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EXPÉRIMENTATION ET CLINIQUE

A- ÉTATS DES LIEUX DES BATTERIES ET DONNÉES EXISTANTES

1- Les batteries d’examen existantes

1-1- Dans la littérature francophone

Le protocole d’Angers de Le Gall et al. (2000) examine distinctement l’apraxie idéomotrice et l’apraxie idéatoire. Cette batterie fournit un ensemble très complet de tâches examinant l’ensemble des dimensions mises en évidence par les modèles théoriques de Roy et Square (1985), Schwartz et al. (1991) et Rothi et al. (1991, 1997a). En préalable aux épreuves gestuelles, les auteurs suggèrent une évaluation de la compréhension et du schéma corporel et rappellent l’évidence d’avoir connaissance des éléments de l’examen neurologique : motricité, sensibilité et fonctions cérébelleuses. De plus, une première partie propose des séries gestuelles manuelles et digitales destinées à détecter une apraxie motrice et/ou dynamique. L’apraxie idéomotrice est examinée au travers de plusieurs épreuves :

- Reconnaissance de pantomimes

- Production de pantomimes sur consigne verbale et visuelle - Production de gestes symboliques sur consigne orale - Imitation de gestes sans signification

Ces épreuves intransitives intègrent toutes des actions réflexives et non réflexives et proposent de tester la main droite et la main gauche. Les gestes produits sont jugés suivant quatre types d’erreurs (Rothi et al. 1988, 1997b), les erreurs de contenu, les erreurs temporelles, les erreurs spatiales et un type autres erreurs.

L’apraxie idéatoire est également appréciée avec plusieurs épreuves : - Connaissances fonctionnelles sur les objets

- Connaissances sur l’action et les séquences d’actions - Réalisation de tâches avec objets distracteurs

- Réalisation de tâches séquentielles

Les erreurs sont distribuées suivant neuf catégories : inventaires des objets et état de perplexité, substitutions entre objets, substitution entre actions, erreurs de séquence, omission simple, erreur de localisation, erreur de manipulation des objets, maladresse et activation automatique de schémas d’action à partir des objets (De Renzi et Luchelli, 1988 ; Roy et Square, 1985).

La réalisation de tâches avec distracteurs (morphologique, fonctionnel et neutre) et la réalisation de tâches séquentielles permettent d’évaluer la sélection et l’utilisation de nombreux objets usuels aux travers d’actions du quotidien : installer une lampe de poche, ouvrir une boîte de conserve, allumer une bougie, enfoncer un clou, ouvrir un cadenas, se brosser les dents, préparer un café, découper et coller une image, téléphoner ou encore expédier une lettre. Toutefois, comme nous l’évoquions plus haut, les auteurs ne fournissent aucune donnée standardisée et la réussite à certaines épreuves peut dépendre d'une assez bonne préservation du langage, ce qui rend difficile l’examen de patients modérément ou sévèrement aphasiques.

Pour sa part, la Batterie d’Évaluation des Praxies (Peigneux et Van der Linden, 2000) est fondée sur le modèle de Rothi et al. (1991, 1997a) et les apports de Goldenberg (1995) sur les rapports entre apraxie et connaissances sur le corps humain. C’est une batterie expérimentale visant principalement à rendre compte des dissociations des performances décrites dans la littérature clinico-pathologique de l’apraxie et à valider les hypothèses théoriques issues d’un modèle de l’activité gestuelle normale. Les épreuves sont élaborées à partir de 30 gestes significatifs et 30 gestes non significatifs morphologiquement appariés, équitablement répartis entre gestes unimanuels et bimanuels ainsi qu’entre configurations manuelles et digitales. Chaque épreuve vise l’évaluation de l’accès sélectif à des modules de traitement spécifiques. Toutefois, chaque épreuve impliquant plus d’un module de traitement, la formulation d’une hypothèse sur la localisation fonctionnelle et la nature précise du déficit observé ne peut se faire que par le recoupement des performances aux différentes épreuves. Composition de la batterie :

