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Pour clore ce mémoire, nous évoquerons, par rapport à la problématique de départ, les points essentiels auxquels cette démarche a abouti. Ensuite, nous indiquerons les limites de ce travail ainsi que les implications pratiques qu’il pourrait révéler par rapport au champ du travail social ainsi qu’au domaine général de la formation.

Le questionnement de départ de cette étude visait une meilleure compréhension de l’agir langagier de praticiens socio-éducatifs dans l’exercice de trois situations spécifiques de l’enseignement spécialisé. Comme nous l’avons évoqué, le champ du travail social se caractérise notamment par une importante mobilisation de l’activité langagière. Bien que l’on attribue à cet « outil » une fonction de développement, certains auteurs font remarquer que celui-ci reste peu décrit et peu analysé dans sa structure et son organisation.

Dans cette optique, ce travail a articulé différents modèles, à partir d’outils d’analyses proposés par un groupe de recherche (LAF), ceci afin de mieux saisir la complexité de l’usage du langage en situation et de montrer ainsi différents éclairages possibles de l’activité langagière dans cette tentative de compréhension de l’agir.

Les points essentiels de ce travail

Voici une sélection de différents points issus de l’interprétation de nos données en relation avec le questionnement de départ et concernant les propriétés de l’activité langagière de ce corpus :

Premièrement, en ce qui concerne le rapport entre situations d’interactions sociales et construction des textes, l’utilisation des cadres actionnels a montré la complexité ainsi que la diversité présente dans chaque situation d’interaction. En effet, le corpus a révélé qu’une situation d’interaction peut être composée d’une multitude d’informations intervenant de cadres sociaux différents ayant des enjeux et des finalités diverses (enjeux psychosociaux et dimension communicationnelle).

Par ailleurs, le choix méthodologique d’une approche contrastive centrée sur diverses activités sociales (cf. groupes de textes) nous a permis de constater une corrélation entre groupes de textes et présence majeure de types de discours, ainsi

qu’une prédominance de certaines catégories thématiques (par exemple : segments portant sur le stage dans les productions orales, ou segments sur l’évaluation du jeune pour l’écrit interne).

Par ailleurs, nous avons souligné la fonction « articulative » des genres entre les caractéristiques des textes et une situation d’action langagière dans laquelle les textes sont produits. Ceci en montrant par exemple le rôle d’homogénéisation et de transmission du genre professionnel qu’opère l’utilisation d’un instrument comme le canevas dans les écrits internes. Néanmoins, la mise en évidence des cadres sociaux, nécessaires à l’intelligibilité d’interprétation des situations d’interactions ainsi que le recours des opérateurs à certains choix discursifs et de genres, ne doit pas ignorer la diversité constitutive et nécessaire des textes (autant sur le plan thématique que discursif) du corpus. Cela tient du fait que les propriétés des textes sont liées tant à la singularité d’interprétation des actants qu’à la constante évolution des situations d’interactions.

Deuxièmement, s’agissant de l’agir langagier singulier et de son organisation dans des situations spécifiques, la structure et la composition de ce corpus a relevé deux types de données : des documents textuels qui correspondent au travail représenté, dont la forme se caractérise du point de vue du processus temporel comme un résultat (écrit interne/externe) et des productions effectives qui présentent la forme d’un processus en cours montrant, par exemple, l’émergence de figures d’action.

Ces dernières donnent un accès important à la mise en jeu de fragments d’interprétation (activités signifiantes) des opérateurs par rapport à l’agir.

Dans l’ensemble, nous avons relevé l’importance et les caractéristiques de la relation entre les types de discours, les genres et les situations d’activité. Par exemple, nous avons montré que dans l’architecture textuelle, le niveau des genres présente une importante hétérogénéité alors que les types de discours, qui se composent de caractéristiques linguistiques infra ordonnées, permettent au praticien d’exploiter sur le plan de l’infrastructure des configurations stabilisées (types de discours).

Néanmoins, comme nous l’avons mis en évidence pour le groupe des textes externes, le rapport à un agir d’une situation sociale donnée (par exemple : la planification d’un stage) ne correspond pas forcément à un texte spécifique (l’agir langagier). De plus, l’articulation entre agir langagier et genre n’est pas déterminée,

puisqu’elle dépend d’une part de la décision et, d’autre part, des connaissances de l’architexte dont dispose l’opérateur.

Troisièmement, concernant la manière dont ces formes interprétatives se construisent, nous avons montré qu’elles présentent une variation du degré d’actorialité différente en fonction des situations de communication. De sorte que le praticien socio-éducatif dispose d’une pluralité de positionnements ou de prise d’identité suivant les situations d’interactions.

Par ailleurs nous avons aussi relevé que l’actant avait le choix de mobiliser des formes de raisonnements différentes, caractérisées par les types de discours pour transmettre ses réflexions et connaissances.

Voici en fonction des groupes textuels du corpus analysé, l’interprétation des tendances majeures des processus de pensée observée :

• Productions orales : raisonnement de type sens commun (discours interactif) et raisonnement causal/chronologique (récit, narration).

• Ecrits internes : raisonnement logico-argumentatif (discours théorique) + raisonnement causal/chronologique (récit interactif)

• Ecrits externes : raisonnement logico-argumentatif (discours théorique) + sens commun (discours interactif)

Limites et difficultés

Par rapport aux limites et aux difficultés rencontrées dans l’élaboration de ce mémoire, nous avons choisi de sélectionner quelques éléments significatifs du processus de réflexion qui ont surgi à propos de la problématique dans le cheminement de ce travail.

