• Aucun résultat trouvé

1 Flexibilité des coefficients techniques

1.1 Les fonctions de coût flexibles

Le concept d’élasticité de substitution a été introduit par Hicks (1932) et constitue une mesure de la courbure de l’isoquante. L’idée initiale était de s’intéresser aux variations des parts du travail et du capital dans la valeur ajoutée d’une économie. Pour cela Hicks (1932) remarque que pour un niveau de production (ou coût) donné, la variation du rapport d’utilisation des deux facteurs suite à un changement de leur productivité marginale relative (ou prix relatif) peut être quantifiée par une mesure de la courbure de l’isoquante. Cette élasticité entre deux biens 𝑖 et 𝑗 s’écrit donc :

70 𝐸𝑆𝑖,𝑗 = 𝜕 ln ( 𝑥𝑖 𝑥𝑗 ⁄ ) 𝜕 ln ( 𝜕𝐹 𝜕𝑥𝑖 ⁄ 𝜕𝐹 𝜕𝑥𝑗)

Elle est nulle dans le cas de la fonction de Leontief et unitaire dans le cas de la fonction de Cobb-Douglas.

Cependant cette élasticité n’est valable que lorsqu’il n’y a que deux facteurs de production (ou que l’on impose qu’elle soit la même pour l’ensemble des facteurs36). Dès lors que le nombre de facteurs augmente, le calcul de l’élasticité de substitution nécessite des hypothèses relatives à la constance des autres facteurs de production.

Allen (1938) et Uzawa (1962) proposent une généralisation à plus de deux facteurs de production de l’élasticité de substitution appelée alors élasticité de substitution partielle (AES). Celle-ci est basée sur la fonction de coût et s’écrit formellement :

𝐴𝐸𝑆𝑖𝑗(𝑞, 𝑝) =𝐶(𝑦, 𝑝)𝐶𝑖𝑗(𝑦, 𝑝) 𝐶𝑖(𝑦, 𝑝)𝐶𝑗(𝑦, 𝑝)

Où 𝐶𝑖 est la dérivée partielle de 𝐶 par rapport au facteur 𝑖 et 𝐶𝑖𝑗 est la dérivée partielle de 𝐶par rapport au prix des facteurs 𝑖 et 𝑗.

L’utilisation de cette élasticité de substitution a été de mise pendant de nombreuses années jusqu’à ce que Blackorbyet Russel (1989) montrent qu’elle ne respecte pas les propriétés de la notion de substituabilité :

(i) Elle ne correspond pas à une mesure de la courbure de l’isoquante (ou de la facilité de substitution).

(ii) Elle ne fournit pas d’information sur les parts relatives de facteurs.

(iii) Elle ne suit plus le concept d’élasticité de Hicks et se contente de classer les paires de facteurs en substituts et compléments.

Blackbordy et Russel (1989) proposent donc le recours à l’élasticité de Morishima (1967) peu utilisée jusqu’alors. Ils montrent que cette élasticité respecte, pour sa part, l’ensemble des propriétés de la notion d’élasticité. Pour cela elle requiert que le prix du facteur 𝑗 soit constant et que seul le prix du facteur 𝑖 varie. Celle-ci s’écrit :

𝑀𝑖,𝑗(𝑦, 𝑝) =𝑝𝑖𝐶𝑖𝑗(𝑦, 𝑝) 𝐶𝑗(𝑦, 𝑝) 𝑝𝑖𝐶𝑖𝑖(𝑦, 𝑝) 𝐶𝑖(𝑦, 𝑝) = 𝜀𝑗𝑖(𝑦, 𝑝) − 𝜀𝑖𝑖(𝑦, 𝑝)

36 Uzawa (1962) a montré que les élasticités de substitution d’une fonction CES étaient identiques pour chaque paire de facteurs lorsque le nombre de facteurs était supérieur à 2.

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

71

Où 𝜀𝑗𝑖 représente l’élasticité-prix croisée entre 𝑖 et 𝑗. L’élasticité de Morishima 𝑀𝑖𝑗(𝑦, 𝑝) reflète ainsi l’effet d’une variation du rapport des prix 𝑝𝑖

𝑝𝑗 imputable au seul prix du bien 𝑖37 sur le ratio des quantités optimales 𝑥𝑖

𝑥𝑗.

