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Les limites à l’analyse input - output pour l’énergie non nationale

2 Discussion autour des hypothèses de l’analyse inp ut-output

2.1 Les limites à l’analyse input - output pour l’énergie non nationale

Les tableaux entrées-sorties nationaux ne prennent pas en compte la ventilation des importations ou des exportations avec les branches et pays partenaires. Ces données relativement compliquées à collecter incitent les études en analyse input-output à se concentrer sur les données nationales (Miller et Blair, 2009).

Or, l’émergence des modèles de gravité et les théories du commerce international (New Trade Theory) mettent en évidence la part importante et croissante des échanges commerciaux dans le PIB. Les

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apports des théories prenant en compte la spatialité sont importants pour redéfinir un cadre d’analyse non concentré sur la seule économie nationale.

2.1.1 La nécessité de prendre en compte les échanges internationaux d’énergie

Les échanges internationaux ne sont pas détaillés dans l’analyse input-output de base. Seule une ligne est consacrée aux importations et une colonne aux exportations, pourtant les entreprises commercent internationalement. C’est pourquoi il est primordial de pouvoir ventiler les achats et ventes de chacune des branches avec ses partenaires étrangers.

2.1.1.1 Les équations de gravité

Le modèle de gravité a été introduit au début des années 1960, en particulier à partir des travaux de Tinbergen (1962), dans le but d’expliquer les flux bilatéraux de produits manufacturés. Le modèle gravitationnel permet le calcul des potentiels d’échanges bilatéraux, valeurs « normales » du commerce entre deux pays déterminés par leur condition macroéconomique (Fontagné et al., 2002). A l’origine dans le modèle de gravité, le poids de chaque économie dans les échanges mondiaux étant plus ou moins proportionnel à son PNB, l’intensité bilatérale des échanges entre deux pays est proportionnelle au produit des PNB du déclarant 𝑖 et de son partenaire 𝑗 de la forme :

𝑋𝑖𝑗 = 𝐴𝑌𝑖𝑌𝑗

De nombreuses variables ont ensuite été rajoutées afin de parfaire la fiabilité du modèle. Baltagi et al.

(2003) en recensent jusqu’à 18 dans la littérature. Les modèles de gravités ont ensuite été étendus aux études sectorielles (Fontagné et al., 2001) et aux échanges de produits (voir par exemple Koo et al., 1994 pour la viande ; Karikallio et al., 2011 pour le papier).

Cette prise en compte de nouvelles variables dans les échanges s’est ensuite étendue dans le cadre de l’énergie.

Bordigoni (2012) utilise un modèle de gravité incluant les coûts de l’énergie, afin d’expliquer les exportations bilatérales de papier et d’acier, et trouve qu’une variation de 1% du ratio du prix des combustibles entre deux pays entraine une diminution de 0.14% des exportations en papier et de 0.19% des exportations en acier du pays dont la compétitivité des prix des combustibles se dégrade. Ces résultats rejoignent ceux de Sato et Dechezleprêtre (2013) pour qui un changement de 1% dans le ratio des prix de l’énergie et les exportations du pays « qui y gagne » (dont le prix de l’énergie diminue relativement à l’autre) dans l’autre pays augmentent de 0.1 à 0.2%.

Chapitre 1 Etude critique de l’analyse input-output

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Dans le cas de la France, les résultats obtenus par Fontagné et al. (2013) sont similaires pour les exportations françaises suite à une hausse de 10% du prix de l’électricité. Pour les USA, une taxe environnementale de 15$ par tonne de CO2 entrainerait un effet de perte de compétitivité de 1 à 1.3% (Aldy et Pizer, 2011)20.

Les échanges ont un effet sur l’ensemble de la chaine de production. Comme nous venons de le voir, les interrelations entre pays font que, dans le cadre de l’énergie, toute variation des prix dans un pays impacte la compétitivité des autres. C’est pourquoi la dimension spatiale se doit d’être prise en compte dans toute étude économique relative à l’énergie.

2.1.1.2 L’énergie grise dans les échanges internationaux

Les études par équations de gravité montrent la forte dépendance de la compétitivité au différentiel de prix de l’énergie entre pays et donc l’importance de considérer l’énergie avec une vision globale. Aujourd’hui que ce soit dans le cadre de taxes environnementales (taxe carbone) ou de politiques énergétiques (paquet climat énergie en Europe, 2008), les effets des décisions prises doivent de plus en plus s’apprécier au niveau supranational. Dans le cadre des émissions de CO2, le pollution haven effect21 tend à accentuer le contenu en énergie et en carbone compris dans les échanges internationaux. C’est pourquoi en plus de la vision proposée par les modèles de gravité qui consiste à prendre les différences de prix entre pays, il faut aussi considérer que ces pays commercent entre eux et que le contenu énergétique de ces échanges aura un effet plus ou moins important sur le pays importateur.

