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Mobiliser les concepts de SE et l’état de référence pour éclairer les représentations Comme nous l’avons montré lors de l’état de l’art, les dynamiques des paysages peuvent faire

Synthèse de la Partie

Chapitre 3 : Un cadre conceptuel original associant les concepts de services écosystémiques et d’état de référence

3.3. Mobiliser les concepts de SE et l’état de référence pour éclairer les représentations Comme nous l’avons montré lors de l’état de l’art, les dynamiques des paysages peuvent faire

l’objet de multiples représentations (Friedberg, Cohen, et Mathieu 2000; Deuffic 2005). Le concept de représentation, issu de la psychologie sociale et de la psychologie cognitive, a trouvé

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sa place en géographie au cours des années 1970 avec le développement de la géographie des représentations autour des travaux d’Antoine Bailly et de Jean-Paul Guérin (Bonin 2004). L’étude des représentations s’est particulièrement appliquée au paysage car ces deux concepts, tels qu’ils se développent en géographie dans la deuxième moitié du XXème siècle, partagent la même préoccupation pour la subjectivité par rapport au territoire (ibid). Dans le champ de l’étude des représentations, on distingue les représentations sociales et les représentations individuelles. Les premières sont dynamiques, elles se créent au sein de groupes sociaux, elles facilitent les interactions sociales et forment une interface entre le domaine social et le domaine individuel (Moscovici 1961; Jodelet et Collectif 1989, cités par Vuillot 2015). Dans le cadre de notre thèse, nous nous intéressons surtout aux représentations individuelles. Les représentations individuelles (ou modèles mentaux) sont construites sur la base des expériences personnelles, des perceptions et de la compréhension du monde de chaque individu ; elles constituent à la fois un filtre qui s’applique dans la compréhension du monde, et une base sur laquelle les acteurs s’appuient pour faire des choix et engager des actions (Jones et al. 2011).

L’étude des représentations semble donc une étape indispensable pour comprendre comment s’opèrent les choix sociaux liés aux dynamiques paysagères. Nous proposons ici un cadre d’analyse original qui combine le concept de SE et celui d’état de référence pour éclairer la diversité des représentations des acteurs sur les dynamiques paysagères.

3.3.1. Le concept de SE pour comprendre la diversité des représentations associées aux paysages

La littérature sur l’évaluation des SE distingue trois types d’évaluation : une évaluation écologique, centrée sur l’évaluation de la capacité des écosystèmes à fournir les SE ; une évaluation économique, qui peut s’opérer par l’évaluation directe (estimation de la valeur des SE sur le marché) ou indirecte (estimation de leur valeur cachée) et enfin, une évaluation sociale, qui permet d’évaluer l’importance des SE pour les acteurs (de Groot, Wilson, et Boumans 2002). L’évaluation sociale des SE s’appuie sur la reconnaissance des incertitudes élevées inhérentes au concept de SE (Barnaud, Antona, et Marzin 2011; Barnaud et Antona 2014). Dans les cas où les objets présentent des incertitudes élevées et un fort enjeu pour les acteurs, comme les SE, l’approche par l’expertise se trouve inadaptée (Funtowicz et Ravetz 1995). Dès lors, l’identification et l’évaluation des SE ne peuvent pas seulement s’opérer « à dire d’expert », et il est indispensable d’impliquer les parties prenantes dans l’évaluation des SE (Chan, Satterfield, et Goldstein 2011; Dendoncker et al. 2013; Maris 2014).

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Dans notre étude, nous allons utiliser le concept de SE afin de révéler les divergences de représentations. En effet, dans une perspective constructiviste, les SE n’existent pas « en soi », mais seulement dans la mesure où ils sont perçus par des bénéficiaires (Barnaud et al. 2018). Ainsi, ce qui est un SE pour l’un ne sera pas forcément pour l’autre, voire sera un disSE pour l’autre. De fait, identifier les SE perçus par les acteurs sera un moyen de révéler les divergences de représentations entre les acteurs. Notre proposition est donc que les gens définissent eux- mêmes les SE, des études ayant montré qu’il existe des différences importantes entre les listes préétablies et les listes citées par les acteurs interrogés (Lamarque 2012). Ainsi, nous aurons deux niveaux d’informations : premièrement, un inventaire des SE perçus par les acteurs, et deuxièmement, les divergences éventuelles de représentations entre les acteurs. A la différence de nombreuses études qui mobilisent des méthodes quantitatives d’évaluation des SE (qui peuvent être monétaires, comme l’évaluation du consentement à payer, ou non, comme le ranking, et être réalisées par l’expertise ou par des méthodes participatives), nous avons favorisé une approche qualitative et compréhensive, afin de pouvoir comprendre en profondeur les représentations des acteurs sur les dynamiques paysagères. A nos yeux, cette dimension, essentielle dans l’étude des SE, reste insuffisamment prise en compte.

