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Rothi et al. (1991, 1997a) développent un modèle neuropsychologique cognitif qui a pour vocation de rendre compte des capacités praxiques normales et de l’apraxie des membres supérieurs. Il est construit à partir des dissociations dans les performances de patients apraxiques. A l’instar des propositions de Signoret et North (1979), ce modèle est analogique aux modèles cognitifs du langage (Hillis et Caramazza 1994) et comme le modèle de Roy et Square, il permet d’envisager prospectivement différents profils d’apraxies gestuelles (voir Le Gall et Peigneux, 2003) caractérisés par des patterns d’échecs et de réussites dans les épreuves.

2-1- Présentation du modèle initial Rothi et al. (1991, 1997a)

La structure principale du modèle comprend différentes dissociations (voir figure II- 2) : un système de production et un système de réception, différentes modalités d’entrée, une voie non lexicale pour l’imitation de gestes et une fragmentation probable du système sémantique.

Figure II-2. Modèle de Rothi, et al. (1991, 1997a). Entrée auditivo- verbale Entrée visuelle objets Entrée visuelle gestes

Analyse auditive Analyse visuelle Analyse visuelle

gestes

système de reconnaissance des objets Lexique phonologique INPUT Lexique d'action INPUT Système sémantique Lexique verbal OUTPUT Lexique d'action OUTPUT Buffer phonologique Systèmes moteurs verbaux Patterns innervatoires Systèmes moteurs gestuels Action

Production et réception, deux lexiques :

Cette première distinction prend origine dans les conceptions initiales de Liepmann et les apports de Heilman et al. (1982). L’apraxie peut résulter soit d’une altération des représentations gestuelles, "formules du mouvement" ou "engrammes gestuels", par lésions postérieures pariétales gauches, soit d’une déconnexion entre ces représentations et des "patterns innervatoires" localisés plus en avant vers l’aire motrice supplémentaire. Dans le premier, cas les incapacités concernent la production et la discrimination de gestes, dans le second cas, seulement la production. Analogiquement au langage, Rothi et al. (1991, 1997a) suggèrent que le terme de lexique peut aussi être employé pour ces représentations gestuelles constituant donc un lexique d’action. Selon ce point de vue, il ne devrait pas exister de différence quelle que soit la modalité de production des gestes, commande verbale ou imitation. Toutefois la description par Ochipa et al. (1990), sous le terme d’apraxie de conduction, d’un patient plus déficitaire pour la production de gestes d’utilisation d’objets (gestes "transitifs") sur imitation que sur commande verbale amène les auteurs à fragmenter le lexique d’action en deux unités, une d’entrée et une de sortie. Ainsi, un défaut isolé d’imitation de gestes "transitifs" serait lié à l’altération spécifique du lexique d’action de sortie.

Des modalités d’entrées sélectives :

A l’instar des propositions de Geschwind, alimentées par plusieurs descriptions de patients, Rothi et al. (1991, 1997a) suggèrent également de faire une distinction entre une entrée dédiée à l’analyse visuo-gestuelle des mouvements et une autre entrée dédiée à l’analyse visuelle des objets. A cela, ils rajoutent, toujours par analogie avec les modèles du langage, une entrée auditivo-vebale.

Une voie directe non-lexicale :

Comme l’hypothèse des lexiques d’action ne peut fonctionner que pour des gestes déjà expérimentés, les auteurs proposent qu’une voie non-lexicale, d’assemblage, peut transformer directement les informations issues des entrée visuelles en "patterns innervatoires" pour expliquer des performances spécifiquement déficitaires dans l’imitation de gestes non-

familiers alors que la reconnaissance et l’exécution sur commande verbale de gestes connus est préservée. Ce profil est décrit sous le terme d’apraxie visuo-imitative (Mehler, 1987).

Un système sémantique d’action :

Rothi et al. (1991, 1997a) expriment leur accord avec les propositions de Roy (1996) sur la composition et le contenu d’un système conceptuel. Ils intègrent donc à leur modèle un système sémantique d’action nécessaire pour reconnaître les avantages mécaniques fournis par les objets et les exigences mécaniques requises pour atteindre un certain but, lui-même possiblement impliqué par les objets. Une altération de ce système peut entraîner des difficultés spécifiques pour l’utilisation effective d’objets, la désignation ou l’appariement d’objets par la fonction ou certaines erreurs de contenu dans les pantomimes, des anomalies de leurs paramètres spatio-temporels relevant d’un défaut de production par altération des lexiques. Pour rompre avec la confusion qui règne au début des années 80 à propos de la définition de l’apraxie idéatoire, plutôt considérée alors comme un défaut de la mise en oeuvre de séquence d’action (Poeck, 1983), Ochipa, et al. (1992) suggèrent la terminologie d’apraxie conceptuelle.