- Exécution de gestes significatifs sur commande verbale - Imitation de gestes significatifs

- Imitation de gestes non significatifs (configurations manuelles et digitales) - Reproduction de postures sur un mannequin

- Manipulation d’objets

- Dénomination de gestes significatifs

- Discrimination de gestes significatifs et non significatifs

Deux essais d’entraînement sont proposés en préalable de chaque épreuve pour s’assurer de la compréhension suffisante du sujet. Un second essai est systématiquement accordé en cas d’échec afin de faire la distinction entre une erreur simple et une erreur consistante. Comme le Gall et al. (2000), les auteurs insistent sur l’intérêt de filmer les performances pour pouvoir réaliser la cotation. La BEP utilise également l’analyse qualitative des erreurs proposée par Rothi et al. (1988, 1997b) en y apportant quelques modifications mais elle conserve les quatre grandes catégories. Quelques données préliminaires sont fournies sur 15 sujets âgés normaux, nous en reparlerons ultérieurement.

Le travail des auteurs est un exemple de construction rigoureuse d’une batterie d’évaluation à partir d’un modèle neuropsychologique cognitif précis. En ce sens, cette batterie est donc nécessairement confrontée aux mêmes limites que le modèle. En effet, le modèle de Rothi et al. (1991, 1997a) qui est centré sur la représentation des gestes amène à ne proposer qu’un examen très succinct des capacités réelles d’utilisation d’objets. Ici, une seule épreuve d’utilisation isolée d’objets propose de manipuler réellement des objets usuels sans aucune dimension de sélection ou d’interaction entre objets.

Le Test Lillois d'Apraxie Gestuelle d’Anicet et al. (2007) s'inspire aussi du modèle de Rothi et al. (1991, 1997a) modifié par Peigneux et Van der Linden (2000) avec les apports de Goldenberg (1995). La batterie se décompose en deux grandes parties, les actions simples et les actions complexes. D'après les auteurs, les actions simples évaluent surtout l'apraxie idéomotrice mais aussi idéatoire et les actions complexes évaluent l'apraxie idéatoire et l'apraxie conceptuelle. Les actions sont dites complexes car elles font appel à deux objets. Pour chaque tâche, les auteurs spécifient, comme Peigneux et Van der Linden (2000), le processus testé.

Evaluation des gestes simples :

- Reproduction de gestes sans signification (configurations manuelles et digitales) - Discrimination de gestes signifiants/non signifiants

- Gestes symboliques :

o Dénomination

o Production sur commande verbale

o Production sur imitation - Gestes d’utilisation d’objets

o Dénomination

o Reconnaissance

o Production sur commande verbale, sur imitation et avec l’objet Evaluation des actions complexes :

- Appariement fonctionnel d’objets - Dénomination d’objets par la fonction - Reconnaissance

- Production d’actions complexes

- Connaissances sur les séquences d’action

A cela s’ajoute une échelle complémentaire de vie quotidienne et domestique qui permet, selon les auteurs, d’analyser les difficultés de vie quotidienne pouvant être dues à une apraxie idéatoire ou à une apraxie idéomotrice sévère. L’échelle peut être utilisée sous forme d’hétéro-évaluation, thérapeute ou proche et d’autoévaluation.

Au-delà de sa construction rigoureuse à partir d’un modèle théorique influent (Rothi et al. (1991, 1997a), l’intérêt majeur de cette batterie est de fournir une normalisation réalisée sur 48 sujets sains et un début de validation réalisée auprès d’un groupe de 23 patients avec lésions vasculaires hémisphériques droite et gauche. En revanche, l’examen de l’apraxie idéatoire et/ou conceptuelle au travers des actions complexes est restreint et n’impliquent, dans la dimension de production, qu’un maximum de deux objets sans aucune contrainte de sélection. La réalisation d’activités multi-tâches, de type tâche séquentielle n’est examinée que par le biais de scripts sous forme d’arrangement d’images. Enfin, comme les deux autres batteries présentées, l’examen de l’utilisation des objets ne s’intéresse qu’à du matériel usuel et ne propose pas de tester le raisonnement mécanique.

