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Quelles contributions et limites du concept de SE pour penser les paysages de référence ?

DisSE des paysages intermédiaires

9.3. Quelles contributions et limites du concept de SE pour penser les paysages de référence ?

Cette thèse s’inscrit dans le champ de la géographie sociale et culturelle, dans la lignée d’autres chercheurs ayant pris pour objet de recherche le paysage comme Yves Luginbühl, Augustin Berque, Hervé Davodeau, Pascal Marty, Anne Sgard, Sophie Le Floch ou Emmanuel Guisepelli. Dans le Chapitre 1, à partir d’une revue de la littérature, nous avons identifié plusieurs fronts de connaissances concernant les paysages de référence, auquel nous avons tenté de répondre dans notre thèse. Nous voudrions ici identifier dans quelle mesure le concept de SE a contribué aux réponses que nous avons pu apporter, en particulier en ce qui concerne la

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diversité des représentations, le rôle de l’état de référence dans la gouvernance et enfin la question du degré de naturalité.

Le premier front de recherche que nous avons identifié dans la section 1.5 est la question de la diversité des représentations des paysages de référence. Cela est particulièrement important dans la mesure où, nous l’avons expliqué, les paysages de référence sont souvent mobilisés comme étant consensuels ou comme étant basés sur une neutralité scientifique, ce qui peut limiter la prise en compte de certains points de vue ou masquer les rapports de force. Nous avons montré dans la section 6.4.1 que l’état de référence n'est pas unique, mais qu’il est mobilisé différemment dans les discours. En particulier, en parallèle de la référence au milieu du XIXème siècle, qui correspond au minimu forestier, nous avons noté l’émergence d’un état de référence antérieur, durant le Moyen-Âge, qui contribue à restaurer la légitimité des paysages forestiers. Dans quelle mesure le concept de SE a-t-il permis de mettre en avant la diversité des représentations de l’état de référence ?

A cet égard, nous pouvons dire que le codage des SE cités spontanément nous a permis de mettre en évidence les divergences de représentations des paysages, en montrant qu’un même élément de l’écosystème pouvait fournir un SE pour un acteur, qui ne sera pas forcément perçu comme tel pour d’autres, voire peut fournir un disSE pour d’autres acteurs. Cette idée est loin d’être nouvelle en géographie ; Berque (1999) explique par exemple au sujet de sa notion de « en-tant-que-écouménal » que les choses n’existent pas en soi mais dans la relation que les sociétés entretiennent avec elle, « à la limite, ce qui existe pour les uns n’existe pas pour les autres ». Ici, on comprend que l’apport du concept de SE n’est pas conceptuel mais méthodologique. En effet, le fait de coder rigoureusement les SE cités dans les entretiens, puis de les classer par catégorie et par type de paysage a permis de faire émerger rapidement une typologie des représentations des dynamiques paysagères. Ce codage nous a aussi permis de dépasser la simple dualité paysage ouvert/fermé, en montrant qu’un paysage se compose de plusieurs types d’écosystèmes, qui vont fournir des SE différents, et donc être perçus différemment par les acteurs, comme nous l’avons montré dans la section 7.1.1. C’est pourquoi on peut dire que le concept de SE à contribuer à la mise en évidence de diversité des représentations.

Le deuxième front de recherche que nous avons identifié est le lien entre l’état de référence et la gouvernance des paysages. Comme nous l’avons expliqué dans la section 1.5, l’état de référence est mobilisé dans la gouvernance des paysages, soit comme un objectif de gestion dans le cas des opérations de restauration, soit comme un élément fédérateur dans la

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gouvernance des paysages. Ce que nous avons montré dans nos résultats, et en particulier dans la section 6.4.2, c'est que les paysages de référence sont mobilisés de façon différente dans les discours, parfois comme un objectif, parfois comme un point de départ. Dans la section 7.6, nous avons mis à jour le fait que les paysages de référence sont largement mobilisés en tant qu’élément fédérateur, mais que leurs dynamiques restent un angle-mort de la gouvernance, dans la mesure où ils sont conçus comme immuables. Fort de ce constat, nous avons mis en évidence un besoin de concertation autour des paysages de référence. Quelle a été la contribution du concept de SE dans la mise à jour de ces résultats ?

