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Analyse des intérêts : comment l’augmentation du dérochage et du retournement de prairies redessinent les interdépendances entre les acteurs ?

DisSE des paysages intermédiaires

7.1. Analyse des intérêts : comment l’augmentation du dérochage et du retournement de prairies redessinent les interdépendances entre les acteurs ?

Si les pratiques du dérochage et du retournement de prairie font débat, c'est parce qu’elles sont centrales dans les stratégies des acteurs. En effet, pour certains acteurs, ces pratiques sont un levier qui va leur permettre de défendre leurs intérêts en améliorant la qualité ou la quantité de SE dont ils bénéficient, tandis que pour d’autres elles représentent un risque de dégradation des SE dont ils sont bénéficiaires. Nous présentons ci-dessous les représentations des différents types de paysages ouverts et des SE qu’ils fournissent, afin de comprendre comment les intérêts des acteurs sont impactés par le dérochage et le retournement de prairies.

7.1.1. Représentations des types d’écosystèmes des paysages ouverts et des SE qu’ils fournissent

Nous avons recensé les SE des paysages ouverts mentionnés dans les entretiens, puis nous les avons classés selon le type d’écosystème (parcours, prairies permanentes, prairies temporaires) (Figure 20).

Figure 20 : SE des paysages ouverts mentionnés dans les entretiens, par type d’écosystème

Les parcours sont perçus comme les écosystèmes les plus importants en termes de SE : ils fournissent non seulement des SE d’approvisionnement (pour 37 individus) comme l’herbe, et des SE culturels (pour 32 individus), comme la valeur esthétique des paysages ouverts,

0 5 10 15 20 25 30 35 40 A p p ro vis io n n eme n t R ég u lati o n Cu ltu re ls A p p ro vis io n n eme n t R ég u lati o n Cu ltu re ls A p p ro vis io n n eme n t R ég u lati o n Cu ltu re ls Parcours Prairies permanentes Prairies temporaires N o m br e d 'ind iv idu s m ent io nn an t

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l’existence de la biodiversité ou encore les activités de loisirs. Cette synergie est mise en évidence dans les entretiens :

« Là-haut, qu’est-ce que vous voulez faire de mieux ? De l’eau y en a, y a l’attrait touristique, ils viennent pour voir la transhumance… c'est un joyeux équilibre . » [Eleveur ovin 1, EI20]

Les prairies permanente et temporaires ne fournissent pas les mêmes SE : les prairies temporaires sont perçues comme fournissant un fourrage plus abondant et plus qualitatif :

« Pour le lait, il vaut mieux des prairies artificielles21 que de la prairie naturelle22, parce qu’il y a des légumineuses dedans . » [Eleveur bovin laitier 2, EI]

Ce point peut faire l’objet de débat, cependant :

« Si la vache broute dans une prairie naturelle dans la quelle y a des centaines d’espèces végétales, elle aura une micro flore ruminale bien plus riche, et ça fera un animal plus résistant d’un point de vue immunitaire . » [Naturaliste 1, EI]

Les prairies permanentes sont davantage perçues comme fournissant des SE culturels (13 individus) que les prairies temporaires (4 individus). Les SE de valeur d’existence de la biodiversité est le plus cité, par 7 individus :

« Une prairie naturelle, ça va être une centaine d’espèces à l’hectare, donc y a de la diversité floristique, qui induira une diversité en insectes, qui in duira une diversité en vertébrés. » [Naturaliste 1, EI]

On voit donc que les paysages ouverts ne sont pas uniformes et sont perçus différemment par les acteurs.

Le dérochage et le retournement de prairies, qui induisent une conversion des parcours ou des prairies permanentes en prairies temporaires, vont modifier la quantité ou la qualité des SE fournis par les paysages ouverts. Ces pratiques impactent les SE : le dérochage et le retournement de prairies améliorent la quantité de foin, mais ont un impact négatif sur les SE d’approvisionnement (herbe, miel), les SE culturels (esprit des lieux, activités de loisirs et de sport, valeur esthétique et patrimoniale des paysages, existence de la biodiversité) et les SE de

20 EI = Entretien Individuel 21 Ou prairie temporaire 22 Ou prairie permanente

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régulation (régulation de l’érosion, qualité de l’eau) (Figure 21). On identifie trois types d’acteurs concernés par les pratiques de dérochage et de retournement de prairies : les fournisseurs/bénéficiaires de SE (les éleveurs) ; les bénéficiaires de SE (les apiculteurs, professionnels touristiques et touristes, les citoyens, les naturalistes) ; et les acteurs intermédiaires (les agents du PNC, les élus), dont nous allons présenter les intérêts dans les paragraphes suivants.

Figure 21 : Impact du dérochage et du retournement de prairies sur les SE et les acteurs

7.1.2. Les éleveurs, fournisseurs et bénéficiaires de SE

Les éleveurs sédentaires du Mont Lozère sont des éleveurs bovins, laitiers ou allaitants qui maintiennent les paysages ouverts par leurs pratiques. Ils sont donc les fournisseurs des SE associés aux paysages ouverts (Figure 21). L’analyse des entretiens montrent qu’ils mettent en avant ce rôle :

137 « Le peu d’entretien qu’on fait, faucher les prairies, avoir des vaches, si on disparaît, tu auras une forêt vierge… Et a près la faune, la flore, tout disparaîtra. » [Eleveur bovin allaitant 3, EI]

L’objectif des agriculteurs est d’atteindre l’autonomie fourragère, c’est-à-dire de garantir la production de SE d’herbe et de foin pour satisfaire les besoins de leur troupeau. La recherche d’autonomie fourragère est rendue plus cruciale du fait de la réduction des marges de production et en cas de conversion à la production biologique (l’achat de fourrage étant plus onéreux).

