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Analyse des représentations des dynamiques paysagères au prisme de l’état de référence et des SE

Evolution des cheptels (UGB)

Chapitre 6 Analyse des représentations des dynamiques paysagères au prisme de l’état de référence et des SE

Dans les sections 1.4 et 1.5, nous avons montré que la thématique de la « fermeture des paysages » est une construction sociale, qui véhicule implicitement l’idée que l’augmentation du couvert forestier induit un décalage entre l’état de référence, défini comme les paysages ouverts, et les paysages actuels. Or, sur le territoire du Mont Lozère, la thématique de « la fermeture des paysages » est très présente, notamment dans les documents de gestion. Ainsi, le terme de « fermeture » des paysages revient 13 fois dans le document d’objectifs de la zone Natura 2000, 9 fois dans le dossier de candidature à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et 6 fois dans la charte du PNC (PNC 2010; AVECC 2011; PNC 2013). Dans ce chapitre, nous avons voulu confronter cette représentation avec celle des acteurs de terrain. Plus spécifiquement, nous avons voulu répondre à la question « Quelles sont les diverses représentations des dynamiques paysagères ? ». Conformément à ce que nous avons relevé dans la littérature (voir section 1.6) et dans la présentation du site d’étude (voir section 4.5), nous nous intéressons ici à la fois aux représentations de l’augmentation du couvert forestier, de l’intensification des paysages ouverts et de l’interaction entre les deux dynamiques. Ce chapitre s’appuie sur les entretiens réalisés avec 46 personnes vivant ou travaillant sur le Mont Lozère, ainsi que sur les questionnaires réalisés avec 30 touristes, analysés avec les concepts de SE et d’état de référence, comme nous l’avons précisé dans la section 5.3.

Dans les paragraphes suivants, nous donnons en premier lieu des précisions méthodologiques sur le recensement des SE et de l’état de référence dans les entretiens semi-directifs. Puis nous montrons comment le recensement des SE éclaire des hypothèses de recherche que nous avons identifié dans la littérature. Ensuite, nous présentons une typologie des représentations des dynamiques paysagères. Enfin, nous montrons comment cette analyse permet de nourrir le débat sur l’état de référence et son rôle dans les représentations des dynamiques paysagères.

6.1. Recenser les SE et les états de référence mentionnés dans les entretiens pour accéder aux représentations : précisions méthodogiques

Dans les paragraphes ci-dessous, nous expliquons comment nous avons recensé les SE et les disSE ainsi que les états de référence cités spontanément dans les entretiens, en vue d’explorer

15 Les résultats présentés dans ce chapitre ont fait l’objet d’une communication : Au-delà de la fermeture du

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quatre hypothèses issues de la littérature : une préférence marquée pour les paysages ouverts, une référence culturelle aux paysages ouverts, une représentation négative des espaces intermédiaires, une complémentarité des écosystèmes à l’échelle paysagère.

6.1.1. Recensement des SE mentionnés dans les entretiens

L’évaluation qualitative (autre qu’économique) des SE perçus par les acteurs reste un défi méthodologique et identifier les SE spontanément cités par les acteurs lors d’entretiens semi- directifs semble une méthode adaptée (Felipe-Lucia, Comín, et Escalera-Reyes 2015). Plusieurs auteurs ont mobilisé cette méthode pour étudier les représentations des acteurs sur les écosystèmes, qu’ils s’agissent des aires protégées (Amin et al. 2015; Kovács et al. 2015), des bois pâturés (Garrido, Elbakidze, et Angelstam 2017) ou des arbres isolés au sein des paysages agricoles (Blanco et al. Submitted).

Nous présentons ci-dessous quelques précisions d’ordre méthodologique sur notre travail de recensement des SE. En effet, le concept de SE n’est pas évoqué spontanément dans les entretiens et nous avons choisi de ne pas suggérer ce terme aux acteurs, afin de ne pas introduire de biais. Nous avons posé la question des bénéfices que les personnes tirent de la nature à la fin de l’entretien, mais nous avons recensé tous les bénéfices que les personnes mentionnent, quel que soit le moment de l’entretien, par exemple quand elles décrivent les pratiques ou les dynamiques paysagères.

