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3-1- Présentation du modèle initial, Buxbaum (2001)

Buxbaum (2001) réalise une revue de question sur l’apraxie qui l’emmène vers un modèle actualisé de l’apraxie idéomotrice. Selon elle, la définition classique de l’apraxie idéomotrice comme un désordre des habiletés motrices apprises doit être révisée.

Partant d’une synthèse des modèles de Roy et Square (1985) et de Rothi et al. (1991, 1997a) attribuant l’existence de l’apraxie idéatoire à des dommages du système conceptuel et l’apraxie idéomotrice à des dommages du système de production responsable des processus spatio-moteurs, elle formule et examine un certain nombre de questions restant en suspend à propos des qualités diagnostiques et des rapports entre les tâches utilisées dans l’examen de l’apraxie. Ainsi, elle relève que la pertinence des tâches de reconnaissance et d’imitation pour distinguer l’apraxie idéomotrice et l’apraxie idéatoire n’est pas claire, tout comme les relations entre les tâches de pantomime, d’utilisation d’objets isolés et d’utilisation d’objets multiples. De même, elle montre que distinguer plusieurs types d’erreur pour singulariser différents processus cognitifs sous-jacents n’est pas très fiable. La question des connaissances sur les objets et leurs relations avec les engrammes gestuels est également abordée avec celle du rôle de la résolution de problèmes mécaniques. Enfin, elle questionne les capacités d’une voie directe et l’impact de l’apraxie idéomotrice sur les activités de vie quotidienne. Toutes ces questions nous intéressent particulièrement, surtout lorsqu’elles abordent l’apraxie idéatoire que Buxbaum (2001) propose de ne pas conserver comme un syndrome neuropsychologique spécifique mais comme un pattern de performance restreint à l’échec dans l’utilisation d’objets multiples. Ensuite, Buxbaum (2001) décrit les propriétés du système d’action spatio-moteur dorsal dont la conception d’un système "où" de traitement visuel, issue des travaux de Ungerleider et Mishkin (1982) est révisée par Milner et Goodale (1995) sous forme d’un système "comment" qui s’oppose à un réseau ventral sous-tendant le système "quoi". Pour elle, ce système "comment" permet des calculs dynamiques des parties du corps les unes envers les autres, le codage égocentrique intrinsèque, ainsi que vers les objets de l’environnement, le codage égocentrique extrinsèque. Ces calculs sont essentiels pour l’exécution de gestes familiers et nouveaux et pour tout les mouvements du corps dans l’espace, particulièrement lorsqu’il n’y a pas d’information environnementale ou mémorielle

disponibles comme dans les pantomimes ou les gestes non-significatifs. Buxbaum (2001) attribue ce système dynamique au bon fonctionnement du lobe pariétal supérieur gauche, là où se trouvent les lésions responsables de l’apraxie idéomotrice. De plus, pour elle, les différentes propriétés de ce système peuvent rendre compte de nombreux aspects de l’apraxie idéomotrice. A ce système dynamique dorsal, Buxbaum (2001) ajoute un système praxique central qui est l’actualisation de la notion d’engramme gestuel codant la forme spatio- temporelle du mouvement. Selon elle, les engrammes existent à la confluence des systèmes ventral et dorsal. Ils contiennent des caractéristiques mnésiques et représentationnelles qui sont elles-mêmes dépendantes de processus dynamiques spatio-moteurs. Elles sont aussi la base de connaissances sémantiques sur la manière d’utiliser les objets, distinctes des connaissances déclaratives sur la fonction des objets que l’on retrouve au niveau du système ventral.

À partir de ces différents systèmes, elle décrit deux types d’apraxies idéomotrices qui rappellent la distinction de Heilman et al. (1982) :

- D’une part, une apraxie dynamique, par lésion du lobe pariétal supérieur gauche (système dorsal), avec des troubles particulièrement présents dans les pantomimes, l’imitation de postures non significatives ou l’appariement de gestes liés à l’altération du système dorsal. Les troubles peuvent être augmentés par une suppression du contrôle visuel et corrigés par une mise en main de l’objet. C’est l’apraxie idéomotrice de dysconnexion de Heilman et al. (1982). Cela se superpose aussi avec les notions d’apraxie idéo-kinétique et motrice de Liepmann. Pour Buxbaum (2001), un exemple d’apraxie dynamique se retrouve dans les symptômes de la Dégénérescence Cortico-Basal qui, pourtant, s’exprime initialement de façon asymétrique. Buxbaum (2001) classe là aussi les patients de Goldenberg (1995) présentant des difficultés avec les imitations de postures sur soi et sur un mannequin.

