• Aucun résultat trouvé

2. CADRE THÉORIQUE

2.3 R ÉFÉRENTIELS THÉORIQUES ET MODÈLES D ’ ANALYSE DE L ’ AGIR LANGAGIER

2.3.2 Le modèle de l’architecture textuelle

Au plan théorique, l’ensemble conceptuel qui s’articule autour de ce modèle nécessite tout d’abord un ensemble de clarifications terminologiques. Afin d’éviter les confusions autour des notions telles que : discours, pratiques langagières, activité discursive engendrées par des usages différents, nous adopterons la terminologie proposée par Bronckart (1997).

Pour l’auteur, la réalité langagière ou l’activité discursive sont désignées par le terme d’agir langagier. Cette notion met en évidence la composante pratique ou physique de la prise de parole, mais également le caractère contextualisé des productions langagières.

L’agir s’exprime par la création d’un texte oral ou écrit qui utilise les ressources de la langue naturelle dans laquelle il s’inscrit. La notion de texte est définie par « toute unité de production verbale véhiculant un message linguistiquement organisé et tendant à produire sur son destinataire un effet de cohérence. […] cette unité de production verbale peut dès lors être considérée comme l’unité communicative […] » (Bronckart, 1997, p. 74).

S’agissant du concept de discours, l’auteur utilise cette notion spécifiquement dans le cadre de sa proposition des types de discours. Ceux-ci désignent des segments

de texte qui présentent une mise en forme d’éléments linguistiques distinctifs (organisateurs textuels, cohésion verbale/nominale) qui se retrouvent dans la diversité des genres.

Après ce bref éclaircissement terminologique, nous allons situer le modèle dans son contexte en abordant les conditions de production des textes.

Bronckart fait tout d’abord remarquer que toute conduite humaine se construit à partir d’un cadre composé de structures existantes qu’il qualifie de pré-construits socio-historique. Ceux-ci sont composés des paramètres langagiers et extra-langagiers relatifs au cadre dans lequel s’exprime toute production textuelle. Ces pré-construits issus de l’histoire sociale peuvent être organisés en quatre rubriques :

• Les activités collectives qui désignent les caractéristiques fonctionnelles et organisationnelles des organismes vivants ainsi que les rapports qu’ils établissent avec le milieu. Les activités de l’espèce humaine comprennent par exemple la production d’objets sociaux et d’œuvres culturelles.

• Les formations sociales, caractérisées par les structures concrètes qui organisent la vie collective (entre autres : institutions, associations). Ces formations construisent des règles, des normes et des valeurs qui deviennent des objets de négociation de la communauté.

• Les mondes formels de connaissance peuvent être désignés comme un système de représentations collectives de connaissance. Ce niveau se caractérise par un détachement sémantique et contextuel des savoirs pour s’organiser selon une configuration logique supra-ordonnée (voir Habermas, 1987).

• Les textes produits dans une langue naturelle donnée ainsi que les genres sollicités.

Sur ce dernier point, l’auteur fait remarquer que tout nouveau agir langagier se construit sur la base de genres de textes qui préexistent à la situation discursive.

Cette perspective révèle une dimension historique, qui se caractérise par la transmission et la transformation des genres par les générations précédentes. Elle révèle également une dimension sociale constituée par l’architexte qui correspond à l’inventaire de la totalité des genres d’une communauté socio-langagière donnée. La caractéristique principale des genres réside dans leur articulation et adaptation aux activités sociales. En raison de cette continuité interactionnelle, de l’évolution socio-historique du contexte et de la diversité des situations (par exemple : finalité, enjeu,

contenu, support), ces entités présentent une importante hétérogénéité et peuvent difficilement être organisées en une classification stable.

S’intéressant à l’infrastructure interne des textes, l’auteur propose un modèle susceptible de rendre compte des processus à l’œuvre dans une production verbale singulière. Selon ce modèle, tout texte se distingue par trois niveaux d’organisation hiérarchique (voir tableau 1.) qui interagissent entre eux, mais également avec des instances externes (par exemple : autres textes).

Les trois niveaux de l’architecture textuelle [tableau 1.]

Infrastructure Textualisation Prise en charge (Niv. Profond) (Niv. Intermédiaire) (Niv. Superficiel)

Les textes constitutifs du corpus ont été analysés au regard de ces différents niveaux et des sous-ensembles qui les composent. Les caractéristiques linguistiques révélées dans les catégories des trois niveaux de l’architecture textuelle permettront de mettre en évidence les différents types de discours présents dans les textes

Alors que les genres de texte se caractérisent par leur nombre infini liés à la diversité des sortes d’activités, les types de discours sont identifiables sur la base de critères linguistiques définis (entre autres : temps des verbes, connecteurs, modalisations) et limités à quatre configurations distinctes.