Nous avons choisi dans notre travail de considérer les facteurs anthropiques comme faisant partie de l’écosystème, nous approchant ici du concept de socio-écosystème, défini par Gallopin et al. (1989) comme un « système formé d’une composante sociétale (ou humaine) et d’une composante écologique (ou biophysique) » qui s’influencent mutuellement (p.33). Il résulte de cette définition une attention portée aux pratiques, considérées comme des facteurs intégrés à l’écosystème : en façonnant l’écosystème, elles vont déterminer la fourniture des SE et des disSE. Par exemple, une forêt exploitée en coupes rases fournira un disSE lié à son aspect inesthétique, là où une forêt d’essences mixtes, exploitée de façon irrégulière fournira un SE de valeur esthétique des paysages ou de loisir (promenade). Nous avons distingué quatre types de paysages, les paysages forestiers, les paysages agricole, les paysages intermédiaires (lisière et végétation basse) et enfin la mosaïque paysagère (les SE étant alors produits par une association de différents écosystèmes, par exemple, la valeur esthétique d’un paysage à la fois agricole et forestier). Dans ce chapitre, les paysages sont traités de façon homogène, par exemple nous n’avons pas distingué les différents types de paysages agricoles. Les paysages sont définis par les individus pendant l’entretien. Cela peut introduire des biais dans la classification, par

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exemple un bois pâturé sera considéré comme un paysage forestier pour l’éleveur, car il considère que du fait de la densité d’arbres, cet espace est « fermé », là où un forestier considèrera que cet espace est ouvert, en référence au code forestier, qui définit la forêt par des critères d’âge, de couverture et de densité. Les écosystèmes aquatiques (rivière, lac, tourbière) ont volontairement été exclus afin de se focaliser sur les interactions entre paysages agricoles et forestiers qui font l’objet de la thèse. L’eau est cependant présente dans ces paysages, par exemple le SE de source d’eau potable dans la forêt ou le disSE excès d’eau dans une parcelle agricole.

Les SE et disSE sont recensés aux six conditions suivantes : 1) la mention de la contribution (positive ou négative) au bien-être, par exemple, la description des rochers de granite n'est pas codée, mais si on mentionne leur valeur esthétique ou la contrainte qu’ils représentent pour la mécanisation, cela est codé en termes de SE et de disSE ; 2) l’amélioration/dégradation de son propre bien-être ou de celui des autres est pris en compte indifféremment : par exemple, un naturaliste qui explique que le loup est une espèce à protéger mais qu’il comprend que ce soit une contrainte pour l’éleveur est à la fois codé comme un SE (valeur d’existence de la biodiversité) et comme un disSE (prédation) ; 3) seuls les bénéfices/disSE actuels sont pris en compte, par exemple, l’exploitation du tanin de châtaigner aujourd'hui terminée n'est pas recensé ; 4) seuls les bénéfices/disSE réels sont recensés, par exemple le développement potentiel d’une filière maraichère sur le Mont Lozère n'est pas pris en compte ; 5) les éléments biotiques et abiotiques, comme la valeur spirituelle des cailloux, sont pris en compte 6) sont exclus les éléments liés au climat ou à la topographie, qui ne dépendent pas du type de paysage et qui ne peuvent pas faire l’objet d’aménagement (comme l’ensoleillement ou la pente). Enfin, nous avons fait le choix de comptabiliser le nombre de personnes qui mentionnent les SE ou disSE plutôt que le nombre d’occurrence des citations.

Nous avons utilisé et adapté la classification du Common International Classification of Ecosystem Services (CICES) (Haines-Young et Potschin 2018), qui présente une structure hiérarchique à partir de trois grandes catégories (les SE d’approvisionnement, de régulation, culturels) (Haines-Young et Potschin 2018).