« On peut se retrouver dépendants d’intrants, d’achete r du fourrage... Une structure de montagne comme nous, on part du principe qu’il faut être dépendant au minimum. » [Eleveuse bovin allaitant 2, EI]

Dans cette optique, les cailloux sont considérés comme des disSE, qui entravent la production de foin en rendant difficile voire impossible la mécanisation :

« Ici, si tu veux labourer, tu fais 4 m et tu choppes des pierres… on peut pas labourer. » [Eleveur bovin allaitant 1, EI]

Le dérochage est donc considéré par les éleveurs comme indispensable pour atteindre l’autonomie fourragère dans la mesure où il permet la mécanisation des parcelles.

« Du dérochage, peut -être que j’en ferai d’autres, dans le souci d’améliorer l’autonomie fourragère, ou de la conforter, du moins . » [Eleveur mixte 1, EI]

Le retournement de prairies permet quant à lui d’augmenter la quantité de foin produite. Par ailleurs, des effets pervers de la PAC peuvent stimuler ces pratiques (par exemple, la soustraction des cailloux du calcul des surfaces primable incite au dérochage).

7.1.3. Les professionnels du tourisme, les touristes, les naturalistes, les apiculteurs, les citoyens : bénéficiaires de SE

Ces acteurs bénéficient des SE des paysages ouverts, qui sont coproduits par l’écosystème et les pratiques des éleveurs. La valorisation de ces SE peut se faire dans un objectif économique comme le développement d’une activité touristique ou la production de miel :

« On monte quelques ruches vers le col, il y a des prairies, pour faire un miel doux toutes fleurs. » [Apicultrice 1, EI]

D’autres personnes évoquent les bénéfices non-marchands dont ils bénéficient dans leurs activités de loisirs, comme cet élu :

« Je pratique la randonnée et la course à pied. Les crêtes du Mont Lozère, c’est un espace ouvert, avec une vision de loin… c’est prodigieux . » [Elu 5, EI]

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Les cailloux sont considérés comme des SE qui ont une valeur esthétique et patrimoniale :

« Chaque fois que je franchis le col, je m’arrête, je regarde les blocs de granite. Ça, on peut pas s’en passer, c'est un truc viscéral, on s’y attache « [Elu 3, EI]

Le dérochage et le retournement de prairies apparaissaient pour ces acteurs comme un risque de dégradation des SE dont ils sont bénéficiaires et dont ils dépendent.

« On enlève les boules de plusieurs tonnes. Le côté mystérieux et emblématique du lieu, on est en train de le changer « [Prestataire touristique 3, EI]

Face à ce qu’ils considèrent comme un risque, ces acteurs peuvent adopter un rôle d’alerte auprès d’acteurs plus influents, notamment auprès des acteurs intermédiaires.

7.1.4. Les agents du Parc National et les élus : des acteurs intermédiaires

Les acteurs intermédiaires régulent les pratiques des fournisseurs de SE et facilitent les arbitrages entre bénéficiaires de SE. Les élus sont concernés par la problématique du retournement de prairies dans la mesure où cela peut porter atteinte à la qualité de l’eau du fait de l’amendement, mais aussi car ces pratiques peuvent modifier les paysages de leur commune. Le PNC est mandaté par l’Etat pour préserver, au nom de l’intérêt général, l’équilibre entre la conservation de la diversité biologique, la poursuite du développement économique et la sauvegarde des valeurs culturelles. Dans un contexte d’augmentation du couvert forestier, le PNC vise à maintenir une activité agricole au sein du territoire, notamment la présence de troupeaux qui pâturent les parcours et freinent les dynamiques d’enfrichement et de boisement spontané. A cet égard, le dérochage et le retournement de prairies, qui peuvent être indispensables à la survie des exploitations, peuvent être considérés comme nécessaires au maintien des paysages ouverts.

« Du moment qu’on autorise et que l’on déclare comme prioritaire le maintien des gens en activité sur ce territoire, il est clair qu’il faut en accepter les effets sur le paysage et qu’il faut même en conserver les traces… » [Agent du PNC, CS23]

Paradoxalement, un trop grand nombre de dérochages et de retournements de prairies peut remettre en cause la valeur esthétique et patrimoniale des paysages ouverts, la biodiversité inféodée aux parcours, aux prairies permanentes ou aux rochers granitiques, ou les activités touristiques qui y sont associées, que le PNC a pour mission de protéger.

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Contrairement aux autres acteurs, le PNC n’a pas un positionnement unique vis-à-vis des pratiques. Les différents services du PNC illustrent cette diversité d’objectifs parfois contradictoires, certains privilégiant la biodiversité, d’autres les dimensions patrimoniales par exemple. Le PNC va donc chercher un compromis entre les SE des paysages ouverts, qui peut varier selon les contextes.

Au final, les pratiques de dérochage et de retournement de prairies sont tantôt un levier pour les fournisseurs/bénéficiaires de SE (les éleveurs) et un risque pour les bénéficiaires des SE (les professionnels du tourisme, les touristes, les apiculteurs, les citoyens et les naturalistes). Pour le PNC, il s’agit à la fois d’un levier et d’un risque, qu’il doit gérer cela en cherchant le meilleur compromis entre ces SE.

7.2. Analyse des institutions : Comment sont régulées les nouvelles interactions entre

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