Comme pour le modèle de Roy, Le Gall et Peigneux (2003) développent les différents profils comportementaux que ce modèle peut permettre de prédire. Ces profils sont basés sur l’atteinte spécifique de chaque module de traitement et mis en évidence par l’échec ou la réussite à plusieurs types d’épreuves : production de gestes transitifs sur commande verbale, sur présentation visuelle ou sur imitation, reconnaissance et discrimination de gestes et imitation de gestes non-significatifs.

2-2- Les apports de Goldenberg sur la voie non-lexicale

Goldenberg (1995, 1999) s’oppose au caractère direct de la voie non-lexicale. Pour lui, l’imitation de gestes non-significatifs nécessite une représentation conceptuelle du corps humain d’un point de vue lexico-sémantique et topographique. Ces connaissances du corps seraient en quelque sorte : « une représentation dans l’espace tridimensionnel des relations

entre les segments corporels que sont le bras, l’avant-bras et la main (dans le cas des membres supérieurs) par rapport au reste du corps » (voir Le Gall et Peigneux, 2003). Son

point de vue s’étaye sur des résultats expérimentaux montrant que les patients qui présentent une apraxie pour l’imitation de gestes non-significatifs sont également déficitaires lors de la réalisation de ces gestes sur un mannequin (Goldenberg et Hagmann 1997) ou dans des tâches d’appariement de ces gestes (Goldenberg, 1999).

Goldenberg (1997) propose une conceptualisation du schéma corporel et de ses troubles en distinguant trois niveaux de perception et de représentation de son propre corps. D’abord, un système de référence somato-centré pour l’activité motrice qui inclut des informations sur la configuration et la position du corps, permettant une coordination visuo- motrice vers les objets de l’environnement. Ce système automatique, hors conscience, dépendrait des aires 5 et 7 de Brodmann et son altération entraînerait une ataxie optique. Puis, une conscience de son propre corps intégrant des informations vestibulaires, tactiles, kinesthésiques, visuelles en une sorte de schéma corporel qui permettrait de connaître consciemment la position de son propre corps et de ses différents éléments. Cette conscience serait perdue dans l’hémiasomatognosie mais c’est sa persistance qui serait en jeu dans les sensations de membres fantômes. Enfin, des connaissances générales sur le corps humain :

- lexico-sémantiques : nécessaires pour dénommer, classer les segments corporels, décrire leur fonction ; elles sont en cause dans l’autotopoagnosie ou l’agnosie digitale,

- topographiques : identifiant les liens spatiaux des parties du corps, leurs positions les unes par rapport aux autres, leurs relations de proximité, leurs limites. Ces connaissances topographiques permettraient de relier la perception visuelle à l’exécution motrice comme dans l’imitation de gestes non significatifs, déficitaire dans l’apraxie idéomotrice.

2-3- Validation expérimentale des profils d’apraxie

Cubelli et al. (2000) apportent quelques modifications au modèle et proposent de le vérifier par une étude de groupe. Les modifications concernent la voie non-lexicale qui, a l’instar de Goldenberg, n’est, pour eux, pas directe mais intègre un module de conversion visuo-motrice. Ils précisent également que les lexiques d’actions d’entrée et de sortie ne peuvent pas être directement reliés. Enfin, Cubelli et al. (2000) proposent que les deux voies lexicales et non-lexicales convergent, non pas vers des "patterns innervatoires" dont les

caractéristiques se superposent, selon eux, à ceux du lexique de sortie, mais vers un "buffer gestuel", une mémoire à court terme gestuelle analogique au "buffer phonologique" du langage. Ensuite, ils détaillent les 5 apraxies qui peuvent être déduites par le modèle (voir également Bartolo et al., 2008) :

- A- "Pantomime agnosia" : déficit du lexique d’entrée avec anomalies de discrimination et de compréhension de gestes. Production préservée sur imitation et commande verbale.

- B- Apraxie conceptuelle (apraxie idéatoire) : déficit du système sémantique d’action avec difficultés de reconnaissance de gestes et d’utilisation effective d’objets mais préservation de l’imitation et de la production de gestes intransitifs sur commande verbale.

- C- Déficit du lexique de sortie : contrairement au tableau précédent, la reconnaissance de geste est préservée.

- D- Apraxie de conduction (apraxie idéomotrice) : déficit des mécanismes de conversion visuo-moteurs de la voie non lexicale. Difficultés d’imitation, particulièrement des gestes non-significatifs.

- E- Déficit du "buffer gestuel" (apraxie idéomotrice et idéatoire) : difficultés dans toutes les modalités de production de gestes. Les séquences sont plus affectées que les gestes isolés.