- D’autre part, en lien avec des lésions de la jonction temporo-pariéto-occipitale gauche (système praxique central, BA 39, 40), une apraxie représentationnelle avec des troubles d’utilisation d’objets isolés, de reconnaissance d’utilisation, de réalisation de gestes significatifs liés à une difficulté d’accès aux représentations gestuelles, aux engrammes gestuels. C’est l’apraxie idéomotrice postérieure de Heilman et al. (1982) et l’apraxie idéatoire de Liepmann.

- Enfin, une apraxie ventrale est également évoquée avec des troubles des connaissances sémantiques fonctionnelles comme dans la démence sémantique ou l’encéphalite herpétique (Hodges et al., 2000) qui affectent particulièrement le lobe temporal externe.

Buxbaum précise que le système dynamique et le système central agissent de façon interactive et que certaines tâches peuvent être altérées pour de multiples raisons, il est ainsi difficile d’identifier des apraxies "pures", il y a de nombreux patterns d’association et de dissociation d’aptitudes praxiques particulières. A ce stade, il est donc nécessaire, comme pour l’aphasie, de privilégier les études de cas plutôt que les études de groupes. De plus, la manière la plus appropriée pour examiner les patients n’est pas de distinguer différents types d’erreurs mais de proposer une batterie de tâches construites pour mettre en évidence le fonctionnement des systèmes ventral et dorsal et des engrammes gestuels : production et imitation de gestes transitifs et intransitifs, signifiants ou non, sur consigne verbale et sur imitation, rotation mentale, pointage, saisie d’objets, connaissances fonctionnelles, connaissances de manipulation, utilisation d’objets multiples, observation du quotidien.

Figure II-4. Modèle actualisé de l’apraxie, d’après Buxbaum (2001).

Programme moteur Codage égocentrique extrinsèque Codage égocentrique intrinsèque

Système central des praxies Portion stockée de la représentation du geste (engramme) Système ventral Représentation lexico - sémantique Entrée auditive Entrée visuelles ou somatosensorielles Système Dorsal Portion dynamique de la représentation du geste

3-2- Les apports expérimentaux et conceptuels

Au niveau expérimental, Buxbaum et al. (2007) montrent des dissociations de performances entre des patients avec des lésions pariétales inférieurs gauches, par accident vasculaire, et des patients avec des lésions fronto-pariétales supérieures en lien avec une Dégénérescence Cortico-Basale. Les premiers sont plus gênés pour l’imitation de gestes transitifs de pantomimes d’utilisation d’objets, manifestant des erreurs de postures de la main alors que les seconds sont plus déficitaires pour l’imitation de gestes intransitifs et l’ajustement temporo-spatial des gestes. Binkofski et Buxbaum (in press) insistent, à partir de travaux de neuro-imagerie et de neuro-anatomie (voir Rizzolatti et Mattelli, 2003), sur l’idée d’une division en deux voies du système dorsal. D’après ce point de vue, deux voies traitent le même type d’informations visuelles mais avec des objectifs comportementaux différents, notamment pour l’interaction avec les objets :

- Une voie "saisir", dorso-dorsale, passant par le lobe pariétal supérieur pour le contrôle immédiat, "on-line", de l’action. C’est la voie la plus rapide de traitement visuel pour l’action, elle permet d’atteindre, de diriger les mouvements vers les objets pour les saisir en fonction de leur caractéristique propres : forme, taille, orientation. Un déficit de cette voie cause une ataxie optique. Cette voie est bilatérale, les troubles peuvent s’exprimer de manière unilatérale ou bilatérale.

- Une voie "utiliser", ventro-dorsale, passant par le lobe pariétal inférieur. Cette voie sous-tend le traitement d’informations sensori-motrices basées sur des représentations, des connaissances sur l’utilisation d’objets familiers. Les déficits sont donc plus "cognitifs" intéressant le champ de l’apraxie : pantomimes d’utilisation d’objets, utilisation réelle d’objets (isolés) et reconnaissance de gestes d’utilisation. D’après les auteurs, cette voie peut également permettre l’utilisation alternative d’objets et la réalisation d’inférences de fonctions par la structure des objets permettant la résolution de problèmes mécaniques (Goldenberg et Hagmann, 1995). Cette voie est unilatérale hémisphérique gauche.

Par ailleurs, Binkofski et Buxbaum (in press) discutent le rapport entre ce modèle d’un système dorsal à deux voies et la notion d’affordances de Gibson (1979), dont nous

reparlerons. Pour eux, saisir des objets pour les utiliser nécessite l’intégration des affordances émergeant des objets mais également des connaissances conceptuelles. Cela est similaire au concept d’affordances stables (Borghi et Riggio, 2009) qui peuvent être stockées en mémoire.

