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Colombier » dans la vallée de la Seine

II- 2.1.a : Une fenêtre d’étude ouverte sur un objet, un milieu et un

territoire

Pour répondre à la fois aux problématiques soulevées par le site, les attendus de la publication et à nos propres questionnements, il a été décidé d’ouvrir une fenêtre d’observation

autour de la « Ferme du Colombier » qui se présente comme un habitat d’élites daté du début du XVIe siècle et localisé dans un écosystème spécifique (un marais).

1)

La « Ferme du Colombier » : un habitat d’élites du début du XVIe siècle

dans une zone humide

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Implantée dans un contexte d’interfluve alluvial entre la Seine et l’Yonne (Fig. II-a), la « Ferme du Colombier » est un habitat à plat fossoyé créé ex nihilo au début du XVIe siècle et détruit à la fin du XVIIIe siècle. Elle se compose principalement d’une plate-forme bâtie de 1200 m², ceinturée par un imposant fossé en eau, où sont implantés des bâtiments à vocation agricole et résidentielle (Fig. II-b), tels qu’un logis, des granges, un toit à cochons, une bergerie, une vacherie, une écurie et une grande porte équipée d’un pont-levis (Hurard 2012 : 62-67). A l’ouest de la ferme à cour carré, on trouve un chemin ainsi qu’une zone de pacage de 3 ha irriguée par des fossés drainants (Fig. II-c). La confrontation serrée des sources archéologiques, paléo-environnementales et écrites a également permis d’établir que deux catégories d’élites rurales se succèdent sur place. D’une part, sa création, en 1506 est le fait d’une famille ne disposant pas du statut noble mais appartenant vraisemblablement à la bourgeoisie marchande. Trois générations de Le Normand occupent et mettent en valeur la ferme. D’autre part, on sait qu’à partir du XVIIesiècle, elle est achetée par une succession d’écuyers (niveau inférieur de la noblesse) qui la louent en fermage à des « laboureurs » appartenant, eux, à la frange supérieure de la paysannerie (Moriceau, 1994). Ce sont eux exploitent et habitent la « Ferme du Colombier » entre la fin du XVIe siècle et sa disparition vers 1780.

Étudié dans son environnement large (4 ha), ce site a donc représenté une occasion privilégiée de saisir les interactions entre un groupe social hétéroclite (les petites élites rurales) et un écosytème spécifique (une zone humide), dans une période relativement peu documentée par l’archéologie (fin du Moyen Âge/Époque moderne). C’est pourquoi, dès les phases de terrain, l’enquête archéologique a été mise en œuvre dans une perspective interdisciplinaire. En amont de la fouille, les sources écrites disponibles ont été dépouillées et sur le terrain, en plus de l’analyse traditionnelle des stratigraphies et de la culture matérielle, les disciplines archéobotaniques et archéozoologiques ont été mobilisées.

88 Nous réutilisons ici plusieurs articles coécrits avec S. Hurard (Cavanna & Hurard 2001a ; Cavanna & Hurard 2011b ; Cavanna & Hurard 2015) et renvoyons naturellement à la monographie pour de plus amples détails sur les données archéologiques, paléo-environnementales et écrites (Hurard 2012).

La présence du fossé principal, zone privilégiée pour les rejets domestiques, a naturellement constitué une inestimable banque de données stratigraphiques, matérielles et environnementales, en raison de conditions de conservation exceptionnelles favorisées par la présence d’horizons anaérobies de près de 80 cm d’épaisseur. Mesurant de 10 à 12 m de large sur une profondeur allant jusqu’à 2,20 m, le fossé a favorisé la préservation et la collecte de matériaux organiques (cuir, bois) et de restes polliniques et carpologiques. Trois zones en particulier ont abondamment servi de dépotoir au cours des trois siècles d’occupation du site (Fig. II-b) : les points de franchissements et le contrebas du logis. L’ensemble des données paléo-environnementales recueillies lors de la fouille, a permis de restituer le cadre environnemental général de la ferme entre la fin du XVIe et le XVIIIe siècle et de préciser son exploitation.