Les formes fonctionnelles usuelles (Cobb-Douglas, Leontief) sont utilisées pour leur simplicité. En effet, elles sont toutes des cas particuliers de la fonction CES (Constant Elasticity of Substitution) et ne permettent qu’une seule élasticité de substitution entre facteurs de production. C’est pourquoi le recours à des formes flexibles permettant une substituabilité entre l’ensemble des facteurs de production s’avère utile.

1.1.1 Cas général

Les fonctions flexibles sont issues des travaux de Diewert (1971). Ces fonctions sont des approximations linéaires d’ordre 2 d’une fonction de production ou d’une fonction de coût en un point, le point d’approximation. Elles ont la particularité de permettre une grande liberté de représentations quant à la nature des rendements d’échelle ou de l’évolution de la productivité, mais aussi et surtout elles permettent d’introduire une forte substituabilité entre l’ensemble des facteurs dans les choix technologiques.

Ces fonctions sont également prisées pour plusieurs raisons d’ordre technique :

- D’après le théorème de la dualité de Shephard (1953), la fonction de coût contient autant d’informations que la fonction de production. Ainsi les demandes de facteurs et les substitutions entre facteurs sont déterminées à partir de formes fonctionnelles flexibles pour le coût sans avoir besoin d’informations supplémentaires sur la forme de la fonction de production.

- La disponibilité des données qui sont facilement accessibles au sein de la comptabilité nationale et des tableaux entrées-sorties.

- La simplicité des calculs d’élasticités, des parts de dépenses (coefficients techniques en valeur) ou des coefficients techniques.

Nous allons privilégier la fonction de coût au détriment de la fonction de production dans notre étude. En effet, cette approche correspond à celle généralement retenue dans les études énergétiques (Berndt et Wood, 1975, Artus et Peyroux., 1981) en raison de sa facilité d'utilisation due en particulier au lemme de Shephard (1953) qui permet d’obtenir directement des fonctions de demande de facteurs déterminées par les prix et se prête immédiatement à l’étude de la compétitivité coût.

37L’écriture peut paraitre contre-intuitive par rapport à une élasticité-prix croisée car on indice ici en premier le bien dont le prix varie.

72

Pour cela, Diewert (1971) résume les différentes propriétés que doit respecter une fonction de coût 𝐶(𝑦, 𝑝) issue d’une approximation d’ordre 2 :

i) 𝐶(𝑦, 𝑝) est une fonction positive à valeurs réelles, définie pour tout réel à valeur finie 𝑦 > 0 et vecteur de prix 𝑝 ≫ 0;

ii) 𝐶(𝑦, 𝑝) est une fonction continue et non décroissante en 𝑦 et 𝑝; iii) 𝐶(𝑦, 𝑝) est homogène de degré 1 par rapport à 𝑝;

iv) 𝐶(𝑦, 𝑝) est concave par rapport à 𝑝.

Il existe une fonction de coût positive et définie pour chaque combinaison de niveau de production et de prix réels des facteurs, finis et positifs (i). La fonction de coût doit respecter les conditions de minimisation du coût. Ainsi pour tout couple (𝑦, 𝑝) qui minimise la fonction de coût, toute augmentation d’un prix ou de la production entraine une augmentation du coût en raison du principe de minimisation (ii). C’est pourquoi si la fonction de coût est non décroissante, nous retrouvons grâce au théorème de la dualité :

𝜕𝐶(𝑦, 𝑝) 𝜕𝑝𝑖

= 𝑥𝑖(𝑦, 𝑝) ≥ 0

L’homogénéité de degré 1 par rapport aux prix (iii) signifie que si tous les prix des facteurs de production sont multipliés par un même scalaire, le coût total l’est aussi. Ainsi grâce au théorème de la dualité nous retrouvons que les demandes de facteurs sont homogènes de degré 0 par rapport aux prix et ne sont donc pas affectées par une variation équiproportionnelle des prix.