En s’appuyant sur des données récentes, cette conception permet de conceptualiser des distinctions classiquement décrites dans la neurologie de la première moitié du XXème siècle comme celle entre ataxie et apraxie. Cette modélisation n’est pas sans rappeler les propositions de Goldenberg (1997), même si le mode d’entrée se fait par le traitement visuel de l’information pour l’action plutôt que par celle du schéma corporel. Enfin, même si le lien entre des représentations gestuelles assez prototypiques et des capacités de résolution de problèmes mécaniques ou d’utilisation alternative d’objets ne nous semble pas évident, il nous paraît intéressant de garder l’idée d’une distinction entre des processus d’action immédiats et des processus plus cognitifs opérant de manière plus médiatisée.

CONCLUSION

L’intérêt majeur des modèles cognitifs tels que celui de Roy (1996) ou encore de Rothi et al. (1991, 1997a) est de rompre avec les trois formes classiques d’apraxies décrites par Liepmann dont nous avons discuté la faible valeur heuristique pour la compréhension des troubles d’utilisation d’objets. En mettant l’accent sur la prévision de profils de performances en fonction de l’altération de différents types de modules de traitement, ces modèles permettent également de rendre compte des différentes étapes nécessaires à la réalisation d’un acte volontaire. Toutefois, l’écart avec les conceptions de Liepmann et ses successeurs n’est finalement pas très important. La dichotomie exécution-idéation s’est transformée sous les termes de production-conception et les formules du mouvement se retrouvent dans les notions d’engrammes gestuels et de système sémantique d’action. La validation difficile des profils comportementaux prévus confirme l’obstacle épistémologique qu’instaure cette dichotomie. Il ressort, en effet, des travaux que nous avons examinés (Cubelli et al., 2000 ; Stamenova et al. 2012) que les tentatives de validation des modèles aboutissent généralement à un problème scientifique qui consiste à envisager des hypothèses explicatives a posteriori menant vers la création de nouveaux modules de traitement ou au fractionnement de modules existants. Ce problème est inhérent à la qualité sérielle des modèles modulaires dont les différentes composantes ne se définissent pas mutuellement les unes par rapports aux autres et peuvent

être ajoutés indéfiniment. De fait, les tentatives d’analyse qualitative des erreurs se heurtent au manque de capacité discriminative de la dichotomie conception-production et rien ne permet jamais d’assurer qu’une erreur observée soit le fruit de l’un ou de l’autre système.

De plus, en s’écartant des acquis de l’approche anatomo-clinique, ces modèles semblent confondre les différents troubles praxiques d’expression bilatérale et unilatérale, ce qui contribue aux difficultés de descriptions des erreurs notamment dans les aspects de production renvoyant aux engrammes gestuels ou aux patterns innervatoires. Ainsi, ces modèles ne sont pas réellement plus explicatifs et ils vont même jusqu’à introduire plus de confusions avec la notion de "upper limb apraxia".Buxbaum (2001 ; voir également Peigneux et al., 2004) propose une approche plus mixte qui revient vers un souci de validation anatomo-clinique. Mais, malgré la présence d’une voie de traitement et d’ajustement immédiat, en situation, de certains paramètres, cela reste un modèle très "mnésique" dans lequel l’utilisation d’objets n’est réellement possible que par l’intermédiaire de représentations, sensori-motrices, ou déclaratives, stockées, qui laissent peu de place aux situations qui n’ont pas déjà été expérimentées par l’individu.

En outre, les trois modèles principaux décortiquent de façon très détaillée les tâches d’imitation ou de pantomimes mais abordent finalement assez peu la question de l’utilisation des objets qui reste, dans leurs conceptions, incidente de la capacité à produire du geste en réponse à l’environnement via une reconnaissance de l’objet. En dehors d’un rapport à des connaissances déclaratives, le rapport des objets entre eux, ce qui motive leur sélection, n’est pas vraiment abordé ni même ce que l’objet motive chez l’individu. Pourtant dès la fin du XIXème siècle le lien entre la manipulation des objets avec les objectifs de l’action, son but, est présent chez des auteurs comme Steinthal, Pick et même Liepmann. Dans ses formules du mouvement, qui rappelons-le ne sont pas des contenus stockés mais émergent de l’activité de larges régions cérébrales, Liepmann considère l’aspect temporel de l’action, le rapport à un objectif. D’une certaine manière, les modèles cognitifs ont donc dénaturés les formules du mouvement sans réellement les dépasser et le concept d’apraxie idéatoire reste disponible à de nouvelles investigations. La question de la nature des capacités humaines d’utilisation d’objets et de leur détérioration pathologique reste ouverte.