Le paysage autour du site apparait comme un paysage très ouvert (Fig. II-d). Il s’agit d’un milieu humide nettement marqué, dans les échantillons polliniques et carpologiques, par la forte représentation de plantes de marais et de roselières caractéristiques d’une prairie humide. Des formations ripisylves, formations linéaires buissonnantes, étalées le long des petits cours d’eau, sont également perceptibles et permettent de caractériser la végétation autour des différents fossés drainants. Cette végétation est perçue de manière extrêmement discrète par la palynologie et la carpologie, qui excluent le développement de ces essences aux abords immédiat du fossé principal, marqué par le développement de plantes hygrophiles, aquatiques ou rudérales. L’espace environnant la ferme apparaît également comme un espace boisé dominé par le saule, l’orme, l’aulne et le sureau, essences de milieux frais à humides. Les essences forestières représentent 10% des échantillons palynologiques. On perçoit un espace forestier de type chênaie, conformément à l’image du reste du Bassin parisien pour la période des XVe-XVIe siècles. Toutefois, la surreprésentation de l’orme, présent en quantité anormale par rapport aux espaces forestiers franciliens de la même époque, prouve son caractère anthropique. Il s’agit de plantations entretenues dont l’exploitation pourrait être liée à l’activité agricole et notamment à la production de fourrage. Le saule est également présent sous la forme de plantations. Outre les plantes de marais et de roselières, certains taxons sont représentatifs d’une végétation basse et caractéristique de sols piétinés. Indices qui laissent supposer la présence de pâtures destinées au bétail, aux abords de la ferme. Ces données confirment la probable exploitation de cette zone de marais pour le pacage des bêtes, en particulier des ovins dont l’élevage se développe sur la ferme surtout à partir du XVIIe siècle, selon les données archéozoologiques. Cette restitution croisée du milieu semble relativement stable durant la période d’occupation, puisqu’aucun changement majeur n’est perceptible entre le début du XVIesiècle et le XVIIIesiècle.

L’ensemble des données recueillies dans les niveaux hydromorphes du fossé permet aussi d’éclairer les relations des occupants du site avec ce milieu humide, les choix d’exploitation des ressources végétales et animales, la gestion globale de l’espace rural autour de la ferme et l’économie de l’établissement. La céréaliculture apparaît clairement comme l’activité principale de la ferme. Les céréales enregistrées sont essentiellement le blé, l’avoine et le seigle. Stockées mais aussi consommées, ces céréales sont abondamment représentées dans les échantillons sous forme imbibée ou carbonisée. On enregistre également les plantes adventices et messicoles qui se développent dans les contextes céréaliers. Les espaces cultivés peuvent être plus ou moins distants de la ferme, à l’écart des zones humides. L’étude archivistique montre l’étendue et la dispersion des terres du Colombier sur l’ensemble du finage de Varennes-sur-Seine. L’élevage apparaît comme l’activité secondaire de la ferme. Si les bovidés, consommés hors d’âge, sont surtout une force de traction animale pour les travaux agricoles, l’élevage des ovins qui se développent surtout à partir de la fin du XVIe siècle, témoignent de la mise en place d’une stratégie pastorale plus spécialisée intégrant la production de lait, de viande et de laine (abattages des jeunes et proportions importantes de femelles lactantes plus âgées). Ce système d’exploitation agricole participe à la valorisation raisonnée de la prairie humide.

L’essentiel des artefacts et écofact collectés traduit une exploitation des ressources immédiates de la ferme : la consommation est fortement liée à la production du site. L’alimentation carnée est basée sur la traditionnelle triade bœuf/caprinés/porcs. Parmi les plantes consommées figurent les essences fruitières suivantes : noyer, noisetier, pêche, vigne et sureau, essentiellement mises en évidence par la carpologie. Le raisin et le sureau sont transformés à des fins culinaires, avant d’être rejetés dans le fossé. L’activité cynégétique, réduite à la chasse occasionnelle de quelques espèces sauvages, occupe une part minoritaire des ressources carnées, mais témoigne de la prédation dans les milieux ouverts de plaine (perdrix et lièvres) et dans les milieux humides environnants (grèbe, canard pilet).

L’exploitation des ressources du milieu frais à humide est également caractérisée par l’utilisation des essences boisées à des fins agricoles ou domestiques. A titre d’exemple, des restes ligneux ont été trouvés sur le site, en particulier dans les niveaux anaérobies du fossé. Ils consistent en de nombreux branchages de saule, de noisetier ou d’aulne. Ces bois, prélevés dans l’environnement proche du lieu d’habitat, abondamment présents sous forme taillée, élaguée ou ébranchée, ont fait l’objet de multiples usages. Un pan de clayonnage, découvert dans les milieux anaérobies du fossé en contrebas de sa probable position d’origine illustre un des modes d’exploitation de ses essences locales. Composée d’orme, de saule et de chêne, cette barrière

visait vraisemblablement à aménager et protéger les talus du fossé sur tout ou partie de l’escarpe.

