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1 Flexibilité des coefficients techniques

1.2 Les mises en œuvre pratiques

Suite à la crise pétrolière des années 1970 qui a mis en évidence les limites de l’analyse input-output traditionnelle quant à la prise en compte de la substituabilité entre facteurs de production, la littérature économique s’est tournée vers les fonctions de coûts flexibles et s’est intéressée progressivement à l’identification de substituts à l’énergie au sein de la fonction de production. Les tableaux entrées-sorties qui jusqu’à présent jouaient un rôle « actif » dans l’application du modèle de Leontief ont vu leur usage devenir « passif » pour se limiter à la fonction de base de données (coûts, coefficients techniques) utilisées dans l’estimation des fonctions de coûts.

Le modèle de Hudson-Jorgenson (1975) est la principale approche tentant de redonner un rôle « actif » aux tableaux entrées-sorties. Il concilie pour cela les fonctions de coûts flexibles et l’analyse input-output au sein d’un modèle de prévision de la croissance et des prix de l’énergie à long terme aux USA.

1.2.1 Les fonctions de coûts flexibles

Les travaux sur les fonctions de coût ou de production à plusieurs facteurs qui n’imposent pas de restrictions sur les élasticités de substitutions entre facteurs de production ont débuté avec Diewert (1971) au début des années 1970, années qui coïncident avec le début des chocs pétroliers. Les chocs pétroliers ont mis en évidence les limites théoriques des fonctions de production utilisées jusqu’alors et qui imposaient des fortes contraintes sur la substituabilité entre facteurs de production. Les chocs pétroliers ont donc contribué à l’essor du recours à ces nouvelles fonctions de coûts flexibles. Cet effort

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

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s’est fait au détriment des travaux sur l’analyse input-output qui étaient limités par l’emploi de fonctions de coûts sous-jacentes à biens parfaitement complémentaires.

Les matrices input-output qui étaient issues de la comptabilité nationale et jouaient un rôle « actif » dans les modèles d’analyse input-output ont progressivement vu leur rôle limité à celui de sources statistiques nécessaires à l’estimation des fonctions de coût flexibles. En effet les études sur les fonctions de coût de type Translog51 nécessitent en particulier des données sur les coefficients techniques en unités monétaires et sur les coûts totaux de production que l’on retrouve directement au sein des matrices input-output52.

Les premiers travaux empiriques (Berndt et Wood, 1975, Griffin, 1977), au milieu des années soixante-dix, se sont particulièrement intéressés à l’estimation de fonction de coût KLEM et à la substituabilité entre les facteurs de production. L’élasticité de substitution mesure entre autres, à production fixée et sous l’hypothèse de minimisation des coûts, l’impact de la hausse du prix d’un facteur sur la demande des autres facteurs.

Le recours à une fonction de coût de type Translog a été privilégié car il facilite le calcul de l’élasticité partielle de substitution de Allen (1938)53. Uzawa (1962) a montré que l’élasticité de substitution de Allen (1938) peut s’écrire de la forme :

𝜎𝑖𝑗(𝑞, 𝑝) =𝐶(𝑦, 𝑝)𝐶𝑖𝑗(𝑦, 𝑝) 𝐶𝑖(𝑦, 𝑝)𝐶𝑗(𝑦, 𝑝)

Où 𝐶𝑖 est la dérivée partielle de 𝐶 en fonction du prix du bien 𝑖 et 𝐶𝑖𝑗 est la dérivée partielle du prix des biens 𝑖 et de 𝑗. Ce qui dans le cas d’une fonction Translog donne :

𝜎𝑖𝑗= 1 + 𝛽𝑖𝑗 𝑀𝑖𝑀𝑗

Où 𝑀𝑖 et 𝑀𝑗 sont les parts de dépenses du secteur considéré en bien 𝑖 et en bien 𝑗.