La propriété (iv) se démontre à l’aide de deux vecteurs différents du prix des entrants 𝑝𝑎 et 𝑝𝑏tels que le problème de minimisation des coûts se présente de la forme suivante :

{min𝑥 𝑝𝑎𝑥 𝑓(𝑥) = 𝑦 et,

{min𝑥 𝑝𝑏𝑥 𝑓(𝑥) = 𝑦

Où le vecteur 𝑥 représente le vecteur colonne des demandes de facteurs.

Prenons un troisième vecteur de prix 𝑝𝑐 qui est une combinaison des prix 𝑝𝑎et 𝑝𝑏 tel que : {min𝑥 𝑝𝑐𝑥

𝑓(𝑥) = 𝑦 avec,

𝑝𝑐 = 𝛾𝑝𝑎+ (1 − 𝛾)𝑝𝑏, 𝛾 ∈ [0; 1]

Les solutions de ces trois problèmes de minimisation de coût se dénotent 𝑥𝑎, 𝑥𝑏 et 𝑥𝑐. Nous avons donc :

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

73

𝑝𝑎𝑥𝑐≥ 𝑝𝑎𝑥𝑎 De même,

𝑝𝑏𝑥𝑐≥ 𝑝𝑏𝑥𝑏

En multipliant les inégalités par 𝛾 et (1 − 𝛾) puis en les additionnant nous obtenons : 𝛾𝑝𝑎𝑥𝑎+ (1 − 𝛾)𝑝𝑏𝑥𝑏 ≤ (𝛾𝑝𝑎+ (1 − 𝛾)𝑝𝑏)𝑥𝑐= 𝑝𝑐𝑥𝑐 Qui est la définition de la propriété de concavité d’une fonction.

Les fonctions de coûts flexibles les plus utilisées dans la littérature sont les formes Translog, Leontief Généralisée et Normalisée Quadratique38. Ce sont des cas particuliers de la fonction GBC (Box Cox Généralisée proposée par Khaled (1978) :

𝐶𝑟(𝑦, 𝑝) = 𝑦(2 𝑟∑ ∑ 𝛽𝑖𝑗𝑝𝑖 𝑟 2𝑝𝑗 𝑟 2 𝑛 𝑗=1 ) 𝑛 𝑖=1 1 𝑟

La fonction Translog en particulier propose une approche logarithmique de la fonction de coût après changement de variable de la forme :

ln 𝐶(𝑦, 𝑝) = 𝐺(ln(𝑦) , ln(𝑝)) Et lorsque 𝑟 tend vers 0.

Les fonctions de Leontief Généralisée et Quadratique Normalisée sont toutes les deux des fonctions quadratiques relativement similaires. Lorsque 𝑟 = 1 nous retrouvons la fonction de Leontief Généralisée et lorsque 𝑟 = 2 nous avons la fonction Normalisée Quadratique.

La différence entre ces deux fonctions de coût tient à ce que la demande d’un facteur dans la fonction de coût Normalisée Quadratique permet seulement de prendre en compte le changement des prix relatifs par rapport au prix du facteur contrairement à la fonction de Leontief Généralisée qui permet de prendre en compte l’ensemble des changements de prix relatifs pour calculer la demande d’équilibre de chacun des facteurs. Dans le cadre d’une étude voulant prendre en compte les effets indirects d’une variation des prix sur la demande de chaque facteur les propriétés de la fonction LG nous semble préférables à celle de la fonction Normalisée Quadratique, c’est pourquoi celle-ci ne sera pas étudiée ici.

Nous détaillons dans ce qui suit l’utilisation de ces fonctions de coût comme fonction de coût sous-jacentes dans l’analyse input-output. Pour cela nous allons dans un premier temps nous intéresser à leur représentation générale. Puis nous verrons sous quelles conditions39 elles peuvent être assimilées à des fonctions de coût sous-jacentes.

38 D’après Anderson et al. (1996), sur les 113 articles publiés entre 1972 et 1993 sur la production agricole, discipline ayant le plus recours aux formes fonctionnelles, la moitié ont eu recours à la forme Translog, un quart ont eu recours à la Normalisée Quadratique et un huitième ont eu recours à la fonction de Leontief Généralisée.