Avec le recul, nous considérons que le concept de SE a permis d’expliciter les différences de points de vue entre les acteurs autour des paysages de référence. En effet, nous avons identifié que le paradigme de gestion « Il faut maintenir les paysages ouverts » était partagé par de nombreux acteurs. Mais au-delà de ce consensus, en explicitant les SE perçus par chacun des acteurs, nous avons pu mettre en évidence d’importantes divergences de représentations sur les caractéristiques des paysages ouverts, faisant émerger une nouvelle question « Maintenir les paysages, oui mais lesquels ? ». De façon très schématique, l’opposition entre un paysage ouvert qualifié de productif, qui fournit des SE d’approvisionnement et un paysage ouvert patrimonial, fournisseur de SE de régulation et culturel permet une première mise en évidence des divergences des représentations. Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est l’analyse des interactions entre SE, qui va permettre de mettre à jour les interdépendances sociales sous- jacentes aux dynamiques des paysages agricoles, telles que nous l’avons mobilisée dans la section 7.1. Ainsi, le concept de SE nous a permis à la fois de comprendre comment l’état de référence était mobilisé dans la gouvernance des paysages, mais aussi comment l’évolution des paysages agricoles restructure le jeu d’acteurs.

Enfin, la troisième question est le degré de naturalité de l’état de référence. On l’a vu dans la section 8.3.1, lors du JdR, les participants ont largement débattu du caractère naturel de l’état de référence, par opposition à artificiel. A cet égard, les paysages ouverts sont un exemple intéressant car les éléments emblématiques comme les prairies permanentes ou les chaos de granite, mélangent des caractéristiques anthropiques et naturelles. C’est également une question qu’ont adressé plusieurs forestiers (voir section 6.4.3) en questionnant le poids des facteurs culturels dans la définition des paysages de référence, invitant par là à réinterroger la place de la naturalité dans la définition de l’état de référence. Ces acteurs questionnent donc la possibilité de dépasser cette référence à la naturalité pour définir autrement la qualité du paysage de référence. Comment le concept de SE permet-il de se saisir de ces questions ?

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Nous l’avons expliqué dans la section 3.1, le concept de SE s’inscrit dans la tradition occidentale de la séparation entre l’humain et la nature. Cette séparation entre la nature et la société est peu adaptée pour l’étude des socio-écosystèmes comme les paysages agricoles, qui résultent de l’intrication des dynamiques écologiques et des facteurs anthropiques. Comme nous l’avons expliqué dans la section 3.1, dans la lignée de nombreux travaux, nous considérons dans cette thèse que les SE sont co-construits, ce qui permet de dépasser cet écueil. Toutefois, un des problèmes que nous avons identifié avec le concept de SE est sa difficulté à s’inscrire dans le temps long des relations entre l’humain et la nature. Ainsi, certains chaos de granite n’ont pas été co-produits par des fournisseurs de SE présents dans l’arène d’acteurs, mais par des générations passées, parfois plusieurs siècles auparavant. Les générations passées peuvent- elles être considérées comme des fournisseurs de SE ? De la même façon, si la question du glissement de l’état de référence inquiète, ce n'est pas tant pour les bénéficiaires actuels de SE, mais pour les générations futures qui pourraient subir les conséquences à long terme et irréversibles d’une dégradation aujourd'hui impalpable de l’écosystème. Les générations futures sont-elles des bénéficiaires de SE ? Le concept de SE semble offrir bien peu de réponses à ces questions importantes. Finalement, d’autres concepts comme celui de la solidarité écologique permettent de considérer que les « absents », c’est-à-dire les non-humains, les générations futures ou les exclus, sont des parties prenantes de la décision (Mathevet 2013). Une approche comme celle-ci pourrait permettre de dépasser la seule référence de la naturalité dans la définition de l’état de référence, et interroger sur notre responsabilité à maintenir la qualité de l’état de référence, non seulement pour les acteurs présents dans l’arène d’acteurs, mais aussi pour ceux qui n’ont pas de voix, comme les générations futures ou les non-humains. Finalement, dans les réponses que nous avons apportées aux trois fronts de connaissances que nous avions identifié, le concept de SE a contribué significativement à deux d’entre eux. En dépit des opportunités qu’il offre, le concept de SE présente certaines limites, comme la difficulté à dépasser une approche basée sur la distinction humain/nature. Dans la section suivante, nous approfondissons cette question, en interrogeant la métaphore du concept de SE, ses limites et les perspectives pour en sortir.

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