but also in the comparison of the structure of this item with that of other items. In pursuing this interest he will discover that some items can be fruitfully compared and that frequently it can be said that one item has a higher degree of complexity than another one. This higher degree of complexity can be usefully referred to by the term markedness.

syntagmatique et l’axe paradigmatique (voir, par exemple, Martinet [1960] 1980 : 27).

Le premier axe, l’axe syntagmatique, mène à la comparaison des éléments in praesentia dans la chaîne parlée. Dans le discours, les unités linguistiques coexistent, se succèdent de façon plus ou moins ordonnée et entretiennent des rapports ; elles sont dépendantes les unes des autres. L’étude des éléments présents et des rapports qu’ils entretiennent du point de vue de ces arrangements, de ces combinaisons, se fait sur l’axe syntagmatique. Cet axe est « l’axe horizontal », celui où les éléments présents peuvent être mis en contraste les uns avec les autres. Les éléments qui entretiennent des relations contrastives sur l’axe syntagmatique forment des structures.

Le second axe, l’axe paradigmatique, mène à la comparaison des éléments in absentia dans la chaîne parlée. En d’autres termes, c’est sur cet axe, « l’axe vertical », que l’on retrouve les unités qui peuvent commuter dans un contexte précis et qui s’excluent donc mutuellement dans ce contexte. Dans un environnement donné, les éléments sélectionnés s’opposent aux éléments qui auraient pu être sélectionnés à leur place. Les éléments qui entretiennent des relations oppositives sur l’axe paradigmatique forment des classes.

Jakobson et Halle (1956) insistent sur la distinction qui doit être faite entre les deux termes fondamentaux – « opposition » et « contraste »104 – qui caractérisent le principe de polarité. Comme nous venons de le voir, le terme « contraste » doit être réservé à l’expression d’une divergence perçue sur l’axe syntagmatique entre deux éléments contigus. Par exemple, dans l’enchaînement /pi/, il existe un contraste, entre autres, entre le caractère grave du phonème /p/ et le caractère aigu du phonème /i/ qui le suit. Le terme

« opposition », quant à lui, devra être réservé à la description de deux éléments qui, dans un message, peuvent être substitués l’un à l’autre sur l’axe paradigmatique.

En ce qui concerne la mesure de la complexité phonétique, Jakobson insiste tout particulièrement – suivant ces définitions – sur la notion d’« opposition » :

Nous identifions les phonèmes d’une langue donnée en les décomposant en leurs caractères phonologiques constitutifs, c’est-à-dire que nous établissons pour chaque phonème quelles qualités l’opposent aux autres phonèmes du système en question. (Jakobson 1973 : 123 ; mon emphase)

104 Voir aussi, par exemple, Martinet ([1960] 1980 : 27).

Lors de son analyse et de sa classification des phonèmes, Jakobson vise à aboutir à des caractéristiques phoniques « nettement et uniquement oppositives, relatives et négatives », termes qu’il emprunte à Saussure (cité dans Jakobson 1973 : 139). Par conséquent, une production phonique différentielle, en tant que telle, n’existe que grâce à l’existence d’une ou plusieurs autres entités phoniques auxquelles elle s’oppose. Un phonème a une fonction distinctive se caractérisant par une ou plusieurs propriétés qui le différencient et, par conséquent, l’opposent aux autres phonèmes.

Jakobson insiste donc sur les relations oppositives des éléments lors de son étude sur la théorie de la marque. Cependant, Greenberg (1966) sous-entend que l’analyse de la complexité peut se faire autant sur l’axe syntagmatique que sur l’axe paradigmatique :

Ainsi la réponse à l’objection que la ‘facilité’ de l’articulation, une expression que l’on évite ici, mais à laquelle on peut donner un contenu objectif, devrait constamment produire des systèmes phonologiques plus simples dans l’évolution du langage est qu’il y a deux types de ‘facilité’ : la facilité paradigmatique, qui favorise la simplification par la perte des traits articulatoires additionnels indépendamment du contexte, et la facilité syntagmatique, qui favorise la genèse de nouvelles modifications assimilatoires conditionnées par l’environnement phonétique et donne donc lieu à des articulations qui, prises isolément, sont plus complexes. (Greenberg 1966 : 64 ; ma traduction105)