74

1.1.2 La fonction Translog (TL)

La fonction TL a été proposée par Christensen et al. (1971). Elle se présente sous forme logarithmique ce qui a pour avantage de faciliter la résolution des contraintes d’homogénéité, et le calcul des élasticités. Griffin (1977) montre qu’elle constitue une approximation de la vraie fonction qui est performante pour des variations des prix allant jusqu’à 25% ce qui rend son utilisation adéquate pour des études sur des chocs de forte amplitude.

1.1.2.1 La fonction de coût Translog

Fonction de coût la plus utilisée dans littérature, elle se présente sous sa forme générale de la façon suivante : 𝑙𝑛𝐶(𝑦, 𝑝, 𝑡) = 𝑏0+ ∑ 𝑏𝑖𝑙𝑛𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1 +1 2∑ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑙𝑛𝑝𝑖𝑙𝑛𝑝𝑗 𝑛 𝑗=1 𝑛 𝑖=1 + 𝑏𝑡𝑡 +1 2𝑏𝑡𝑡𝑡 2+ ∑ 𝑏𝑖𝑡 𝑛 𝑖=1 𝑙𝑛𝑝𝑖𝑡 + 𝑏𝑦𝑙𝑛𝑦 +1 2𝑏𝑦𝑦(𝑙𝑛𝑦) 2+ ∑ 𝑏𝑖𝑦 𝑛 𝑖=1 𝑙𝑛𝑝𝑖𝑙𝑛𝑦 + 𝑏𝑡𝑦𝑡𝑙𝑛𝑦 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑖, 𝑗 = 𝐾, 𝐿, 𝐸, 𝑀 𝑒𝑡 𝑏𝑖𝑗= 𝑏𝑗𝑖

𝑝𝑖, 𝑝𝑗 sont les prix des facteurs (capital, travail, énergie et consommations intermédiaires) ; 𝑦 est la production en unités physiques ;

𝑡 est un trend captant l’effet du progrès technique.

Les coefficients 𝑏𝑖𝑗permettent de prendre en compte l’effet de la relation entre les prix de chaque couple d’input sur le coût total.

La particularité de la fonction Translog est de faciliter le calcul des élasticités ce qui fait qu’elle est principalement utilisée dans le cadre d’études sur la substituabilité de l’énergie(Berndt et Wood, 1975, Pindyck et Rotemberg, 1983). En effet les chocs pétroliers des années 70 et la forte hausse des prix de l’énergie ont amené les économistes à s’intéresser à la substituabilité de l’énergie par rapport aux autres facteurs de production.

Afin d’harmoniser les fonctions de coût flexibles avec les hypothèses relatives à l’analyse input-output40 les coefficients de la forme générale doivent être restreints.

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

75

1.1.2.2 La fonction Translog sous contrainte de l’analyse input-output

Une série de restrictions linéaires portant sur les coefficients de la fonction Translog permettent tout d’abord de la rendre compatible avec les hypothèses d’existence des fonctions de coût puis avec les hypothèses propres à l’analyse input-output. Les hypothèses de compatibilité avec les fonctions de coût sont :

- Une homogénéité de degré 1 par rapport aux prix (Woodland, 1976) :

∑ 𝑏𝑖 𝑛 𝑖=1 = 1, ∑ 𝑏𝑖𝑗 𝑛 𝑗=1 = 0, ∑ 𝑏𝑖𝑦 = 0 𝑛 𝑗=1 , ∑ 𝑏𝑖𝑡= 0 𝑛 𝑗=1

- Une non décroissance du coût par rapport aux prix : 𝜕𝑙𝑛𝐶

𝜕𝑙𝑛𝑝𝑖= 𝑥𝑖 𝑝𝑖

𝐶 ≥ 0 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑖

- La concavité de la fonction de coût, à partir de la matrice Hessienne de la fonction (𝐻), qui peut être écrite en fonction d’une autre matrice triangulaire inférieure (𝐷) multipliée par sa transposée de telle sorte que 𝐻 = −(𝐷𝐷) est par définition semi-définie négative. A une date de référence où tous les prix des facteurs et le niveau de production sont supposés égaux au numéraire, Ryan et Wales (2000) montrent que la concavité peut être respectée en remplaçant lors de l’estimation chacun des coefficients par l’expression suivante :

𝑏𝑖𝑗 = −(𝐷𝐷)𝑖𝑗+ 𝑏𝑖𝛿𝑖𝑗− 𝑏𝑖𝑏𝑗 𝑖, 𝑗 = 1, … 𝑛

En remplaçant les 𝑏𝑖𝑗 par cette équation à la période de référence où 𝐷 est une matrice triangulaire et 𝛿𝑖𝑗 = 1 𝑠𝑖 𝑖 = 𝑗, 0 sinon nous pouvons imposer la concavité locale41.