6.1.1. Recensement des états de référence

En établissant la grille d’entretien, nous avons fait le choix de ne pas suggérer aux personnes interrogées de bornes temporelles sur les dynamiques paysagères. Ainsi, nous leur demandions comment ont évolué les paysages sur le Mont Lozère, sans leur indiquer de date. Notre objectif

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était d’identifier les états de référence spontanément évoqués par les personnes interrogée, et d’identifier les divergences éventuelles de représentation entre les personnes interrogées. Ce choix méthodologique a permis aux personnes interrogées de mobiliser dans leur récit leur expérience personnelle, mais également à d’autres sources comme des récits familiaux ou leurs connaissances. Ce faisant, nous différons de l’étude de Keilty at al (baseline of acceptability framework) (2016) qui analysent l’état de référence en se basant uniquement sur l’expérience vécue des personnes interrogées.

Nous avons ensuite codé, à l’aide du logiciel Nvivo, les états de référence mentionnés par les acteurs. Conformément à la définition de Maron (2015), un état de référence est codé à deux conditions : 1) il est utilisé comme élément de comparaison avec l’état actuel de l’écosystème, 2) l’état de référence a une fonction descriptive ou normative. Nous avons en outre codé les jalons historiques, c’est-à-dire les moments mentionnés pour donner des repères historiques au cours des évolutions.

6.2. Contribution du recensement des SE à l’analyse les représentations des dynamiques paysagères

Au total, nous avons identifié 139 SE et disSE différents (Tableau 8). Certains SE sont recensés plusieurs fois, car ils sont fournis par différents paysages (comme les SE approvisionnement d’herbe, qui existe en paysages forestiers, intermédiaires et ouverts, ou la valeur d’existence de la biodiversité).

SE Appro SE Régulation SE Culturels DisSEs Total

Paysages forestiers 11 6 13 15 45

Paysages ouverts 14 3 20 10 47

Paysages intermédiaires 5 6 3 8 22

Mosaïque paysagère 1 1 18 5 25

Total 31 16 54 38 139

Tableau 8 : Liste des SE et disSE cites dans les entretiens

La liste complète des SE cités est disponible en Annexe 7.

Dans cette section, nous montrons comment le recensement des SE permet de répondre à quatre hypothèses sur les représentations des dynamiques paysagères.

La première hypothèse que nous avons formulée est une préférence marquée par les paysages ouverts. En effet, les auteurs ayant travaillé sur la « fermeture des paysages » notent une connotation largement positive (voire un consensus) autour des paysages ouverts, ainsi qu’une

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représentation négative associée aux paysages forestiers et intermédiaires (Marty et Lepart 2001; Le Floch, Devanne, et Deffontaines 2005; Deuffic 2005).

Le recensement des SE et des disSE montre une préférence des personnes rencontrées pour les paysages ouverts, quoique faible (Figure 12). En effet, si on observe le nombre de SE cités dans les entretiens, on voit que 38% des SE sont fournis par les paysages ouverts (PO), contre seulement 28% par les paysages forestiers (PF) et 14% par les paysages intermédiaires (PI). Ces SE ne sont pas distribués de la même façon. En effet, on note que les paysages forestiers sont perçus comme fournissant davantage de SE de régulation, à la différence des paysages ouverts qui fournissent plus de SE culturels. On peut l’interpréter comme une spécificité forte du Mont Lozère, où les forêts sont associées aux SE de régulation, en particulier dans le cadre des boisements RTM. Cela met également en évidence la construction sociale autour des paysages ouverts et la valorisation des paysages ouverts comme l’état de référence, que l’on retrouve dans la littérature.

Figure 12 : Nombre de SE cités par écosystème et par catégorie

PO : Paysages ouverts / PI : Paysages Intermédiaires / PF : Paysages Forestiers

Un élément bien plus discriminant semble être les disSE perçus fournis par les paysages forestiers : 22 personnes mentionnent des disSE associés aux paysages ouverts, là où ils sont 36 à mentionner un ou plusieurs disSE fournis par les paysages forestiers (Figure 13).

PF Appro 11% PF Regulatio n 6% PF Culturels 11% PO Appro 14% PO Regulation 3% PO Culturels 21% PI Appro 5% PI Regulation 5% PI Culturels 4% Mosaïque paysagère Appro 1% Mosaïque paysagère Regulation 1% Mosaïque paysagère Culturels 18%

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