1-2- Dans la littérature internationale

Le récent travail de Dovern et al. (2012) présente une synthèse des travaux publiés sur l’examen de l’apraxie des membres supérieurs depuis De Renzi et al. (1980) et ce jusqu’à avril 2011. Nous examinerons ici les propositions d’évaluation les plus exhaustives et les plus récentes.

Vanbellingen et al., (2010), présentent la Batterie TULIA (Test for Upper LImb Apraxia) construite pour explorer rapidement la production de gestes . Elle est composée de 48 items unimanuels (6 fois 8) : gestes non significatifs, gestes symboliques et pantomimes d’utilisation, à produire sur imitation et sur commande verbale. Chaque item est coté qualitativement sur une échelle de 0 à 5 examinant le contenu, les aspects temporo-spatiaux et la fluidité du mouvement. L’ensemble de la batterie est proposé à 84 patients avec des lésions hémisphériques gauches, 49 avec des lésions hémisphériques droites et 50 sujets contrôles sains (âgé de 43 à 93 ans). Les patients sont testés avec la main ipsilatérale à la lésion, les sujets sains sont testés avec la main gauche. Le score total est de 240 points et un score seuil est placé à 194, à 2 écart-types de la moyenne des sujets contrôles.

L’intérêt majeur de ce travail est de vérifier les qualités psychométriques de la batterie : sensibilité aux lésions hémisphériques gauches, cohérence interne des subtests, fidélité entre les évaluateurs, fidélité test-retest et validité (comparaison avec le test de De Renzi et al., 1980). Il est dommage que les auteurs n’examinent pas plus l’utilisation d’objets réels pour fournir, à ce sujet, des données de la même qualité. Les auteurs proposent également une version réduite à 12 items : l’Apraxia Screen of Tulia (Vanbellingen et al., 2011).

Bartolo et al. (2008) présentent une batterie exhaustive d’évaluation de l’apraxie des membres supérieurs basée sur le modèle de Rothi et al. (1991, 1997a) modifié par Cubelli et al. (2000). Toutes les composantes du modèle sont examinées à travers 13 subtests ciblant la production et la compréhension de gestes transitifs et intransitifs (significatifs ou non) sur entrée verbale, visuelle et tactile. La batterie est proposée à 60 sujets sains, droitiers, âgés de 17 à 81 ans. Chez les sujets adultes et âgés, l’efficience globale est contrôlée avec le MMSE (Folstein et al., 1975). Pour l’inclusion, le score doit être supérieur à 24/30. Tous les sujets sont testés avec la main droite. Un score seuil est donné pour chaque subtest.

Comparativement à celui de Vanbelligen et al., (2010), ce travail propose une évaluation exhaustive des différentes composantes d’un modèle cognitif. Toutefois, seuls des sujets sains sont examinés, ce qui ne permet pas vraiment de tester la sensibilité et la validité de la batterie auprès de sujets cérébrolésés. De même, les qualités de fidélité ne sont pas examinées. Enfin, l’utilisation d’objets est seulement testée par une tâche d’utilisation d’objets isolés.

Power et al. (2010) présentent une actualisation la FAB de Rothi et al. (1992 ; voir également Rothi et al., 1997b) sous le nom de Florida Apraxia Battery Extended and Revised. La FAB a été développée exclusivement dans le cadre de la recherche expérimentale et n’a donc jamais été standardisée. La FAB est une version plus complète de la Florida Apraxia Screening Test de Rothi et Heilman (1984) révisée sous le nom de FAST-R par Rothi et al. en 1992. La FAST-R est une série de 30 gestes unimanuels et significatifs, pantomimes et gestes symboliques, à produire sur commande verbale. A l’époque, l’absence de normalisation et de connaissance sur l’influence des facteurs sociodémographiques amena les auteurs à proposer d’utiliser un score cut-off de 15 items réussis sur 30. La FAB inclut également des tâches verbales "contrôles" pour contraster les performances obtenues dans les tâches praxiques nécessitant une réponse verbale. Pour sa part, la FABERS est minutieusement construite à partir du modèle de Rothi et al. (1991, 1997a). Les épreuves visent l’examen spécifique de l’ensemble des composantes du modèle.