Les types de discours se révèlent dans les segments d’un texte. Quant à la production langagière, elle est composée généralement, de plusieurs types de discours. Enfin, un discours spécifique peut être présent dans une multitude de genres. Il est possible par exemple de recourir à la narration aussi bien dans les genres suivants : intervention politique orale, roman, recette de cuisine, chanson ou conte.

Les types de discours (en français)

Sur un plan théorique, la perspective proposée pour définir les types de discours s’élabore autour du rapport entre la construction d’un monde discursif représentant l’activité langagière et le monde ordinaire représenté généralement par des agents humains.

Le rapport entre ces deux mondes peut être différencié lorsque les représentations utilisées renvoient à des faits passés, à venir ou imaginaires. Cette opération est alors appelée disjonction. Elle est spécifiée par un ancrage d’origine spatio-temporelle qui marque une rupture par rapport au contexte d’énonciation9.

« Les faits organisés à partir de cet ancrage sont alors racontés [...] . Quand les faits ne s’ancrent dans aucune origine spécifique [...] et demeurent accessibles dans le monde ordinaire des protagonistes de l’interaction langagière ; ils ne sont pas racontés, mais [...] exposés. Nous parlerons dans ce cas d’opération de conjonction et de disjonction nous permettant donc de repérer deux mondes discursifs, l’un de l’ordre du raconter et l’autre de l’ordre de l’exposer » (Bronckart, 1997, p. 155).

9 L’accès au processus discursif de disjonction est une caractéristique que l’on observe dans l’évolution du discours chez l’enfant. En effet, l’émergence de cette capacité de relater des événements passés, comme le déroulement de sa journée scolaire, émerge en général entre six et huit ans.

Dès lors que les représentations s’organisent en référence avec les faits du contexte d’énonciation et qu’elles ne présentent pas de marqueurs linguistiques d’origine spatio-temporelle, ce processus est appelé conjonction.

Les travaux de didactique genevoise des langues proposent d’ajouter à ces deux mondes discursifs deux opérations explicitant leur rapport aux paramètres de l’action langagière. Celles-ci se définissent en fonction des instances de l’énonciateur, de l’interlocuteur ainsi que des indices spatio-temporels de la situation.

Dans la première opération, soit le texte explicite par des marques linguistiques un rapport d’implication que ces instances et indices entretiennent avec l’action langagière, de sorte que l’interprétation du discours nécessitera l’accès aux conditions de production. Alors que dans la seconde, le rapport entre l’acte de production et le moment de l’interaction ne comporte pas de traces verbales explicites et le texte se présente alors dans une relation d’autonomie à l’égard de l’action langagière et de son interprétation.

Ces deux opérations déterminent l’implication et l’autonomie du texte dans son rapport à l’acte de production. En combinant ces deux types de paramètres avec les deux mondes discursifs évoqués, qui sont l’EXPOSER et le RACONTER, nous accédons aux quatre mondes discursifs proposés par l’équipe de didactique genevoise des langues.

Tableau des types de discours (Bronckart, 1997, p.159) [Tableau 2.]

Coordonnées générales des mondes Conjonction /

EXPOSER Disjonction /

RACONTER Implication Discours interactif Récit interactif Rapport

à l’acte

de production

Autonomie Discours théorique Narration

Cette approche sur les types de discours constitue le niveau inférieur dans l’articulation avec le genre de textes. De ce fait, ce niveau est constitué de

caractéristiques linguistiques (telles que expression de temps des verbes, modalisations) qui s’organisent de manière infra-ordonnée.

Les figures d’action

Dans une perspective centrée sur les processus de mise en forme interprétative de l’agir, Bulea (2004, 2007) s’est intéressée aux mécanismes langagiers et aux choix discursifs mobilisés par les actants lors d’entretiens de recherche.

L’auteure situe les figures d’action comme un niveau intermédiaire de la textualité.

Les figures présentent une forme de cohérence, mais cette forme ne repose pas essentiellement sur le contenu thématique, mais plutôt sur la saisie qu’une personne effectue par le langage sur son agir.

Pour l’auteure, la saisie de l’agir est composée d’un ensemble de dimensions discursives (agentivité, modélisation, organisation temporelle, déterminismes externes) qui, lorsqu’elles s’articulent, offrent lors de l’interprétation différentes figures d’action possibles. De ce fait, le processus interprétatif d’un agent sur un agir donné peut-être composé d’une alternance de figures d’actions.

Le tableau des figures d’action [Tableau 3.]

Précisons que le modèle proposé dans la thèse de Bulea comprend une figure d’action supplémentaire (l’action définition). Cette distinction est principalement due au fait que la construction de la grille d’analyse du corpus textuel de ce mémoire repose sur un article scientifique antérieur (Bulea & Fristalon, 2004).

Après ces clarifications conceptuelles ainsi qu’une brève présentation des modèles théoriques sur lesquels s’appuie ce travail, nous allons aborder la problématique spécifique de ce mémoire.