Le lien entre le capital et l’énergie est rapidement apparu comme un point central car pour certains auteurs (Berndt and Wood, 1975, Pindyck et Rotemberg, 1983), ces facteurs de production sont substituables et pour d’autres ils sont complémentaires. La connaissance des propriétés de substitution entre l'énergie et le capital s'avérait extrêmement importante du point de vue des politiques économiques. Dans l'hypothèse où il y aurait substituabilité entre l'énergie et le capital, c'est par une politique favorisant les investissements que l'on pourrait surmonter une rareté croissante de l'énergie. Inversement la complémentarité entre ces facteurs aurait un fort effet sur les options de

51 Le cas de la fonction de Leontief Généralisée sera vu plus loin dans les études de court terme à capital fixe.

52 Des données sur les prix sont aussi nécessaires mais nécessitent des sources complémentaires car elles ne sont généralement pas incluses au sein des matrices.

53 Bien que proposée par Blackorby et Russel en 1975, l’élasticité de Morishima n’est que très peu utilisée jusqu’à ce que Blackorby et Russel démontrent en 1989 qu’elle généralise mieux les propriétés de l’élasticité dans une fonction à plusieurs variables que l’élasticité partielle de substitution de Allen

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politique économique et les pouvoirs publics devraient alors éviter de taxer trop fortement l'énergie de manière à ne pas freiner l'investissement.

C’est dans ce contexte que dans la première étude recensée recourant aux formes flexibles, Berndt et Wood (1975) s’intéressent aux données sur l’industrie manufacturière aux USA entre 1947 et 1971 et à la substitution possible entre l’énergie et les autres facteurs de production. Jusque-là, ce lien était souvent absent des études qui séparaient la détermination de la demande d’énergie de celle des demandes en autres facteurs au lieu de les déterminer simultanément.

Berndt et Wood (1975) mettent en lumière une substitution significative entre l’énergie et chacun des autres facteurs de production (capital, travail et consommations intermédiaires et trouvent que capital et travail sont complémentaires.

Par la suite, le débat s’est porté sur le signe de l’élasticité de substitution entre l’énergie et le capital. En effet alors que les résultats des études s’accordaient sur les autres signes des élasticités de substitution, seul celui entre énergie et capital différait d’une étude à l’autre. Dans une étude sur données internationales avec une fonction Translog à trois facteurs de production (𝐾, 𝐿, 𝐸) Griffin et Gregory (1976) trouvent que capital et énergie sont substituables. Leur méthode est remise en question par Berndt et Wood (1979) pour qui l’omission d’un facteur de production tend à biaiser les estimations d’élasticités de substitution.

Pindyck (1979), décompose pour sa part la variable énergie en quatre composantes (charbon, électricité, gaz et pétrole) et l’estime par une fonction Translog. Puis il estime une fonction KLEM dans laquelle le prix de l’énergie est l’indice de prix trouvé par la première estimation et où capital, travail et énergie sont considérés comme faiblement séparables des consommations intermédiaires. Sa fonction de coût se présente donc de la forme :

𝐶 = 𝐶 (𝑔 (𝑦, 𝑝𝐿, 𝑝𝐾, 𝑝𝐸(𝑝𝑐ℎ𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛, 𝑝é𝑙𝑒𝑐, 𝑝𝑔𝑎𝑧, 𝑝𝑝é𝑡𝑟𝑜𝑙𝑒)) ; 𝑦, 𝑝𝑀)

Son estimation porte sur des données temporelles pour dix pays développés. Il trouve que l’énergie et le capital sont substituables dans chacun de ces pays. Artus et Peyroux (1981) testent les hypothèses de séparabilité faible pour les facteurs travail et énergie pour une fonction Translog (K, L, E) et trouvent à chaque fois que les hypothèses de séparabilité faible ne sont pas rejetées au seuil de 5% donc que celles-ci semblent peu restrictives. Ils trouvent qu’énergie et capital sont complémentaires dans la majorité des pays, en particulier aux USA, et que les comportements de consommation d’énergie sont tout aussi « actifs » que ceux d’emploi et d’investissement.

Hudson et Jorgenson (1974)54 utilisent quant à eux un modèle translog imbriqué aux USA et trouvent qu’énergie et capital sont complémentaires.