Nous nous placerons davantage du côté de Greenberg dans notre analyse de la complexité. Reprenons l’exemple de mouse ~ mice (« souris » au singulier ~

« souris » au pluriel) en anglais. Nous avons précédemment106 vu que quatre stades antérieurs au Grand Changement Vocalique107 ont mené à ces formes :

105 Thus the answer to the objection that ‘ease’ of articulation, an expression which is avoided here, but which can be given objective content should produce constantly simpler phonologic systems in the evolution of language is that there are two kinds of ‘ease,’ paradigmatic which favors simplification by loss of additional articulatory features regardless of context and syntagmatic which favors the genesis of new assimilatory modifications conditioned by the phonetic environment and so gives rise to articulations which taken in isolation are more complex.

106 Voir « Partie 1, Chapitre 1, IV.4 Critique d’une application récente en phonologie (de Lacy 2002, 2006) ».

107 Voir « Partie 2, Chapitre 2, IV.1 Phonologie ».

Singulier Pluriel Stade 1 /mu:s/ /mu:si/

Stade 2 /mu:s/ /my:si/

Stade 3 /mu:s/ /my:s/

Stade 4 /mu:s/ /mi:s/

Au stade 1, dans /mu:si/, la voyelle de la première syllabe (/u:/) est postérieure et arrondie, alors que la voyelle de la seconde syllabe (/i/) est antérieure et non arrondie. L’enchaînement des voyelles n’est donc pas optimal à ce stade. Par conséquent, au stade 2, la voyelle de la première syllabe est remplacée par son équivalent antérieur, c’est-à-dire la voyelle antérieure arrondie /y:/. Comme nous le verrons108, les voyelles antérieures arrondies sont marquées intrinsèquement.

Au stade 2, /y:/ est donc marqué sur l’axe paradigmatique, mais non marqué sur l’axe syntagmatique (autrement dit, tant que le /i/ final subsiste). Cependant, au stade 2, le pluriel étant marqué par une double flexion (une flexion interne et une flexion externe), le /i/ final non accentué est naturellement supprimé, et on aboutit donc au stade 3. À ce stade, la voyelle /y:/, qui présente une complexité absolue et qui est donc marquée sur l’axe paradigmatique, n’a plus de raison de subsister sur l’axe syntagmatique. C’est pourquoi, au stade 4, elle est remplacée par son équivalent non marqué (la voyelle antérieure non arrondie /i:/).

Sur l’axe paradigmatique, la complexité résulte des traits intrinsèques de l’élément alors que sur l’axe syntagmatique, la complexité résulte de l’enchaînement non optimal des éléments. C’est de la simplification syntagmatique que naissent, par exemple, les phonèmes secondaires, ou qu’apparaissent des phonèmes qui, sur le plan paradigmatique, sont complexes. L’exemple de mouse ~ mice montre deux choses : tout d’abord, qu’il est important de prendre en compte les deux axes du langage dans une analyse de la complexité, et ensuite qu’un élément peut être marqué sur un axe mais non marqué sur l’autre axe.

Une définition de la théorie de la marque censée fournir une base exploitable dans l’analyse linguistique et rendre compte des différents types de données du langage qui ne peuvent être expliquées autrement, doit être basée sur une asymétrie qui se manifeste soit sur l’axe syntagmatique, soit sur l’axe paradigmatique. (Gvozdanović 1989 : 59 ; ma traduction109)

108 Voir « Partie 2, Chapitre 2, IV.1 Phonologie ».

109 A definition of markedness which can be assumed to provide a workable basis for linguistic analysis, and account for various sorts of language data which cannot be accounted for otherwise,