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vallée de la Touques

II- 34) Avec une moyenne générale d’environ 810 m, la rivière de la Touques ne semble

4) La mise en valeur du terroir

Temps long

Comme pour les autres composantes du milieu, le cadastre napoléonien a permis de localiser et caractériser les masses de cultures sur l’ensemble du secteur d’étude (Fig. II-36). C’est l’exhaustivité et l’homogénéité documentaires qui ont été privilégiées, c’est pourquoi le Plan d’une partie de la rivière de Touque n’a pas été mobilisé comme fond de plan, bien qu’il ait permis des allers-retours entre le XIXe et le XVIIIe siècle. Les vocations agricoles des parcelles ont donc été renseignées par les tableaux d’assemblage de chaque commune, à l’aide des plages de couleurs discriminant les masses de culture. Herbages51, vergers, bois, labours, bruyères et

jardins ont ainsi été cartographiés et l’ont a pu observer la distribution des manoirs (Fig. II-37) : ainsi, 70,5 % des sites sont implantés dans des vergers (24 sites sur 34), alors que 20,5 % le sont dans des herbages (7 sites) et seulement 8,8 % sur des parcelles en labours (3 sites). Entre le

50 Les moulins identifiés comme datant du XIXe siècle n’ont naturellement pas été comptabilisés dans leurs relations avec les sites des XVe-XVIIIe siècles.

51 Les tableaux d’assemblage distinguent les « prés » (de fauche et de pâture vraisemblablement) des « herbages ». Malheureusement la différence de nuance entre ces deux modalités est si subtile qu’il n’a pas été possible de les différencier, en raison aussi de la qualité numérique des fichiers disponibles.

XVIIIe et le XIXe siècle, la nature agricole des parcelles de certains sites a changé – on a alors privilégié la situation la plus ancienne, hormis pour les trois sites créés au XIXe siècle52.

Une première lecture spatiale et statistique vient alimenter le décryptage de cet échantillon augeron, ainsi que les préférences de nos habitats d’élites. Les fonds de vallées, aux qualités hydromorphes reconnues, n’accueillent pas ou peu de zones boisées, ni de labours, mais sont exclusivement dédiés aux herbages. Ils sont vraisemblablement dévolus à l’élevage (bœufs, chevaux), en raison de leur qualité herbagère, tout particulièrement dans le lit de la rivière. Ce potentiel agricole est valorisé par la pratique du « baignage des prés » (Morière 1868 ; Marécaille 2005), supplantée dans les années 1950 par l’apport d’engrais, mais encore repérable sur le terrain à certains endroits et dans certaines conditions climatiques (au printemps, lorsque les herbages sont humides). Il s’agit de rigoles de forme très régulière creusées pour drainer l’eau depuis la rivière (on dit alors « saigner la terre » ; Marécaille 2005), afin d’enrichir la terre de sédiments à des moments précis de l’année. Ces canaux sont régulés à l’aide de vannes et sont entretenus tous les ans, au début de l’automne – à la tombée des feuilles, alors que l’eau de la rivière est chargée en humus et riche en limons – puis en janvier-février. Cette pratique demande un savoir-faire spécifique : l’eau doit circuler et non stagner, sans que la pointe de l’herbe ne soit immergée. L’orientation des canaux par rapport à la pente et leur profondeur doit être calculées au plus juste afin que l’eau circule rapidement (id.). Si la pratique est attestée au milieu du XIXe siècle en Pays d’Auge, il semblerait qu’elle existe – peut-être sous une forme moins sophistiquée – depuis au moins la première moitié du XVIIIe siècle, dans notre secteur, selon les mentions planimétriques : le Plan d’une partie de la rivière de Touque permet de localiser des rigoles tout particulièrement dans le fond de vallée à Prêtreville et Auquainville.

Versants, coteaux et plateaux accueillent, eux, des zones de pâturages ou de production d’herbe et/ou de foin (le long des ruisseaux notamment) bien que d’une manière générale les vergers sont plus nombreux. Traditionnellement, ce sont les pommiers (cidre) et poiriers (poiré, ébénisterie) qui sont cultivés et attestés depuis le Moyen Age en Pays d’Auge (Maneuvrier 2000 ; Brunet & Maneuvrier 2006). Les parcelles de vergers peuvent accueillir du bétail, et donc être autant dévolues à l’arboriculture qu’à l’élevage – pratique à son apogée au XIXe siècle, à l’origine d’ailleurs de l’image d’Épinal du Pays d’Auge. Sur les mêmes faciès topographiques, et même en

52 Par exemple, la parcelle du manoir de St Aubin datant du XIXe siècle est à cette période un herbage, alors qu’un siècle auparavant ce sont des labours. A l’inverse, pour le manoir du Lieu Seney, implanté dans des labours au XIXe siècle, on a privilégié la nature de la parcelle au XVIIIe siècle, soit celle d’un verger. Autres cas, lorsque les sites ont disparu : comme le manoir des Câtelets, au XIXe siècle, la parcelle est en labours mais on ne dispose d’aucun indice sur la mise en valeur antérieure, on est donc contraint de garder cette information tardive qui est probablement la conséquence de la disparition du site. A l’image du manoir de Poix, disparu vraisemblablement à la fin du XVIIIe siècle : au XIXe siècle, la parcelle est devenue un herbage alors qu’au siècle auparavant lorsque le site existait toujours, c’était un verger – information que l’on a donc retenue.

fond de vallée, au contact du « rideau » d’herbages, on trouve les labours – aujourd’hui quasiment inexistants ailleurs que sur les plateaux. La céréaliculture est encore au début XIXe siècle largement pratiquée, la conversion systématique des terres en pâturages et donc la spécialisation dans l’élevage bovin (viande, lait, fromage) s’accélère surtout à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée du chemin de fer permettant de s’approvisionner plus facilement en autres denrées agricoles (Reinhard 1923).

