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UNE RUPTURE ÉPISTÉMOLOGIQUE

2- Aborder différemment la clinique neuropsychologique

Au sujet du conditionnement cortical des facultés humaines, nous présenterons d’abord les propositions de Sabouraud (1995, 2000, 2004) sur un fonctionnement cérébral construit sur trois étages et le concept de bipolarité de l’hémisphère gauche. Ensuite, nous exposerons, à juste titre, quelques éléments de la clinique aphasiologique à travers la glossologie issue de la TDM. A juste titre car, d’une part, c’est bien dans l’aphasiologie du XIXème siècle que la neuropsychologie clinique prend son origine, ses méthodes et ses modèles, et l’analyse des troubles d’utilisation d’objets, à travers l’apraxie idéatoire, conserve, comme nous l’avons vu, des questions en rapport avec le langage. D’autre part, c’est par analogie avec la glossologie que peut se développer une ergologie clinique (Le Gall, 1998). Enfin, nous terminerons cette partie en montrant que le Signe n’épuise pas tout le langage puisque certaines manifestations pathologiques, en clinique neuropsychologique, ressortent de troubles de la médiation sociale de la Personne, aussi responsable de difficultés mnésiques ou de l’organisation de l’activité.

2-1- Les trois étages cérébraux et la bipolarité de l’hémisphère gauche.

À l’instar des neurosciences, Sabouraud (1995, 2000, 2004), considère possible de penser le cerveau comme une machine, mais il relativise la métaphore de l’ordinateur. Pour lui, le cerveau humain est, certes, une machine, mais capable de traiter de l’immatériel. A partir de ses propriétés physiologiques, de l’organisation des neurones et de leurs connexions, le cerveau humain est capable de fabriquer : « de l’abstrait, de l’imaginaire, des machines,

des échelles de valeurs. » (Sabouraud, 2004, p. 8). Dans sa conception, la particularité du

cerveau humain est son organisation générale selon une architecture à trois étages, et non sur deux comme le cerveau animal, et l’organisation spécifique, bipolaire de l’hémisphère gauche. Dans la volonté de proposer une organisation du fonctionnement cérébral, ces propositions ne sont pas sans rappeler celles de Mac Lean (1970), Luria (1973), ou encore Mesulam (1995). Cependant, ces propositions ne doivent pas être confondues car la formulation de Sabouraud suggère spécifiquement les conditions pour penser une rupture par rapport à l’animalité.

Le premier niveau est celui d’un étage câblé reposant sur des connexions nerveuses obligées, organisées (comme des circuits) entre des populations neuronales, selon un plan complètement déterminé génétiquement. Sabouraud (2004) place là les réflexes et boucles de la moëlle épinière, les boucles du tronc cérébral et les boucles corticales responsables des comportements d'espèces comme la marche, l’orientation automatique du regard, la déglutition, la parade sexuelle … A cet étage, les réponses aux stimuli se situent dans un inventaire limité. Parmi ces boucles automatiques, Sabouraud (2004) accorde une grande importance aux réponses corporelles neuro-végétatives qui constituent "l’émotion physiologique".

Le deuxième étage est celui de l’auto-programmation qui consiste à configurer chaque cerveau de façon différente, avec des limites et des variations assez larges concernant les connexions qui sont établies de façon stable mais toujours transformable. Le fonctionnement de cet étage n'emprunte pas systématiquement les voies de groupes de neurones déjà constitués et rend possible, par improvisation, la diversification et la nouveauté. Cette auto- programmation est une propriété essentielle du cerveau animal et humain et c’est une première différence avec le fonctionnement des ordinateurs actuels. Pour Sabouraud (2004) cet étage trouve une théorisation possible dans les travaux d’Edelman et Tononi (2000). Par des mécanismes de mémorisation, de comparaison, de l’organisation de populations neuronales et de leur mise en compétition, l’auto-programmation permet de distinguer du "même" et du "différent", elle permet de constituer des Gestalts comme la permanence de l'objet, les habitudes gestuelles ou encore les régulations émotionnelles liées à "l’état central fluctuant" (Vincent, 1986). Synthétiquement : « le développement fonctionnel de l’étage auto-

programmé conduit-il à la construction d’un monde somato-centré, et d’un sujet autonome, centre d’activité perceptivo-gestuelle. » (Sabouraud 2004, p. 13). Concernant l’action et la

perception, nous ne sommes pas loin du concept d’affordance.