Les échanges internationaux rendent les pays dépendants, de façon plus ou moins prononcée, des prix de leurs fournisseurs. Bordigoni (2012), Belkin (2008) montrent que plus de la moitié de l’énergie incorporée dans les consommations intermédiaires françaises est originaire de l’extérieur du pays. Ceci nous amène à considérer que l’étude d’une taxe nationale sur l’énergie ou sur les émissions de CO2 se doit de prendre en compte l’effet de la diffusion de cette taxe dans l’ensemble des pays.

2.1.2 La difficile conciliation de l’énergie grise et des échanges internationaux

Les études par équations de gravité sont très prisées dans le cadre d’études sur les flux bilatéraux entre pays, voire entre secteurs. Cependant, elles ne sont applicables que sur des échanges bilatéraux et leur utilité est limitée dans le cadre de fonctions de production à multiples pays et branches. En effet, les

20 Les auteurs comparent pour ce faire un scénario dans lequel la taxe s’applique uniquement aux USA et un scénario dans lequel cette taxe est appliquée à l’ensemble des pays du panel considéré.

21L’idée est que les entreprises polluantes vont se relocaliser dans des pays à plus faible réglementation sur le niveau de leurs émissions.

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fonctions de gravité ne prennent pas en compte l’ensemble de la chaine de la valeur et les déformations induites sur l’ensemble des branches. En étudiant les relations entre branches deux à deux, ce ne sont pas moins de 𝑛! nombre de relations bilatérales indépendantes à étudier (𝑛 étant le nombre total de branches étudiées).

Les outils de l’analyse input-output permettent quant à eux de traiter l’ensemble de ces relations en même temps, tout en prenant en compte l’effet de chacune sur les autres. Cependant, les tableaux entrées-sorties ne comprennent généralement qu’une ligne d’information donnant les importations de chaque branche et une colonne pour les exportations de ces branches. Ceci sans distinction de destination des consommations intermédiaires ou de provenance de la demande finale.

Afin de palier cela, les études peuvent faire le choix de retirer les données sur le commerce extérieur de leur tableaux entrées-sorties (Bullard et Herendeen 1975, Bullard et al., 1975) pour se concentrer sur l’effet national. Dans le cadre d’études sur le carbone ou l’énergie incorporés dans le commerce international, il est souvent considéré que les technologies de production sont les mêmes dans chaque pays et qu’un choc ne porte que sur les branches nationales (Morgenstern et al., 2004, Mongelli et al., 2009).

Une absence ou mauvaise prise en compte de l’origine sectorielle entraine néanmoins de forts biais dans les résultats obtenus :

- L’absence de prise en compte, comme nous l’avons vu plus haut, tend à fortement sous-estimer l’ensemble des résultats à la fois en terme quantitatif (total d’énergie ou CO2 incorporé minoré par rapport au contenu réel) et en terme de prix. Un choc international sur le prix d’un bien affecte l’ensemble de la chaine de production. Dans le cadre d’un choc sur le prix de l’énergie, toutes les étapes non nationales dans la chaine de production d’un produit seront aussi soumises à la hausse du prix de l’énergie et le prix (ou tout du moins le coût) des consommations intermédiaires s’accroitra lors de chacune de ces étapes. C’est pourquoi les études tendant à étudier l’effet d’une taxe environnementale internationale (principalement assimilée à une taxe sur le contenu énergétique) à l’aide de matrices input-output, sans prendre en compte l’effet préalable sur les importations de consommations intermédiaires, omettent toute la dimension internationale de ce choc. L’effet sur les coûts sectoriels en est alors minoré.

- L’origine sectorielle des importations tend à introduire des erreurs de mesure de plus ou moins forte ampleur suivant la façon dont sont pris en compte les secteurs internationaux. En effet l’hypothèse de technologies de production identiques entre pays, tout comme une ventilation des importations proportionnelle à la production du pays d’étude ne prennent pas en compte les disparités des entreprises entre pays (Melitz, 2003, Amable, 2003).

Chapitre 1 Etude critique de l’analyse input-output

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De façon plus générale, même si toutes les importations d’un pays étaient parfaitement ventilées, le problème se poserait identiquement pour le pays fournisseur car l’approche omet que ce pays puisse à son tour importer des consommations intermédiaires d’autres pays pour sa propre production. Il est donc nécessaire de produire des matrices input-output à dimension internationale. Cette particularité est permise par les matrices régionales input-output (MRIO)22.