Notons tout d’abord l’ambition d’un travail cherchant à saisir et comprendre l’activité langagière de praticiens socio-éducatifs d’une structure donnée. En effet, les données du corpus sont construites à partir d’un choix de tâches spécifiques produites par trois professionnels singuliers dans un espace temporel défini et ne

constituent dès lors qu’un éclairage partiel d’une facette de cet agir. De plus, ce mémoire ne constitue bien évidemment qu’une interprétation personnelle dans un champ des possibles.

Précisons aussi la tentation de réduire des situations complexes traversées par des processus de répétitions et de transformations permanentes en expériences génériques et qui reviendraient à nier toutes possibilités de perturbations interne ou externe en inscrivant de fait l’activité langagière comme un système stable et autarcique.

Pour terminer, notons encore l’enthousiasme de mettre à l’œuvre et d’essayer d’articuler un ensemble de modèles et d’outils méthodologiques rencontrés au cours de la formation et nécessitant un effort conséquent d’appropriation et de

« stabilisation » de concepts.

Implications pratiques

Ce travail présente sur le plan de l’implication pratique un ensemble de questions issues des productions textuelles des praticiens. Deux dimensions ont particulièrement retenu notre attention :

En premier lieu, les productions langagières observées ont montré notamment qu’une des tâches de l’activité des travailleurs sociaux consistait à produire pour l’institution des interprétations sur les conduites et capacités d’autrui. En effet, les contraintes d’homogénéisation des pratiques issues de l’organisation (cf. canevas, chap. 6.3) nécessitent que le praticien effectue un processus dialectique entre des tâches à dimension relationnelle et institutionnelle. L’analyse du corpus a montré notamment que le praticien recourait à des stratégies de variations du degré d’actorialité tant dans le déroulement de l’interaction qu’en fonction des situations de communication.

La connaissance de ce type de stratégies dans l’activité langagière peut-elle être présentée comme un outil d’analyse pertinent pour mieux comprendre les enjeux liés aux différentes tâches qui constituent une activité spécifique du travail social? Le repérage du positionnement professionnel peut-il donner des indications sur la nature de l’activité?

En deuxième lieu, les différents groupes de textes de ce corpus ont également montré une absence d’explicitation des processus de développement et d’évaluation mises en place par les professionnels. Cet élément pourrait corroborer la difficulté rencontrée dans ce travail à trouver des traces écrites de réflexion sur le dispositif conceptuel, ainsi qu’une pensée critique des modèles théoriques de référence (pas de sources, de références mentionnées) dans lesquels l’organisation et ses agents se pensent. Cette remarque est-elle observable et valable dans d’autres structures de ce champ?

Si tel est le cas, cet espace d’exhibition restreint présente à notre avis deux effets majeurs pour la pratique du travail social. Tout d’abord, il évite que les activités soient soumises aux critiques, ceci en réduisant le risque d’exposition lié à la confrontation des idées. Ensuite, cette absence de débat pourrait diminuer l’occasion de visibilité et valoriser les pratiques auprès du monde scientifique et de la cité, ainsi que négliger certains processus qui favorisent le développement des pratiques.

Bien que ce commentaire d’une participation limitée aux arènes délibératives puisse être liée à des fonctionnements organisationnels (par exemple : division du travail, rapport de pouvoir), nous pouvons supposer que cette restriction à un espace de reconnaissance participerait probablement aux facteurs de « souffrance » exprimés par certains travailleurs sociaux (opérateurs de service).

Dès lors, quels engagements sur le terrain et quels dispositifs formatifs pourraient favoriser des espaces d’exhibition et participer à une meilleure reconnaissance de cette pratique?

Pour terminer, il nous semble nécessaire de relever l’importance, pour les dispositifs de formation qui favorisent des approches d’analyse des pratiques, de développer et d’intégrer l’activité langagière en explicitant non seulement les rôles et les fonctions générales du langage mais également d’associer une description et une analyse rigoureuse de ces modes d’organisation et des processus qui s’y déploient.

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9. ANNEXES:

Annexe A : transcriptions des productions orales

Annexe B : groupe des écrits internes

Annexe C : groupe des écrits externes

Annexe D : convention de transcription

Convention de transcription des productions orales :

Locuteur : Identification du locuteur / // /// : pauses de longueur variable

Gras : intonations fortes

Souligné : segments de parole chevauchés

xxx : séquences inaudibles

^ v : intonations montante et respectivement descendante

( ) : comportements sonores non-sémantique /

commentaires ajoutés par le transcripteur

Annexe E : liste des acronymes

Liste des acronymes :

ASPAS : Association suisse des professionnels de l’action sociale

CIM-10 : Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes

CMPAD : Centre médico-pédagogique pour adolescents de Dumas CPS : Code pénal suisse

DEP : Département de l’enseignement primaire DIP : Département de l’instruction publique

DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux EFP : Ecole de formation pré-professionnelle

ISD : Interactionnisme socio-discursif

LAF : Groupe de recherche langage action et formation LIP : Loi sur l’instruction publique

OJ : Office de la jeunesse

SMP : Service médico-pédagogique

SRED : Service de la recherche en éducation