Le troisième étage est véritablement celui de la rupture, celui des systèmes culturels, où l’analyse dialectique médiatise structuralement par le Signe, l’Outil, la Personne et la Norme, les fonctions naturelles. C’est à cet étage que se trouve la particularité du cerveau humain dont la bipolarité de l’hémisphère gauche permet, en plus d’une analyse bifaciale, une analyse biaxiale, taxinomique et générative dont la projection réciproque et simultanée du produit de chacune sur l’autre permet le décollage de l’expérience perceptivo-motrice,

l’émergence à l’abstrait, la formalisation incorporée. La clinique aphasiologique distinguant deux grands types d’aphasie, celle frontale de Broca et celle, temporale de Wernicke amène Sabouraud (1995, 2004) à proposer que la taxinomie est le produit du fonctionnement des aires postérieures, rétro-rolandiques, et la générativité celui des aires frontales. Cela permet de penser une collaboration et une interaction de l’ensemble des aires du cerveau qui dépasse l’hégémonie des fonctions du lobe frontal suggérée par des modèles hiérarchiques.

Pour aborder plus précisément les mécanismes inhérents à la bipolarité, la taxinomie est un axe qualitatif qui permet, par différenciation, de catégoriser les éléments de notre univers en identités formelles oppositionnelles. Elle est simultanément créatrice d’éléments identiques et de différents. La générativité est un axe quantitatif qui permet, par segmentation, d’ordonner les éléments de notre univers en unités formelles contrastives. Elle est simultanément créatrice d’éléments uniques et pluriels. En référence à la notion de valeur de De Saussure cela signifie qu’un élément formel, un mot ou un phonème, par exemple, sont, relativement, tout ce que les autres ne sont pas ; ils se définissent négativement dans des cadres de variation. Les deux types d’analyse opèrent sur chaque face du Signe, de l’Outil ou encore de la Personne mais comme les faces, les identités et les unités qui en résultent sont spécifiques pour chaque plan (voir tableau V-2). Enfin, il n’est pas possible de comprendre le fonctionnement structural sans aborder les concepts de similarité et de complémentarité issus de la projection des axes l’un sur l’autre. La projection de l’axe taxinomique sur l’axe génératif impose le règne de l’identique sur le pluriel. L’identité d’un même choix intègre des éléments, alors complémentaires, dans une unité de nouvel ordre solidarisée par de l’unité partielle. Cette intégration autour de l'unité partielle réduit les combinaisons possibles par la présence d'un élément dans l'autre et vice-versa. Dans l’autre sens, la projection de l’axe génératif sur l’axe taxinomique impose le règne de l’un sur le différent et reclasse, catégorise, la diversité à partir de l’unité. Cette inclusion crée de la similarité, de l’identité partielle en réduisant les différences (voir Gagnepain, 1990 ; Jongen, 1993).

Après cette présentation très théorique des mécanismes inhérents à la rationalité humaine, il est maintenant temps de les illustrer plus concrètement en abordant la dialectique logico-réthorique et les profils d’aphasies qui y sont associés.

2-2- Eléments de Glossologie

Au-delà de la symbolisation, de la représentation perceptive naturelle, le langage permet à l’homme d’élaborer à propos du monde des conceptions explicatives, une causalité. C’est le mode acculturé de la compréhension conceptuelle permise par la dialectique grammatico-réthorique du Signe (voir figure V-1).

Figure V-1. Schéma illustratif du système du Signe (Gagnepain, 1990).

De l’analyse réciproque du son et du sens émergent les deux faces du signe. Le signifié est l’analyse du sens, il ressort de la sémiologie. Le signifiant est l’analyse du son, il ressort de la phonologie. Au niveau sémiologique, l’analyse taxinomique du sens définit des sèmes et son analyse générative définit des mots. Au niveau phonologique, Gagnepain (1990) parle respectivement de traits pertinents et de phonèmes. La signification est le fait qu'un mot ne se réduit jamais à aucun des inventaires restreints dans lesquels nous l'employons. En toute langue tout peut toujours se dire autrement.