En revanche, les zones boisées se situent plus volontiers en « altitude », où les sols sont moins favorables. On peut également noter que les zones densément boisées (c’est à dire correspondant à des parcelles d’un seul tenant) sont peu nombreuses, alors qu’une multitude de petites parcelles boisées sont dispersées sur le territoire, plus systématiquement sur les versants et les coteaux que sur les plateaux. De la même façon, on trouve aussi dans les mêmes configurations des zones de bruyères, concentrées au nord-est de la zone. Enfin, quelques parcelles de jardins sont disséminées dans les bourgs (St-Martin-de-la-Lieue et Fervaques) et associées à des habitats d’élites (manoir de Pont-Mauvoisin, manoir de Caudemone, château de Fervaques).

Le terroir de la vallée de la Touques peut alors être présenté sous la forme d’un tableau statistique pour le début du XIXe siècle (Fig. II-38), que l’on peut raisonnablement étendre à la première moitié du XVIIIe siècle pour la portion du secteur d’étude couverte par le Plan d’une partie de la rivière de Touque. Dans l’ensemble, les parcelles mesurent un peu plus d’un hectare avec des variations selon la nature de culture : les bois présentant les valeurs les plus hautes (environ 3,31 ha), les bruyères les plus faibles (0,09 ha). En termes de proportions, ce sont les labours qui tiennent la première place avec 37,6 % de la surface, suivis des herbages et des vergers avec respectivement 26,6 et 20,6 % (ces derniers sont représentés sur le Plan d’une partie de la rivière de Touque en plages non colorés, blanches donc). Jardins et bruyères sont très peu représentés (1,1 et 0,06 %), alors que les bois occupent 13,9 % de la fenêtre d’étude. Finalement, la réalité ancienne du terroir ne correspond pas à l’image actuelle, stéréotype d’une Normandie monochrome et monoculturale, où le vert des herbages, prés, vergers et bois dominent. La documentation des XVIIIe-XIXe siècle donne à voir un milieu mis en valeur de manière plus diversifiée qu’aujourd’hui, malgré une indéniable spécialisation dans l’élevage bovin (lait et viande). Le stéréotype d’un pays d’élevage, composé exclusivement d’herbages, de prés et de vergers n’est pas la réalité agricole du début de l’époque contemporaine, ni a fortiori celle des siècles antérieurs.

Avec toutes les précautions d’usage nécessaires à l’utilisation de ce genre de documentation, on peut aussi avoir recours à l’iconographie disponible pour appuyer l’hypothèse d’un milieu plus diversifié anciennement qu’au XXe-XXIe siècles. On dispose pour le secteur d’étude, de deux représentations picturales antérieures au XIXe siècle, relatives à St- Germain-de-Livet (Fig. II-39). La première est une peinture sur cuivre d’Antoine Messager (Pellerin 1971), datant du XVIIIe siècle et, représentant le village avec le château et l’église au premier plan et ses alentours en arrière plan (on distingue d’ailleurs au loin deux églises, sans doute celle de St-Martin-de-la-Lieue et celle de St-Hippolyte-du-Bout-des-Prés). Au-delà de la naïveté de la représentation, le milieu évoqué est ouvert, au sens de paysage non « embocagé » : on ne voit pas de délimitation des parcelles par des haies vives. Quelques arbres, en dehors du verger, derrière le château (que l’on retrouve sur le Plan d’une partie de la rivière de Touque), sont néanmoins visibles. Au bord du ruisseau qui alimente le moulin et de la Touques qui court vers le nord, des vaches paissent dans un herbage où l’on distingue des rigoles en eau. Au contact du moulin et donc du ruisseau, une parcelle brune ponctuée de sillons évoque peut-être la présence d’un jardin potager. Au loin, le milieu parait plus sombre, et pourrait indiquer la présence de labours, signalés sur le Plan d’une partie de la rivière de Touque et le cadastre napoléonien. Beaucoup plus hypothétique, une fresque du XVIe siècle pourrait aller aussi dans le sens d’un milieu assez distinct du bocage moderne et contemporain. La salle des Gardes du château de Livet présente en effet un décor peint datant du XVIe siècle qui évoque différentes scènes bibliques exécutées par un ou des artistes locaux (ibid.). Au-dessus de la cheminée monumentale, on trouve la représentation d’un paysage très vallonné, pourvu de quelques arbres sous forme de bosquets entre des espaces d’une nature agricole non définissable (herbages et/ou labours ?). En arrière-plan, on distingue ce qui pourrait être un château, une église et quelques habitations. Est-ce une évocation des alentours de St-Germain-de-Livet ? Si tel était le cas, on aurait là encore une fois l’image d’un milieu assez éloigné de celle qu’il est aujourd’hui : un bocage hérité entre autres du néo-régionalisme de la fin du XIXe siècle (Brunet & Maneuvrier 2006).

Temps court

La mise en valeur agricole du terroir, on vient de le voir, n’est pas une donnée fixe et immuable dans le temps. Elle est donc plus délicate à manier dans une analyse périodisée (Fig.

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