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Expliciter les mécanismes sous-jacents aux choix sociaux liés aux dynamiques paysagères

Synthèse de la Partie

Chapitre 3 : Un cadre conceptuel original associant les concepts de services écosystémiques et d’état de référence

3.4. Expliciter les mécanismes sous-jacents aux choix sociaux liés aux dynamiques paysagères

Comme nous l’avons montré dans l’état de l’art, les dynamiques paysagères vont être l’objet de choix entre les acteurs. Nous cherchons ici, d’une part à rendre explicites ces choix, et d’autre part à comprendre quels sont les mécanismes sous-jacents aux choix sociaux. Pour ce faire, nous allons mobiliser le concept de SE, d’état de référence, mais également le cadre dit des « trois i ». Nous présentons dans les paragraphes suivants les opportunités que nous semblent offrir ces concepts pour explorer ces questions.

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3.4.1. Rendre visible les choix sociaux grâce au concept de SE

Les dynamiques paysagères présentent un cas d’interactions socio-écologiques (social ecological trade-offs), qui émergent quand une action, par exemple une intervention d’aménagement, améliore un aspect au détriment d’un autre (Galafassi et al. 2017). Dans le cas des interactions socio-écologiques, les acteurs vont devoir faire des choix pour gérer ces interactions. Galafassi (2017) explique qu’il est indispensable de rendre ces choix transparents et visibles. Or, ces choix ne sont pas forcément explicités, ils peuvent même être faits de façon non-intentionnelle, voire inconsciente ou tabou (Rodríguez et al. 2006; Daw et al. 2015). Par ailleurs, l’impact de ces choix sur le système d’acteurs n'est pas forcément explicité et collectivement débattu : les situations gagnant-gagnant qui sont largement mises en avant, constituent plutôt des cas exceptionnels que la règle et elles masquent en réalité des situations, plus nombreuses où les choix liés aux interactions socio-écologiques se traduisent par des gagnants et des perdants (Daw et al. 2015; Turkelboom et al. 2017).

Expliciter les choix concernant les interactions socio-écologiques semble donc un préalable à une meilleure gestion de ces interactions, à la fois dans une optique pragmatique et éthique (Etienne et Collectif 2010; Barnaud et Antona 2014; Galafassi et al. 2017).

Plusieurs auteurs ont mis en avant l’intérêt potentiel du concept de SE pour expliciter les choix concernant les interactions socio-écologiques. En effet, les SE sont en interactions : certains sont en synergie, c’est-à-dire que l’on peut les optimiser conjointement, d’autres sont antagonistes, c’est-à-dire que l’optimisation de l’un amènera à la dégradation d’un autre (Bennett, Peterson, et Gordon 2009). Le terme trade-off en anglais désigne ces antagonismes entre SE, mais Turkelboom (2017) s’appuie sur l’acception économique du mot pour proposer une autre définition du terme trade-offs dans le cas des SE : « un choix de gestion ou d’usage des terres qui augmente la fourniture d’un ou plusieurs au détriment de la fourniture d’autres SE » (p.2). Cet auteur explicite donc bien l’idée que le fait d’éclairer les interactions entre SE va mettre en évidence les choix sociaux sur les interactions socio-écologiques, plus spécifiquement en rendant visible le fait que 1) les ressources humaines et naturelles sont finies, 2) les humains doivent faire des choix sur l’utilisation de ces ressources, 3) les choix impliquent des « sacrifices », représentés par le renoncement à la production de biens et de services qui découle de chaque choix (Turkelboom et al. 2017).