Par ailleurs, les deux faces du Signe se justifient mutuellement. La pertinence est le critère d’analyse du son, l’aptitude de certains éléments phonatoires à analyser du sens en fonctions sémiologiques. En français, la différence entre une consonne voisée, sonore, et non

voisée, sourde, est phonologique car elle contribue à la différence signifiée de mots : "don" n'est pas "ton". Par contre, aucune frontière structurale n’analyse en valeurs oppositives ou contrastives phonologiques la longueur vocalique, la hauteur ou l’intensité du son qui reste sans pertinence sémiologique (voir Jongen, 1993, p. 75). Réciproquement la dénotation est le critère d’analyse du sens, l’aptitude de certains éléments de sens à analyser des sons comme marques phonologiques. Le français signifie du pluriel ou du singulier, de l’article (ni démonstratif ni personnel) défini ou indéfini, du masculin ou du féminin… Chacune de ces fonctions sémiologiques n'existe que dans la mesure où une marque phonologique la justifie. Ainsi le critère d'existence d'un pluriel signifié est sa dénotation par une marque phonologique : à "le" (ou la) s'oppose "les", à "un" s'oppose "des", à "chev-al" s'oppose "chev- aux". Mais, contrairement à d’autres langues, en français, aucune marque phonologique ne justifie une signification duelle, un est différent de deux, qui serait différente du pluriel. Ce signifié duel que l’on retrouve marqué dans d’autres langues est, en français, sans dénotation phonologique.

Concernant la projection des axes l’un sur l’autre, le syntagme est un ensemble de mots liés entre eux par un rapport de complémentarité fondé sur une unité partielle. Pour le dire autrement, la projection d’un même choix de sens, comme "masculin" et "singulier", sur des mots simultanément contrastés par l’analyse formelle générative, rend ces mots formellement solidaires l’un de l’autre. Dans l’exemple : "le-garçon // le-ballon // il-l’-a-vol- é" il y a trois mots contrastés, deux nominaux et un verbal plutôt juxtaposés que formellement intégrés, alors que dans : "le-garçon = = a-vol-é = = le-ballon", les trois mots sont intégrés dans deux rapports syntaxiques, sujet-verbe : "le-garçon = = l’-a-vol-é" et verbe-complément d’objet direct "il-a-vol-é = = le-ballon" Jongen (1993). Une même identité de sens s’impose sur une pluralité de mots et devient donc une unité partielle. Inversement, la projection de l’analyse générative sur l’analyse taxinomique créée du paradigme. C’est le reclassement de différences sémiologiques en de l'identité catégorielle par un rapport de similarité fondé sur une identité partielle qui permet le changement partiel de sens sans ajout de texte. Toujours chez Jongen (1993) : autour de l’identité partielle "chant", il est possible de dériver "il-chant- ai-t", "je-chant-ai-s" ou encore "le-chant-eur". Cette projection des axes n’est pas seulement sémiologique, elle se retrouve également au niveau phonologique dans la concaténation, équivalent du syntagme et la corrélation, équivalent du paradigme (Gagnepain, 1990). L’altération sélective de ces différents mécanismes est responsable de différents types

d’aphasies.

En fonction de la biaxialité et de la bifacialité, les aphasies sont dites taxinomiques ou génératives, phonologiques ou sémiologiques. Structuralement, l’expression des troubles manifeste la perte de cette analyse mais également l’exagération de l’analyse restante. Pour Gagnepain (1990, p. 15), « l’intersection des deux capacités (taxinomique et générative) en

lesquelles pathologiquement se résout la grammaire permet de montrer comment dans le jargon, et pour s’en tenir au signifié, la paradigmatique aboutit, en l’absence de traitement lexical, à fléchir le vocabulaire tandis que la syntaxe, en l’absence de traitement textuel de la phrase, pousse la redondance jusqu’à la stéréotypie. L'aphasique de Wernicke tendra à bavarder beaucoup pour essayer de tomber sur le bon choix. Inversement, un aphasique de Broca qui, lui, ne peut plus quitter le bon choix parce qu'il ne peut plus segmenter des unités, aura tendance à répéter ce choix indéfiniment. ». Les aphasies taxinomiques concernent

globalement, l’aphasie de Wernicke et l’aphasie de conduction. Les aphasies génératives regroupent l’aphasie de Broca et certains syndromes de désintégration phonétique (Sabouraud, 1995). L’ensemble permet donc d’avoir quatre groupes de syndromes comme point de repère en aphasiologie (voir Sabouraud, 1995 et Jongen, 1993). Les portraits-robots de ces syndromes sont exposés dans letableau V-2.