Au niveau de la réception de gestes : - Réception de pantomimes :

o Reconnaissance de pantomimes

o Discrimination de pantomimes

- Connaissances sémantiques verbo-visuelles :

o Désignation d’objets (images)

o Dénomination d’objets (images)

o Association catégorielle (animaux) - Connaissances sémantiques d’action :

o Sélection de l’objet nécessaire à l’action en cours

o Sélection alternative d’objets (pour tester le relations mécaniques) Au niveau de la production de gestes :

- Production de gestes transitifs et intransitifs

o Pantomime sur présentation visuelle d’objets (photos)

o Pantomime sur commande verbale

o Imitation de pantomimes

o Réalisation de gestes symboliques sur commande verbale

o Imitation de gestes significatifs - Imitation de gestes non significatifs

1997b) : erreurs de contenu, erreurs temporelles, erreurs spatiales et autres erreurs. Les scores maximums des subtests vont de 17 à 40. Les auteurs fournissent des données concernant 16 sujets contrôles sains âgés de 55 à 83 ans. Ces sujets sont droitiers, sans antécédent psychiatrique ni neurologique. Le score seuil au MMSE (Folstein et al., 1975) est fixé à 27/30. La main testée n’est pas précisée. Pour chaque subtest, les auteurs fournissent les statistiques descriptives des performances ainsi que les répartitions en décile. La fidélité inter- juge est contrôlée. Il est intéressant de remarquer que cette nouvelle version de la FAB intègre des épreuves de sélection d’objets sur un mode d’utilisation usuel mais également sur un mode d’utilisation alternative examinant les connaissances sur les relations mécaniques indépendamment de l’usage usuel des objets. Toutefois, cela n’est réalisé que sur désignation et l’utilisation réelle d’objets n’est pour ainsi dire pas testée, puisque aucune tâche n’implique ne serait-ce que la saisie d’un objet.

En résumé, à l’exception du protocole d’Angers (Le Gall et al., 2000), ces batteries d’examen de l’apraxie font très peu de place à l’utilisation réelle d’objets. Elles se réfèrent à un même type de modèle qui, par le concept d’apraxie des membres supérieurs, vide le champ de l’apraxie de la distinction entre apraxie motrice, idéomotrice et idéatoire et centre son analyse sur la représentation des gestes en éludant complètement la notion d’outil. A l’exception du protocole d’Angers, les manifestations d’apraxie motrice ne sont jamais contrôlées alors qu’elles peuvent être à l’origine de difficultés de production et d’une asymétrie des troubles. Les auteurs maintiennent des épreuves, reconnaissance de pantomimes versus production de pantomimes, permettant de distinguer un lexique d’entrée et un lexique de sortie alors que, comme nous l’avons déjà vu plus haut, Peigneux et al. (2004) démontrent que ces deux lexiques ne sont pas anatomiquement distincts. De plus Goldenberg (2003b ; voir également Goldenberg et al., 2003) démontre que la réalisation de pantomimes d’utilisation d’objets est une tâche peu spécifique et vulnérable à des lésions très variables de l’hémisphère gauche. Par ailleurs, dans l’ensemble de ces travaux, une grande place est attribuée à la production de gestes sur commande verbale. Pourtant, à la suite de l’examen de 249 sujets droitiers avec lésions hémisphériques gauches et 30 sujets avec lésions hémisphériques droites Hécaen, dès 1978, ne retenait comme apraxie idéomotrice véritable que : « les troubles apparaissant dans l’imitation des gestes de l’observateur tandis que les

déficits des performances gestuelles constatées seulement sur ordre verbal et corrigées ensuite sur imitation [nous] semblent ne pas mériter ce qualificatif ».