C'est pourquoi l’analyse des interactions entre SE est un moyen d’expliciter les choix sociaux et les impacts de ces choix sur les acteurs. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le cadre

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conceptuel développé dans le projet SECOCO dans lequel s'inscrit cette thèse (Barnaud et al. 2018). Ce cadre propose d'utiliser le concept de SE pour mettre en évidence des interdépendances entre acteurs qui n'étaient pas visibles ou peu explicites dans d'autre cadres, afin de réfléchir aux actions collectives potentielles ou existantes entre ces acteurs. Par rapport au concept de ressource par exemple, le concept de SE renvoie à une gamme plus large et plus diversifiée de liens entre l'homme et la nature. Ce cadre distingue trois types d’acteurs impliqués dans les interactions entre SE et disSE, les fournisseurs qui co-produisent, dégradent ou préservent les SE, les bénéficiaires de ces SE et les acteurs intermédiaires qui interviennent indirectement sur les SE par le biais de décision, d’animation ou d’information. Trois types d'interdépendances sont étudiées en particulier dans ce cadre : 1) les interdépendances entre les fournisseurs et bénéficiaires de SE, par exemple, entre l’éleveur qui façonne un paysage, et le touriste qui l’apprécie, qui est une relation asymétrique, dans la mesure où seuls les bénéficiaires dépendent des fournisseurs de SE ; 2) les interdépendances entre les bénéficiaires de SE, par exemple, des tensions potentielles entre chasseurs et randonneurs. Il peut s’agir d’interdépendances entre les bénéficiaires d’un même SE ou d’interactions entre les bénéficiaires de SE en interaction. On voit ainsi des conflits d’intérêts associés à l’existence de trade-offs entre SE ; 3) les interdépendances entre fournisseurs de services, par exemple, les organisations entre éleveurs pour maintenir les paysages ouverts ; ici aussi, il peut s’agir d’interdépendances entre les fournisseurs d’un même SE ou entre des fournisseurs de SE en interactions. De fait, par leur action, les acteurs vont favoriser certains SE plutôt que d’autres, et à l’inverse, les choix de favoriser certains SE plutôt que d’autres va les impacter.

Le concept de SE va donc être utile pour rendre visibles les choix sociaux liés aux dynamiques paysagères.

3.4.2. Explorer le rôle des intérêts, des institutions et des idées dans les choix grâce aux concepts d’état de référence et de SE

Afin de répondre à notre deuxième question de recherche, « Quels sont les mécanismes sous- jacents aux choix sociaux liés aux dynamiques paysagères ? », nous proposons de caractériser la façon dont s’opèrent les choix associés aux interactions entre SE. Dans ce cadre conceptuel, Barnaud et al. (2018) proposaient d’analyser les interdépendances sociales sous-jacentes aux SE selon quatre axes d’analyse : les représentations des interdépendances, le niveau d’organisation (spatial, social et écologique), les institutions (formelles et informelles) et enfin les relations de pouvoir. Dans le cadre de notre thèse, nous avons adapté ce cadre, en nous appuyant sur l’approche dite « des trois i » (Heclo 1994; Hall 1997). Cette approche, qui s’est développée en sciences politiques dans les années 1990, propose de montrer comment se

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combinent trois dimensions habituellement cloisonnée dans l’analyse : les intérêts, les institutions et les idées. L’apport de ces auteurs a été de montrer que, bien qu’ayant des postulats et qu’ayant été développées dans des courants différents, ces trois dimensions ne sont pas exclusives les unes des autres, mais qu’en les combinant, on améliore considérablement la compréhension des phénomènes sociaux. Cette approche a été développée dans le courant du néo-institutionnalisme, et a surtout été appliquée à l’analyse des politiques publiques, mais s’est aussi répandu à d’autres secteurs, notamment la gestion de l’environnement (Therville 2013). La notion d’intérêt postule que les acteurs font des choix en suivant une certaine rationalité, en fonction de leurs intérêts individuels, qu’ils cherchent à maintenir, défendre ou optimiser. Cette analyse éclaire ainsi les stratégies individuelles, mais aussi les dynamiques collectives de confrontation des intérêts à travers les conflits et les négociations (Hall 1997; Palier et Surel 2006). Dans le cadre de notre thèse, l’analyse des intérêts permet de comprendre quels sont les facteurs rationnels qui interviennent dans le choix des acteurs liés aux dynamiques paysagères. Nous nous appuyons en particulier sur le concept de SE pour analyser ces intérêts : en identifiant les SE et leurs bénéficiaires, nous allons pouvoir identifier ce qui est important pour les acteurs dans les paysages. Dans le cas d’antagonismes entre SE, nous allons pouvoir étudier les conflits d’intérêts, voire les conflits ouverts, qui opposent les bénéficiaires de SE. Cependant, l’analyse des intérêts concerne également les fournisseurs et les acteurs intermédiaires, pour lesquels nous allons étudier les raisons qui les poussent, intentionnellement ou non, à co-produire, préserver ou dégrader certains SE ou à en réguler l’accès.