Pour Guyard (1999 ; voir également Sabouraud, 1995 ; Guyard et Urien, 2006, Guyard et al., 1981), les performances des patients ne se décrivent pas en termes d’écart par rapport à une norme ou un attendu, elles sont le résultat d’un système globalement remanié par la pathologie. Afin d’examiner les performances des patients, il élabore ce qu’il appelle des Grammaires Elémentaires Induites, des tests morpho-syntaxiques et phonologiques permettant, par une clinique différentielle, de mettre à l’épreuve des hypothèses sur le fonctionnement grammatical des patients. Ainsi, une démarche hypothético-déductive, à partir des productions des patients, peut permettre de comprendre leur logique résiduelle et prédire leurs comportements verbaux. Pour Guyard (1999), un comportement pathologique se remarque lorsque le patient adhère au pseudo-raisonnement induit par les tests, l’aphasie est une pathologie fusionnelle et l’aphasique fusionne avec le test car il reste soumis à la pression de la référence (de la production explicite) en situation, qui se contamine elle-même (persévérations, conduites d’approches). Cela se remarque bien dans le fait que l’aphasique s’appuie sur le langage de son interlocuteur avec plus ou moins de succès. Le patient a une

idée de ce qu’il veut dire mais comme cette référence se fait hors de contrôle de l’analyse conceptuelle taxinomique et générative, il reste incapable de l’expliquer.

Tableau V-2. Portrait- robots des quatre grands types d’aphasie (D’après Gagnepain, 1990 ; Jongen 1993 ; Sabouraud, 1995 et Guyard, 1999).

Aphasies Sémiologiques (perte de la marque)

Taxinomiques (défaut d’opposition) Génératives (défaut de segmentation) Défaut d’identité de sens, le sens ne permet

plus de différencier du son

Perte du sème et du syntagme avec maintien du mot et du paradigme

Le paradigme (la similarité) s’exerce sans contrôle lexical : paraphasies sémantiques,

néologismes → jargon sémantique,

dyssyntaxie

Reformulation spontanée plus difficile que répétition

Défaut d’unité de sens, le sens ne permet plus de contraster du son

Perte du mot et du paradigme avec maintien du sème et du syntagme

Le syntagme (la complémentarité) s’exerce sans contrôle textuel, sans contraste → stéréotypie, expression télégraphique, agrammatisme

Reformulation spontanée plus difficile que répétition

Aphasies Phonologiques (perte de la fonction)

Taxinomiques Génératives

Défaut d’identité de sons, le son ne permet plus de différencier des sens

Perte du trait pertinent et de la concaténation avec maintien du phonème et de la corrélation

La corrélation s’exerce sans contrôle du registre : conduites d’approches, paraphasies phonémiques, néologismes → jargon phonémique.

Répétition plus difficile que reformulation Facilitation de la lecture-écriture

Défaut d’unité de sons, le son ne permet plus de contraster des sens

Perte du phonème et de la corrélation avec maintien du trait et de la concaténation

La concaténation s’exerce sans contrôle de la chaîne : persévérations phonétiques, paraphasies phonémiques → réduction des contrastes de chaîne.

Répétition plus difficile que reformulation Relative facilitation de la lecture-écriture

Pour Sabouraud (1995) les quatre groupes d'aphasies doivent faire l'objet de précisions différentielles avec d'autres troubles du langage qui, pour lui, ne sont pas des aphasies. Les aphasies taxinomiques doivent être bien distinguées des difficultés de langage qui peuvent se retrouver dans la confusion mentale et les troubles psychotiques (troubles de dénomination ou de compréhension, logorrhée, jargon), les agnosies (difficultés perceptives entraînant des troubles de dénomination), les syndromes frontaux (manque du mot, digressions) ou encore dans l’aphasie transcorticale sensorielle et la Démence Sémantique (troubles de compréhension, paraphasies sémantiques). Les aphasies génératives doivent être distinguées des dysarthries perturbant la gesticulation motrice ou praxique des organes bucco- phonatoires, le tableau classique d'anarthrie regroupant, pour lui, des dysarthries et des réels problèmes d'analyse générative phonologique. Elles doivent également être distinguées des phénomènes de réduction de parole par lésions frontales ou préfrontales que sont l'aphasie dynamique de Luria : réduction de la parole sans trouble de la grammaticalité et l’aphasie transcorticale motrice à rapprocher des comportements de Lhermite : réduction du langage avec une bonne répétition pouvant même aller jusqu'à l'écholalie. Des troubles du langage de nature non-aphasiques peuvent donc être la conséquence de troubles naturels, sensori-moteurs ou gestaltiques ou d’une atteinte du plan de la médiation sociale regroupant les troubles du savoir, dits sémantiques, et certaines manifestations du syndrome frontal.