En plus de ces restrictions générales, des restrictions supplémentaires permettent d’harmoniser la fonction Translog avec les hypothèses relatives à la fonction sous-jacente de l’analyse input-output :

- Des rendements d’échelle constants (Diewert et Wales, 1999) : 𝑏𝑦= 1, 𝑏𝑖𝑦= 0, 𝑏𝑦𝑦 = 0, 𝑏𝑦𝑡 = 0 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑖 - Une absence de progrès technique42 (Diewert et Wales, 1999) :

𝑏𝑡= 0, 𝑏𝑖𝑡 = 0, 𝑏𝑡𝑡= 0, 𝑏𝑦𝑡 = 0 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑖 - Des coefficients techniques fixes :

41 Voir Ryan et Wales (2000) pour la démonstration.

76

𝑏𝑖𝑗= 0 𝑠𝑖 𝑖 ≠ 𝑗

En appliquant cette condition à la fonction Translog nous retrouvons une fonction de coût de type Cobb-Douglas sous une forme logarithmique. Dans une approche visant à flexibiliser les coefficients techniques nous allons donc lever la dernière hypothèse. La forme flexible de type Translog se présente finalement de la forme : 𝑙𝑛𝐶(𝑝, 𝑦) = 𝑏0+ ∑ 𝑏𝑖𝑙𝑛𝑝𝑖 𝑖 +1 2∑ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑙𝑛𝑝𝑖𝑙𝑛𝑝𝑗 𝑗 𝑖 + 𝑏𝑦𝑙𝑛𝑦 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑖, 𝑗 ∈ {𝐾, 𝐿, 𝐸, 𝑀}²

En général, les études de fonctions de coût flexibles ont recours aux données des tableaux entrées-sorties de la comptabilité nationale. Elles agrègent sous l’indice 𝐸 les variables des secteurs énergétiques et sous l’indice 𝑀 les variables des autres consommations intermédiaires. En effet, sans cette agrégation le nombre de facteurs à estimer serait trop élevé. Il reste toutefois possible d’utiliser un niveau plus faible d’agrégation.

1.1.2.3 Demande de facteur

La particularité de la forme Translog pour la fonction de coût est qu’elle permet de facilement calculer les parts de dépenses d’une firme j ainsi que les élasticités entre demandes de facteurs. Dans le cas de la fonction Translog nous pouvons calculer les demandes d’équilibre par application du Lemme de Shephard (1953). En effet d’après celui-ci la quantité optimale demandée d’un facteur de production est la dérivée partielle de la fonction de coût par rapport au prix de ce facteur :

𝜕𝐶 𝜕𝑝𝑖 = 𝑥𝑖𝑗

En différenciant le logarithme du coût par rapport au logarithme du prix du facteur nous avons : 𝜕𝑙𝑛𝐶 𝜕𝑙𝑛𝑝𝑖 = 𝜕𝐶 𝜕𝑝𝑖 𝑝𝑖 𝐶

En utilisant le Lemme de Shephard (1953) nous pouvons ajuster l’équation ci-dessus et écrire : 𝜕𝐶

𝜕𝑝𝑖 𝑝𝑖

𝐶 = 𝑀𝑖𝑗

Nous obtenons ainsi les coefficients techniques en valeur43 pour chacun des facteurs de production : 𝑀𝑖𝑗 = 𝑏𝑖+ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑙𝑛𝑝𝑗

𝑗

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

77

Il apparait donc ici que la fonction Translog permet un calcul simple des coefficients techniques de chaque facteur à l’équilibre. La fonction Translog permet aussi de facilement calculer les élasticités de la demande de chaque facteur44.

Les propriétés de la fonction Translog semblent adaptées une approche de l’analyse input-output en unité monétaires45. Notons toutefois que, bien que cette forme soit la plus répandue, elle est limitée par le fait qu’elle ne répond que rarement aux conditions de concavité des fonctions de coût (Ryan et Wales, 2000).