2) L’échelle du territoire : la plaine alluviale de la confluence Seine-Yonne

L’étude archéogéographique a donc bénéficié la restitution paléo-environnementales du milieu dans lequel s’insère la « Ferme du Colombier » au début du XVIe siècle. Elle s’insère aussi dans un espace habité, aménagé, exploité organisé en différents réseaux géographiques et sociaux imbriqués à plusieurs échelles de temps et d’espace. Pour tenter de les démêler, c’est l’échelle locale qui a été privilégiée pour servir de cadre à l’étude, parce que ‘elle est définie comme celle qui se rapproche d’un possible « territoire du quotidien » (Di Méo 1996). S’il n’existe pas de définition unique du territoire, la signification de ce concept varie selon que l’on lui attribue un sens majoritairement sociologique (identité culturelle d’une portion d’espace ou représentation de que l’on s’en fait), économique (mise en valeur des ressources d’une portion d’espace) ou politique (portion d’espace appropriée par un pouvoir). Il est néanmoins admis que le territoire est le produit de l’interaction entre ces différentes composantes matérielles ou idéelles (Elissalde 2005). Travaillant sur la question de la distinction sociale, on retient ici l’acceptation sociologique, c’est-à-dire celle d’un « agencement de ressources matérielles et symboliques capables de structurer les conditions pratiques de l'existence d'un individu ou d'un collectif social, et d'informer en retour cet individu ou ce collectif sur sa propre identité » (Lévy, Lussault 2003, p. 910). De ce fait, en parlant d’une échelle du territoire, on entend délimiter un espace vécu et perçu (Di Méo, Buléon 2005 ; Leturcq 2001 ; Leturcq 2007), support du choix d’implantation d’un individu. La difficulté consiste évidemment à délimiter grossièrement cette portion d’espace autour du site. À défaut de pouvoir connaître la représentation personnelle du fondateur de la « Ferme du Colombier » en 1506, il s’avère nécessaire de recourir à des postulats d’ordre « anthropologique », suffisamment pragmatiques pour être transposés dans le temps. Ainsi, nous avons décidé de tenir compte des frontières naturelles (colline, rivière, montagne, forêt, etc.) et/ou anthropiques (enceinte, pont, monument, etc.) existantes. Si celles-ci ne constituent pas forcement en soi des obstacles infranchissables, elles sont généralement vécues et perçues dans la plupart des sociétés, anciennes ou actuelles, comme des limites mentales au territoire du quotidien, ou tout du moins comme une discontinuité dans l’espace (Bromberger & Morel 2001 ; Paul-Lévy & Segaud 1992). Parallèlement, on a pris en considération une aire de voisinage immédiat, accessible au cours des allées et venues ordinaires, matérialisée par la distance moyenne que peut parcourir un homme à pied ou à cheval (au pas) en moins d’une

heure (Brun 2006), soit un rayon de 4 à 6 km à partir d’un point donné (soit la valeur approximative de la lieue d’Ancien Régime).

Considérant le site archéologique comme épicentre, trois limites physiques se dégagent (Fig. II-e) : au nord, un fleuve (la Seine) ; à l’est, une rivière (l’Yonne) et au sud, les premières buttes du Gâtinais89. soulignées par l’aqueduc de la Vanne. La dernière limite est d’origine

anthropique, puisqu’il s’agit d’une ville (Montereau-Fault-Yonne). Ces quatre éléments dessinent une surface en forme de croissant irrégulier d’environ 3 à 4 km de part et d’autre de la « Ferme du Colombier » – ce qui constitue une aire de sociabilité plausible. Cette zone d’une trentaine de km² possède une cohérence topographique et environnementale, puisqu’elle s’étend sur la plaine alluviale issue de la confluence Seine-Yonne, aux marges de la Brie et du Gâtinais. Elle recouvre administrativement (tout ou seulement une partie pour certaines) les communes de la Grande Paroisse, Montereau-Fault-Yonne, Varennes-sur-Seine, Montarlot, Ville-Saint-Jacques, Noisy-Rudignon, Esmans et Cannes-Écluse.

II-2.1.b : La carte compilée ou la base de données archéogéographiques

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