L’analyse des institutions, qui s’intéresse au « tissu plus ou moins ancien et serré de règles et de pratiques », replace les choix des acteurs dans une perspective plus large, en révélant comment les institutions régulent ces choix (Palier et Surel 2006, p.13). Dans notre démarche de recherche, l’analyse des institutions permet de comprendre comment les choix des acteurs liés aux dynamiques paysagères sont encadrés par le biais de règles et de normes. L’analyse de la gestion des interactions entre SE permet de comprendre quels sont les mécanismes de marché, les institutions publiques ou des actions collectives qui régulent la fourniture ou l’accès aux SE. L’analyse des institutions passe par l’identification d’une arène d’acteurs, c’est-à-dire des acteurs qui sont concernés, en tant que fournisseurs, bénéficiaires ou acteurs intermédiaires, par les interactions entre des SE préalablement identifiés ; ainsi que par la caractérisation des règles et des normes, et de leurs éventuelles limites dans la gestion des interactions socio- écologiques. Le rôle des acteurs intermédiaires, qui interviennent pour animer, informer ou décider, sera particulièrement explicité dans l’analyse des institutions.

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Enfin, l’analyse des idées s’attache à comprendre comment les « paradigmes, référentiels et les systèmes de croyances » rentrent en compte dans les choix individuels ou collectifs. Tout choix est en effet sous-tendu par des valeurs, un diagnostic du problème et un objectif recherché. Dans notre travail de thèse, par « idée », on entend « idée des relations entre l’humain et la nature ». Ces idées orientent les choix des acteurs, car ces derniers vont chercher, à travers leurs choix, à préserver ou restaurer la qualité de la relation entre l’humain et la nature. A ce titre, mobiliser le concept d’état de référence peut être éclairant. Nous l’avons vu, l’état de référence à une forte valeur normative : il renvoie à une époque révolue de l’histoire des socio-écosystèmes, souvent conçue comme une période, sinon de climax, du moins d’équilibre (Chevassus-au-Louis et al. 2004). Cet état d’équilibre est également défini par une relation harmonieuse entre l’humain et la nature. En éclairant la diversité des états de référence, nous allons donc pouvoir éclairer les différentes conceptions des relations entre l’humain et la nature qui rentrent en présence dans les choix sociaux, et comment elles peuvent entrer en conflit.

L’apport de l’approche des « trois i » est de montrer comment ces trois dimensions s’articulent. Dans une logique de justification, les acteurs peuvent abandonner le registre de leurs intérêts et se référer à un principe supérieur. Le débat aboutit alors à la convergence sur un principe supérieur commun ou à l’affrontement de plusieurs principes (Boltanski et Thévenot 1991). Ainsi, le recours aux idées peut avoir pour finalité la légitimation des intérêts. Les institutions sont le lieu d’expression et d’arbitrages entre des intérêts divergents (Heclo 1994). Par ailleurs, afin de défendre leurs intérêts, les acteurs peuvent avoir recours aux institutions, qu’ils vont mobiliser comme une ressource stratégique (Palier et Surel 2006). Enfin, les institutions relayent et hiérarchisent les idées contradictoires, mais elles sont aussi des espaces de délibération qui vont avoir un pouvoir reconstructif ou transformatif des idées, contribuant ainsi à l’élaboration de normes. Elles ont également un rôle important dans la stabilisation et la diffusion des idées, car les nouvelles idées sont progressivement intégrées dans les procédures courantes des organisations, ce qui contribue considérablement à leur diffusion. Dans le cadre de notre thèse, nous allons montrer comment ces trois dimensions d’intérêts, d’institutions et d’idées se combinent pour déterminer les choix des acteurs liés aux dynamiques paysagères (Figure 2).

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Figure 2 : Cadre conceptuel mobilisé dans cette étude

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