1.1.3 La fonction de Leontief Généralisée (LG)

La fonction de Leontief Généralisée a été initialement proposée par Diewert (1971). Elle tient son nom du fait qu’elle est un cas général non restreint de la fonction de Leontief à facteurs complémentaires. Griffin (1977) montre que, parmi les formes flexibles, la fonction de Leontief Généralisée est la plus performante lorsque les élasticités de substitution entre facteurs sont faibles.

1.1.3.1 La fonction de coût de Leontief Généralisée

La fonction proposée à l’origine par Diewert (1973) est d’une forme très simple :

𝐶(𝑦, 𝑝) = ℎ(𝑦) ∑ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑝𝑖 1 2𝑝𝑗 1 2 𝑛 𝑗=1 𝑛 𝑖=1 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑝𝑖≥ 0 , 𝑦 ≥ 0, 𝑒𝑡 𝑏𝑖𝑗= 𝑏𝑗𝑖 (𝑖, 𝑗 = 1,2 … , 𝑁) Où ℎ(𝑦) est une fonction croissante, monotone et continue de la production.

Cette forme générale a fait l’objet de nombreux ajouts permettant d’imposer des restrictions sur la technologie que l’on souhaite représenter. Parmi les améliorations notables nous retrouvons en particulier le progrès technique (Parks, 1971, Woodland, 1975), les économies d’échelle (Diewert et Wales, 1987)46. Diewert et Wales (1987) présentent la forme générale de la fonction de coût de Leontief complétée de ces ajouts. Celle-ci respecte les propriétés des fonctions de coût (convexité, non décroissance en 𝑝 et homogénéité en 𝑝) et se présente sous sa forme générale de la façon suivante :

𝐶(𝑦, 𝑝, 𝑡) = 𝑦 ∑ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑝𝑖 1 2𝑝𝑗 1 2 𝑛 𝑗=1 𝑛 𝑖=1 + ∑ 𝑏𝑖𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1 + 𝑡𝑦 ∑ 𝑏𝑖𝑡𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1 + 𝑡 ∑ 𝑏𝑡𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1 + 𝑦² ∑ 𝑏𝑦𝑦𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1 + 𝑡²𝑦 ∑ 𝑏𝑡𝑡𝑝𝑖 𝑛 𝑖=1

𝑝𝑖, 𝑝𝑗 sont les prix des facteurs 𝑖 et 𝑗 et sont donc positifs;

44 Nous traiterons cela en 1.2.

45 Nous discuterons de cette propriété plus en détail au chapitre suivant.

46Nous retrouvons aussi l’ajout de facteurs fixes (Mahmud et al, 1987, Morrison, 1988) que nous traiterons

78

𝑏𝑖𝑗= 𝑏𝑗𝑖 pour (𝑖, 𝑗 = 1,2 … , 𝑁) ;

𝑦 est la production en unités physiques ;

𝑡 est un trend captant l’effet du progrès technique.

Alors que la fonction Translog est majoritairement utilisée pour des études sur les effets de substitution entre facteurs de production, la fonction de Leontief Généralisée est généralement utilisée pour des études portant sur la demande de facteurs ou sur le taux d’utilisation des capacités de production47 (Morrison, 1985, 1988). Comme dans le cas de la fonction Translog, la fonction de Leontief Généralisée, doit être restreinte pour répondre aux conditions de l’analyse input-output.

1.1.3.2 La fonction de Leontief Généralisée sous contrainte de l’analyse input-output

Pour qu’elle soit conforme à l’analyse input-output, la fonction de coût de Leontief Généralisée telle que proposée par Diewert et Wales (1987) doit vérifier les propriétés suivantes :

- Homogénéité de degré 1 en 𝑦:

𝑏𝑖 = 0 , 𝑏𝑡 = 0, 𝑏𝑦𝑦 = 0 - Absence de progrès technique :

𝑏𝑖𝑡 = 0, 𝑏𝑖 = 0, 𝑏𝑡𝑡= 0

- Rendements d’échelles constants :

𝑏𝑖𝑡 = 0, 𝑏𝑦𝑦 = 0, 𝑏𝑡𝑡= 0 𝑒𝑡 ℎ(𝑦) = 𝑦

Ces conditions nécessaires à l’analyse input-output nous permettent, en harmonisant les notations, d’arriver à la forme : 𝐶(𝑦, 𝑝) = 𝑦 ∑ ∑ 𝑏𝑖𝑗𝑝𝑖 1 2𝑝𝑗 1 2 𝑛 𝑗=1 𝑛 𝑖=1

Nous retrouvons la fonction initialement proposée par Diewert (1971).

