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Le modèle des Systèmes Conceptuel-Production de l’apraxie

Nous présentons ce modèle en premier car ses versions initiales datent du début des années 80 (Roy 1983 ; Roy et Square, 1985). Il fait l’objet d’actualisation régulières et nous pouvons discuter des travaux récents visant à confirmer ses prédictions (Stamenova et al., 2010, 2012).

1-1- Présentation du modèle de Roy (1996)

Cette approche se différencie radicalement des travaux classiques puisqu’elle ne vérifie pas la dichotomie apraxie idéomotrice-apraxie idéatoire et contredit, comme nous le verrons, la dominance de l’hémisphère gauche pour le contrôle de la motricité volontaire. Contrairement à tout ce que nous avons évoqué jusqu’à maintenant, les propositions issues de Roy et Square (1985) constituent un apport original puisque leur développement théorique ne s’étaye pas initialement sur des observations anatomo-cliniques de patients présentant des déficits neurologiques mais sur des données de la psychologie cognitive et des études physiologiques sur le contrôle moteur et le fonctionnement gestuel normal. Cela leur permet

de proposer un modèle prospectif des différentes étapes hiérarchiques nécessaires pour réaliser un acte volontaire. Selon ce modèle (figure II-1), trois grands systèmes sont impliqués dans le contrôle du mouvement (voir également Le Gall et Peigneux, 2003 pour plus de détails sur certaines composantes) : le système sensori-perceptif, le système conceptuel et le système de production. Informations Visuo-Gestuelles Informations Auditivo-Verbales Informations Visuelles Outils-objets

Entrée des connaissances visuelles d'action

Entrée des connaissances auditives d'action

Entrée des connaissances visuelles outils

Connaissance des actions

Connaissances sur la fonction des objets

Pantomimes Pantomimes par la route Outil Sélection de réponses Génération d'images Mémoire de travail Organisation/contrôle de réponses Pantomimes par la route Outil Route de l'imitation différée Route de l'imitation concourante Système sensori-perceptif Système conceptuel Système de production

Le système sensori-perceptif n’est pas spécifique du contrôle gestuel, il traite les informations visuo-gestuelles, auditivo-verbales ou visuelles outils/objets provenant de l’environnement.

Le système conceptuel est composé de différentes connaissances abstraites relatives aux actions :

- Connaissances sur la fonction des objets : il apparaît, ici, pour la première fois, la notion que l’utilisation d’un objet nécessite de savoir comment il fonctionne et quels rapports il entretient avec d’autres objets. Initialement, ces connaissances sont constituées des référents linguistiques qui font donc partie du champ de la sémantique des objets. Elles décrivent la fonction particulière des objets mais permettent également d’inférer des similitudes fonctionnelles.

- Connaissance des actions : ce sont des connaissances conceptuelles sur les actions elles-mêmes décontextualisées de toute référence à des objets précis (pour enfoncer un clou, un marteau est nécessaire mais tout objet permettant une percussion assez puissante peut faire l’affaire). Elles comprennent des référents linguistiques et perceptifs.

Notons que dans la version initiale du modèle, Roy et Square (1985) évoquent également des connaissances relatives à la sériation d’actions simples en séquences qui ne figurent pas dans le schéma de Roy (1996). Par la régulation du langage, ces connaissances permettraient d’apprendre de nouvelles séquences de mouvements lorsque le geste n’est pas encore automatisé.

Le système de production est constitué de plusieurs sous-systèmes parallèles semi- automatisés pouvant fonctionner avec des ressources attentionnelles minimales : sélection de réponses, génération d’images, stockage du plan moteur en mémoire de travail, organisation de réponses et contrôle du mouvement. Il permet donc la mise en œuvre et le contrôle de l’action afin que des schémas d’actions ayant des étapes similaires n’interfèrent pas ou qu’une action routinière ne prenne pas la place d’une séquence plus inhabituelle. Dans ce système, le contrôle moteur est exercé par des programmes qui peuvent s’appliquer indifféremment de l’effecteur. Par exemple, lorsqu’elle est acquise, l’écriture peut être effectuée avec n’importe quelle partie du corps. Ce système de production est dirigé par le système de conception qui intervient sur un mode "top-down" lorsque des choix qui nécessitent un accroissement de

ressources attentionnelles doivent être effectués. Un autre contrôle "bottom-up" est également exercé par l’environnement et les contraintes qu’il impose.

Selon Roy (1996), des troubles praxiques peuvent résulter de l’altération spécifique d’un des trois systèmes ou d’une combinaison d’altérations. Il propose huit profils de performance (voir Le Gall et Peigneux, 2003 et Stamenova et al., 2012 pour le détail des profils) suivant les niveaux atteints. Ces profils de performances sont dessinés à partir de l’échec ou la réussite à quatre épreuves, trois tâches de production de gestes : pantomime sur consigne verbale (P), imitation retardée (DI) et imitation immédiate (CI) et, au moins, une tâche d’identification de gestes (ID). La tâche de pantomime permet d’évaluer l'intégrité du système conceptuel et les systèmes mnésiques relatifs aux connaissances sur la façon d'effectuer une action. Les tâches d'imitation sont essentielles pour évaluer la capacité à analyser et utiliser les informations visuo-spatiales nécessaires pour produire une réponse motrice. Elles permettent d’évaluer le système sensori-perceptif et le système de production. La reconnaissance de gestes est également incluse pour examiner les systèmes conceptuel et mnésique.