Pour tester ces prévisions, Cubelli et al. (2000) examinent les performances de 19 patients LHG et 20 sujets contrôles appariés. La batterie d’examen est constituée des épreuves suivantes : imitation de gestes intransitifs significatifs (gestes symboliques) ou non, production sur commande verbale de gestes symboliques, reconnaissance de postures d’utilisation et utilisation effective d’objets isolés. L’analyse statistique intergroupe montre que les patients LHG sont significativement moins performants que les sujets contrôles pour l’ensemble des tâches. Pour les tâches impliquant la reconnaissance et la production des gestes transitifs, 3 types d’erreurs sont différenciées : orientation, saisie et contenu (item cible utilisé comme un autre objet). L’analyse du type d’erreurs montre une prévalence des erreurs de saisie, elles sont plus nombreuses en modalité d’utilisation effective d’objets qu’en modalité de reconnaissance et elles sont significativement plus nombreuses que les deux autres types d’erreurs dans la tâche d’utilisation effective d’objets. Les auteurs précisent que ce type d’erreurs peut avoir plusieurs origines entre la coordination des différentes parties du corps et la sélection et la sériation des différents segments d’un programme gestuel.

Concernant les profils, 6 patients ne présentent aucun trouble praxique et 4 échouent toutes les épreuves. Les profils sont donc examinés auprès des 9 patients restants. Les profils A et B se retrouvent chacun chez un patient. Le profil E se retrouve pour 3 patients. Le profil C apparaît chez 3 voire 4 patients et le profil D chez 1 patient, en association probable avec le C. Il nous paraît important de noter que les 3 patients classés dans le pattern C, une altération du lexique de sortie, ne présentent pourtant pas le même profil de performance notamment au niveau de l’utilisation effective d’objets qui est soit échouée soit réussie. Le profil D n’est, quant à lui, pas clairement mis en évidence.

En conclusion, les auteurs soulignent l’intérêt d’un modèle cognitif précis pour comprendre des profils de performances dont les sémiologies traditionnelles ne peuvent rendre compte mais concluent également que leur travail soutient l'idée classique d'une dissociation entre les gestes transitifs (utilisation d'objets) et intransitifs. Cependant ils ajoutent que leur travail n’est pas pleinement concluant, notamment dans le sens ou de nouvelles épreuves doivent être créées pour valider l’ensemble du modèle. Par exemple, il apparaît nécessaire, pour eux, de tester l’utilisation d’objets sur imitation.

2-4- L’actualisation du modèle par Peigneux et al. (2004)

Dès 2000, Peigneux et Van der Linden proposent une Batterie d’Évaluation des Praxies inspirée par le modèle théorique de Rothi et al. (1991, 1997a) et les propositions de Goldenberg (1995, 1999) à propos des connaissances sur le corps humain et de l’analyse visuo-spatiale intervenant dans l’imitation de postures manuelles et digitales. Puis Peigneux et al. (2004) présentent une actualisation anatomo-fonctionnelle du modèle cognitif de l’apraxie des membres supérieurs à partir d’une exploration en imagerie cérébrale chez des sujets sains réalisant des tâches praxieques. Ce travail argumente nombre de propositions théoriques.

D’une part, des réseaux de différentes régions anatomiques sous-tendent différentes composantes du système praxique :

- Occipito-temporal bilatéral (MT – V5) : analyse visuo-gestuelle. - Temporal inférieur gauche : input praxicon.

- Pariétal inférieur gauche : connaissances sur le corps humain, gestes non familiers. - Pariétal supérieur : lien entre connaissances sur le corps humain et input praxicon.

- Temporo-frontal gauche : système sémantique.

- Sous-cortico-préfrontal (SMA, gyrus pré et post-central) : patterns innervatoires.

D’autre part, les régions permettant l’imitation de gestes nouveaux ne sont pas exactement les mêmes que celles permettant la réalisation ou l’imitation de gestes connus, ce qui argumente la proposition de deux voies (Rothi et al. (1991, 1997a) et les propositions de Goldenberg (1999, 2006) sur la spécificité des substrats anatomiques suivant les parties du corps. Enfin, le lexique d’entrée et le lexique de sortie ne sont pas anatomiquement distincts, les auteurs proposent de ne retenir qu’un système sous le terme de praxicon, les fonctions antérieurement dévolues au lexique d’entrée étant, selon eux, effectuées par un codage des parties du corps lors de l’analyse visuo-gestuelle.

Figure II-3. Modèle neuropsychologique révisé de l’apraxie des membres supérieurs Peigneux et al. (2004). Entrée visuelle objets Entrée auditivo- verbale Analyse visuo- gestuelle système de reconnaissance des objets Codage des parties du corps Connaissances du corps humain Système sémantique de l'action Lexique gestuel PRAXICON Sorties verbales Schémas innervatoires Systèmes sensori- moteurs