2-3- Les troubles neurologiques de la médiation sociale

Dans le développement initial de la TDM, Gagnepain (1994, 1995) décrit les troubles de la médiation sociale au niveau des pathologies psychiatriques de l’altérité que sont les psychoses et les perversions. Cependant, Sabouraud (1995, 2004) suggère que cette dialectique ethnico-politique de la Personne peut également dysfonctionner suite à certaines lésions neurologiques affectant plus particulièrement les lobes frontaux et temporaux. Avant d’exposer ces observations, nous allons fournir quelques éléments théoriques relatifs à ce plan de rationalité.

Analogiquement à l’objet gnosique, Gagnepain (1991, 1994) redéfinit la notion de sujet comme une fonction naturelle Gestaltique qui confère à l’individu organique ses frontières et son autonomie. À l’instar de la figure perceptive qui se distingue d’un fond de sensations et ne se réduit pas à la somme de ces sensations, le sujet dresse une frontière

simultanément créatrice de lui-même et de son environnement qui fait, d’ailleurs, que chaque sujet dispose d’un environnement ainsi que de représentations et d’habitudes qui lui sont propres. Ainsi, pour Gagnepain (1991, p. 25) : « il est donc parfaitement vain de penser que

l’animal et nous vivions dans le même univers et, mieux encore, que les différentes espèces aient temps et lieu communs. ». Comme le rappelle Brackelaire (1995), somatiser signifie se

familiariser avec un lieu, un moment, un entourage d’autres sujets. C’est construire de la familiarité, de la reconnaissance, être ici, maintenant et avec. L’analyse structurale du sujet fait émerger l’humain à un autre ordre de relation qui n’est plus la grégarité animale mais la société, bâtie, sur des alliances et des services rendus qui constituent les deux faces de la Personne, l’instituant et l’institué. Pour Gagnepain (1991), la Personne n’est pas plus individuelle que collective, c’est le fruit d’une dialectique ethnico-politique du singulier et de l’universel qui fait que l’homme se distingue de ses congénères mais négocie, simultanément, avec eux, ontologiquement, sa place et, déontologiquement, son rôle dans des échanges sociaux dont la langue, les codes ou encore le style sont des aspects de réinvestissement conventionnel.

Avec la notion de langue, la TDM permet de passer de la locution grammaticale, reflétant une analyse strictement logique du son et du sens, à l’interlocution sociale reflétant une analyse sociolinguistique de ce qui est, dans une société donnée, conventionnellement accepté, un usage, une manière de dire. L’éducation n’apprend pas le langage à l’enfant qui le porte en lui-même, comme le montrent ses dérivations morphologiques, ses néologismes strictement logiques mais bien ce qui se dit ou ne se dit pas usuellement (voir Quentel, 1997). La langue est donc le langage comme contenu d’une autre dialectique que la sienne propre, c’est le recoupement du dire par la Personne. Cette distinction entre le langage dans sa dimension de grammaticalité et la langue qui en est son mode d’institution se retrouve dans la différence entre l’aphasie, témoignant d’un trouble du Signe, et les troubles sémantiques ou la désorganisation frontale du récit, témoignant d’un trouble de la Personne.

Pour introduire les troubles de ce plan de rationalité de l’être, Gagnepain (1991, 1994, 1995) suggère globalement qu’une carence d’émergence au sujet peut se retrouver dans l’autisme sous forme d’une asomasie congénitale (voir à ce sujet, Quimbert, 1987 ; Brackelaire, 1995 ou encore De Guibert et al., 2003) ne permettant plus, à partir du corps organique, de constituer un environnement. A propos des lésions cérébrales acquises

accidentellement, il précise que des altérations diffuses par traumatisme crânien ou anoxie cérébrale peuvent démontrer une détérioration du sujet malgré une persistance de la personne. Les patients restent dans des relations d’échange, de communication malgré leurs difficultés à se situer dans l’instant et à acquérir de nouveaux souvenirs, de nouvelles habitudes.