1-2- Le modèle de Roy, validations expérimentales récentes

Stamenova et al. (2012) proposent de vérifier expérimentalement le modèle au travers d’une vaste étude de patients cérébrolésés. Selon leur hypothèse, si le modèle est correct, la majorité des patients devraient se retrouver dans les huit profils de performances. A l’inverse si le modèle n’explique pas correctement l’ensemble des troubles apraxiques, seulement 50 % des patients, soit le niveau du hasard, se retrouveront dans les patterns proposés.

Pour cela, ils examinent 27 sujets contrôles et 73 patients victimes d’un accident vasculaire cérébral : 34 avec des lésions gauches et 39 avec des lésions droites. Les lésions présentés par les patients sont très variés : antérieures, postérieures, corticales et sous- corticales. Les patients sont examinés avec la main ipsilatérale à la lésion et les sujets contrôles avec les deux mains. Les trois tâches de production sont proposées ainsi que deux tâches conceptuelles (dénomination par l’action et identification d’actions). Pour les tâches de production, chaque geste est noté sur 15 points, 3 points par dimension (localisation du bras, configuration des doigts, action, plan du mouvement et orientation de la main).

Les analyses statistiques sur les tâches de production montrent que les performances des patients présentant des lésions gauches (LHG) et droites (LHD) sont moins bonnes que celles des sujets contrôles et que la tâche de pantomime est plus difficile pour eux que les deux tâches d’imitation. La comparaison des deux groupes de patients montre que les patients LHG réussissent globalement moins bien que les LHD. Pour les tâches conceptuelles, les LHG sont déficitaires sur les deux tâches alors que les LHD ne le sont que sur une seule, l’identification d’action. Les LHG sont plus gênés que les LHD pour la dénomination par l’action. Dans le détail, sept profils de performances sont retrouvés sur les huit proposés initialement et quatre nouveaux patterns émergent. La majorité des patterns ne concernent que 1 ou 2 patients à l’exception des patterns 6 (P+/DI-/CI-/ID+) et 7 (P-/DI-/CI-/ID+). Le pattern 6 correspond à ce que Ochipa et al. (1994) décrivent comme une apraxie de conduction et le pattern 7 correspond à une des deux formes d’apraxie idéomotrice de Heilman et al. (1983).

Tableau II-1. Nombre de patients déficitaires pour chaque pattern ( d’après Stamenova et al., 2012).

Patterns : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

LHG (n = 34) : 0 1 0 1 2 4 12 1 1 1 0 0

LHD (n = 39) : 0 0 1 1 1 6 2 0 0 1 1 1

Sur la base des sept profils de performances retrouvés et le résultat que 32/37 patients LHG échouent dans au moins une épreuve, les auteurs concluent à la validation du modèle. Pour eux, le pattern 7 est logiquement plus présent en cas de lésions gauches du fait de la dominance de l’hémisphère gauche pour le contrôle du système de production. Par contre, la présence importante du pattern 6 et de 4 patterns non prévus initialement les amène à modifier le modèle en intégrant, à l’instar de Rothi et al. (1991, 1997a) des modules supplémentaires, sortes de lexiques (voir figure II-1) entre le système sensori-perceptif et le système conceptuel. Parmi les limites évoquées, apparaît le délai post-lésionel, qui est très variable entre les patients. Apparaît aussi le type de geste proposé qui ne concerne que des gestes que les auteurs qualifient de transitifs, puisqu’ils font référence à des gestes d’utilisation, alors que l’apraxie concerne également des gestes intransitifs comme le montrent d’autres travaux des auteurs (Stamenova et al., 2010).

Cette approche théorique inscrit durablement dans la modélisation de l’apraxie la dichotomie conception-production déjà largement évoquée dans l’histoire du concept sous

l’aspect idéation-exécution. Pour autant, elle se distingue des travaux anatomo-cliniques ou encore associationnistes et de la sémiologie classique de Liepmann et présente l’intérêt de prévoir des profils de performance. Par ailleurs, les propositions sur la question des connaissances restent d’actualité. Cependant, le modèle s’inspire beaucoup des théories du traitement de l’information et donne une part dominante aux notions de contrôle et de ressources attentionnelles. Ainsi, les profils de performances proposés et la nature des troubles ne sont pas toujours spécifiques d’une capacité praxique autonome et intègre de nombreux processus cognitifs mnésiques et exécutifs. La validation du modèle par des gestes dits transitifs concernant la relation entre la main et les objets nous intéresse particulièrement mais il est dommage que les épreuves n’impliquent pas l’utilisation effective d’objets. Enfin, contrairement aux grandes études de groupes comme Liepmann (1905) ou Hécaen (1978), les auteurs montrent des troubles praxiques avec des lésions hémisphériques droites (voir également Stamenova et al., 2010), mais ces troubles de gesticulation unilatérale de la main gauche sont-ils bien apraxiques ? Goldenberg et al. (2009) montrent, par exemple, comment des troubles visuo-spatiaux par lésions droites peuvent perturber les performances gestuelles.