Chapitre 2 Dépassement des limites de l’analyse input-output

79

Cette fonction de coût respecte les contraintes d’une fonction de coût sous-jacente à l’analyse input-output tout en autorisant la substituabilité entre les inputs tant que les 𝑏𝑖𝑗 sont non-nuls pour 𝑖 ≠ 𝑗. En effet dans le cas précis où les 𝑏𝑖𝑗 sont nuls lorsque 𝑖 ≠ 𝑗 nous retrouvons une fonction de Leontief simple à parfaite complémentarité des facteurs de production.

1.1.3.3 Demande de facteur

Comme pour la fonction Translog, les demandes de facteurs à l’équilibre sont facilement calculables avec la fonction de Leontief Généralisée. En effet à l’équilibre et en utilisant le lemme de Shephard (1953) nous avons : 𝑥𝑖𝑗 = 𝑦 ∑ 𝑏𝑖𝑗 𝑛 𝑗=1 𝑝𝑗 1 2𝑝𝑖 1 2

Alors que la fonction Translog permet de facilement retrouver les coefficients techniques en unités monétaires, la fonction de Leontief Généralisée permet de facilement retrouver les coefficients techniques en unités physiques. En effet il suffit juste de diviser des deux côtés de l’équation par 𝑦 et nous obtenons : 𝑎𝑖𝑗= ∑ 𝑏𝑖𝑗 𝑛 𝑗=1 𝑝𝑗 1 2𝑝𝑖 1 2

Les propriétés de la fonction de Leontief Généralisée semblent donc adaptées à une approche de l’analyse input-output en unités physiques48.

1.1.4 Choix de la meilleure fonction

La théorie n’apporte aucun critère primordial permettant d’opter pour l’une ou l’autre de ces formes. En partant de données réelles et procédant à une estimation par maximum de vraisemblance, des études (Berndt et Khaled, 1979) ont essayé de valider l’emploi d’une forme plutôt qu’une autre en estimant la fonction de demande de chacun des modèles. En effet étant donné que les fonctions de Leontief Généralisée et Translog sont des cas particuliers de la fonction Box Cox Généralisée, des comparaisons des modèles suivant les valeurs prises par 𝑟49 permettent de choisir a posteriori quel modèle est le plus susceptible d’avoir généré les données observées. Berndt et al. (1977) qui utilisent des données sur l’industrie canadienne de 1946 à 1969, préfèrent la fonction Translog qui répond mieux à l’imposition de contraintes de symétrie. Toutefois, Berndt et Khaled (1979) trouvent que la

48 Nous discuterons de cette propriété plus en détail dans la partie suivante.

49 Paramètre de la fonction Box Cox Généralisée qui, suivant la valeur qui lui est attribuée, amène à une fonction Translog ou de Leontief Généralisée. Cf 1.1.1.

80

fonction de Leontief Généralisée est la meilleure en se basant sur des données de l’industrie manufacturière aux USA entre 1947 et 1971.

Dans des études similaires, Griffin (1977) ou Guilkey et al. (1983) trouvent que la fonction de Leontief Généralisée est plus performante quand les élasticités partielles de substitution sont faibles et positives sinon c’est la fonction Translog qui est la plus efficiente. De plus la fonction Translog n’est efficiente que lorsque « la réalité n’est pas trop complexe à approximer »50.

Renou (1988) constate que ces formes génèrent des élasticités comparables tout en remarquant que la spécification Translog conduit généralement à des élasticités plus stables dans le temps en raison du nombre limité de paramètres intervenant dans le calcul des élasticités.

Ainsi aucune forme ne semble théoriquement préférable à une autre. En pratique, le choix est orienté par la forme qui semble la plus cohérente au vu du problème économique traité.