De nombreux auteurs ont utilisé cette approche pour mettre en évidence la diversité des représentations associées au concept de SE. Selon Hein (2006), les différences de représentations peuvent s’expliquer par les effets d’échelles. Une étude menée dans les zones humides des Pays-Bas montrent que certains SE comme les SE d’approvisionnement, sont perçus à l’échelle municipale, d’autres, comme les SE de récréation, aux échelles municipale et provinciale, tandis que le SE de valeur de biodiversité est perçu aux échelles nationale et internationale. La représentation des SE, outre cet effet d’échelle, dépend également du profil des personnes interrogées. Dans une étude de cas dans une zone de montagne dans le Nord-Est de l’Espagne à travers des focus groups, les résultats montrent des divergences de représentation entre les agriculteurs et les urbains : les agriculteurs accordent plus d’importance aux SE de régulation (prévention des feux de forêt, maintien de la fertilité du sol, prévention de l’érosion, fourniture de matières premières), tandis que les urbains accordent plus d’importance aux SE culturels en particulier les SE de récréation, d’expériences spirituelles et culturelles et d’approvisionnement de biens alimentaires (Bernués et al. 2014). Lamarque et al. (2011) imputent aussi les différences de représentations aux différences de savoirs, identifiant des différences en fonction du type de connaissances mobilisées (savoirs des experts régionaux acquis par l’éducation et savoirs empiriques des agriculteurs). Enfin, une étude sur les bois

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pâturés en Suède montre des divergences de représentation des SE entre les acteurs agissant à l’échelle locale et ceux qui agissent à l’échelle régionale, mais également des synergies dans ces représentations, puisque les SE culturels sont perçus indifféremment par les acteurs, ce qui peut être le levier pour la mise en place de politiques de conservation des bois pâturés (Garrido, Elbakidze, et Angelstam 2017). On comprend dès lors que l’analyse des représentations va permettre d’identifier les divergences, mais aussi les convergences de points de vue, ce qui peut être le préalable à des actions de gestion ou de concertation.

Pour la question des dynamiques paysagères, qui nous intéresse, l’approche par SE nous a paru particulièrement intéressante, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’approche par SE permet de différencier les représentations des paysages à l’échelle de l’écosystème. Nous avons noté que la question de la « fermeture des paysages » oppose de façon binaire les paysages ouverts et fermés (Le Floch et Devanne 2003). Entrer dans les représentations par le biais de l’écosystème permet de dépasser l’opposition binaire ouvert/fermé, en explicitant les éléments importants pour les acteurs au sein des paysages ouverts et des paysages fermés, et au-delà, que les paysages ouverts ou forestiers sont composés par différents écosystèmes qui seront perçus différemment par les acteurs. Cela nous permettra aussi de comprendre comment sont perçus les paysages qui échappent à cette binarité ouvert/fermé, comme les espaces intermédiaires (lisière, végétation basse, friche…) ainsi que la mosaïque paysagère (associant plusieurs types d’écosystème).

Nous proposons de combiner ce concept de SE avec celui de l’état de référence, que nous présentons ci-dessous.

3.3.2. Le concept d’état de référence pour replacer les dynamiques paysagères dans une dimension descriptive et normative

Si Pauly (1995) a mis en évidence le rôle de la mémoire (et de ses biais) dans la construction de l’état de référence, Papworth (2009) va plus loin, en caractérisant différents types de glissements de l’état de référence : l’amnésie générationnelle, où les nouvelles générations ignorent les conditions biologiques passées et l’amnésie personnelle, où les personnes perdent la mémoire de leurs propres expériences. Il met également à jour les phénomènes de mémoire illusoire, où les personnes relatent un état passé de l’écosystème qui n'est pas confirmé par les scientifiques, et l’aveuglement du changement où les gens continuent à se référer à l’état de référence sans remarquer les changements qui ont affecté l’écosystème. Ces deux auteurs ont mis en évidence le rôle de la mémoire dans la construction de l’état de référence : en fonction de l’altération ou des déformations de la mémoire, l’état de référence va être amené à évoluer.

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Cependant, l’état de référence ne se construit pas que sur la mémoire. Keilty et al. (2016) identifient également l’état de référence expérientiel (l’expérience personnelle modifie l’état de référence en créant une tolérance au changement) ; l’état de référence évolutionniste (qui est prédisposé par des conditions génétiques) ; l’état de référence culturel (qui évolue sous l’effet des normes culturelles). Finalement, on peut voir que les personnes mobilisent différents états de référence, en fonction de leur expérience, de leur mémoire, de leur âge ou de facteurs culturels.

Dans le cadre de notre thèse, l’identification de l’état de référence va donc permettre de comprendre comment les acteurs analysent la dynamique des paysages en cours. En effet, nous avons montré dans l’état de l’art que l’état de référence a une forte valeur descriptive et normative. De fait, identifier l’état de référence va permettre de comprendre non seulement comment les acteurs donnent du sens logique aux dynamiques qu’ils observent mais aussi le jugement qu’ils portent sur ces dynamiques.

3.3.3. Complémentarité des concepts de SE et d’état de référence pour l’analyse des représentations

L’originalité de notre approche tient à la combinaison des concepts de SE et d’état de référence pour comprendre les représentations des acteurs. En effet, nous considérons que l’approche par les SE va permettre de révéler les divergences de représentations des différents paysages, comme nous l’avons expliqué dans la section 3.3.1. Cependant, cette approche par SE montre des limites en ce qui concerne l’étude des dynamiques paysagères, car elle donne une représentation ponctuelle des paysages. A l’inverse, l’état de référence nous permettra de replacer les dynamiques paysagères dans une trajectoire, que ce soit d’un point de vue descriptif ou normatif. Finalement, ces deux cadres d’analyse nous ont paru complémentaires, et nous supposons qu’ils vont nous permettre de révéler les diversités de représentations des dynamiques paysagères, que l’on considère comme un préalable à l’étude des choix sociaux.

3.4. Expliciter les mécanismes sous-jacents aux choix sociaux liés aux dynamiques

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